’école privée ne sera pas prête le 2 juin, tant les manquements sont importants. Il s’y ajoute un conflit en perspective entre les directions et les parents d’élèves sur des questions de mensualités à honorer.
Mardi 2 juin 2020, marque le tour des élèves et enseignants en classe. Si dans le public la reprise est partie pour être poussive, dans le privé par contre, c’est peu probable que les conditions d’ouverture des écoles soient réunies pour que les cours démarrent le jour-J. Au contraire, cette partie de l’Education nationale se trouve actuellement dans la tourmente. Délaissée à la fois par le pouvoir central et celui local, elle se sent « méprisées, isolées », selon les termes Ismaëla Kamara directeur de l’école Moussa Kamara, par ailleurs point focal du regroupement des écoles privées de Hann.
En fait, le gouvernement avait assuré que la désinfection des écoles sera faite par les comités locaux de reprise des cours, sans distinction entre le privé et le public. Pour les communes où les maires ont mis les produits nécessaire à la disposition du service d’hygiène, le problème est moins compliqué. A Pikine-Guédiawaye par exemple, l’inspecteur d’académie Gana Sène soutient que ce sont les autorités éducatives qui ont dressé une liste qu’elles ont remise au service d’hygiène qui a désinfecté toutes les écoles de l’inspection.
Par contre, dans d’autres localités, les maires sont descendus sur le terrain, accompagnés des services d’hygiène. Et ils se sont limités aux écoles publiques. C’est le cas de Hann, mais aussi de Grand Yoff où le maire a fait le tour des écoles publiques vendredi dernier. Mais au dernière nouvelle, on apprend que les écoles privées seront aussi désinfectées « C’était un problème de communication, mais les services techniques sont en discussion avec le service d’hygiène », Bassirou Samb, chef de cabinet du maire Madiop Diop.
Quantité de produit minime
En attendant l’effectivité, le Président directeur général du groupe Les Pédagogues qui dispose de deux écoles à Grand Yoff, Madièye Mbodji, en fait le constat amer. « Aucun de nos établissement n’a été désinfecté. Le ministre avait assuré qu’il n’y aurait pas de distinction. Mais la réalité est toute autre », regrette-t-il.
Madièye Mbodj rappelle au gouvernement sa part responsabilité dans la gestion de l’école. Les collectivités aussi, puisqu’il s’agit d’une compétence partagée. Alors, pense-t-il, l’Etat central et le pouvoir local doivent pouvoir s’entendre. « Si on est balloté entre les deux, ça devient difficile », souligne-t-il.
Ainsi donc, les responsables des écoles privées étaient convaincues que le travail de désinfection allait être généralisé. Aujourd’hui, certains sont en colère. «Le nettoyage systématique des salles de classes rencontre un niet catégorique de la part des Maires. Les élèves de l’enseignement public constituent-ils les seuls à devoir profiter des moyens de ce pays ? De nos impôts ? », s’interroge- t-il.
Outre la désinfection, il y a la question de la dotation en produit. Là aussi, le privé est actuellement partagé entre l’incertitude et la colère. En effet, certains n’ont encore rien reçu. « J’ai entendu que c’est demain qu’on va nous livrer la dotation. Mais ce n’est même pas officiel », déclare un responsable déclarant dont l’école se situe dans la banlieue. Quant à ceux qui ont déjà reçu le produit, ils n’en reviennent pas.
Ni fonds Covid-19, ni crédit bancaire
L’institut notre dame de Dakar a posté sur sa page facebook le matériel reçu pour exprimer son indignation. Sur la photo, on voit une poubelle et un robinet, une bouteille de savon liquide ‘’madar’’, un flacon de gel et un termoflash. « Quelle tristesse pour notre éducation », commente l’institution. « La quantité est largement en deçà des besoins », acquiesce Madièye Mbodji.
Même sentiment de la part d’Ismaëla Kamara, autre responsable d’école. « L’enseignement privé est écœuré, à la limite de la nausée. Le gouvernement affiche le dilatoire et la discrimination dans l’octroi du matériel de protection : 1 poubelle en guise de lave-main, 1 thermo-flash, 3 gels et en moyenne 50 masques par établissement privé laïc », s’étrangle-t-il.
En plus de produit, les écoles pensaient pouvoir compter sur l’aide financière de l’Etat. En effet, avec le tourisme, la culture, le transport et les médias, l’éducation fait partie des secteurs touchés par le Covid-19, l’enseignement privé en particulier. A l’image des autres secteurs, le chef de l’Etat avait annoncé un appui budgétaire pour les écoles. Les responsables comptaient sur cet argent pour la reprise. Mais là aussi, rien.
Des dossiers ont été déposés. Mais le ministère n’a communiqué ni sur le montant à allouer encore moins la date de sa disponibilité. « A ce jour, il n’y a rien de précis. Aucun soutien financier de la part de l’Etat », regrette Madièye Mbodji.
A côté de l’appui direct, il y avait aussi la facilité à l’octroi de crédit auprès des banques. Mais là aussi, les résultats sont décevants. Madièye Mbodji déclare avoir noté « une mise en œuvre poussive ». « Je n’ai pas encore vu un déclarant responsable qui a obtenu un crédit », confirme Kamara. Au total donc, aucun des deux mécanismes de financement prévu par l’Etat n’a fonctionné.
Conflit entre direction et parents d’élèves
Du coup, laissées à elles-mêmes, les écoles privées font face à un autre problème qui risque de compromettre davantage la rentrée prévue le 2 juin. En fait, certains établissements ont exigé à ce que les parents d’élèves payent les mois d’avril et de mai avant la reprise des cours. « Sinon, les enseignants n’auront même pas de quoi payer le transport pour venir travailler », souligne Ismaëla Kamara.
Cette exigence risque de créer un conflit, puisque certains parents n’entendent pas du tout payer. Pour eux, la logique est simple : les enfants n’ont pas bénéficié d’enseignements durant ces deux mois, il n’est donc pas question d’honorer la facture d’un service inexistant. Et pourtant, des directeurs à l’image d’Ismaëla Kamara restent intransigeants sur ce point. « Il faut que les parents payent, il n’est pas question qu’un enfant entre en classe sans cette régularisation. Sinon, il n’y aura pas de cours », prévient-il.
Le seul aspect négociable, à ses yeux, reste les modalités. Autrement dit, les parents peuvent demander un moratoire à la direction, mais ils vont impérativement payer les mois de mars, avril et mai. Kamara qui fait face déjà à des résistances affirme avoir fait comprendre aux parents qu’ils s’étaient engagés pour un contrat annuel. Il faut donc qu’ils respectent leur engagement. Et il pense avoir déjà trouvé une solution pour ceux qui serait tentés de transféré l’élève dans un autre établissement sans payer. « S’ils n’ont pas de certificat de scolarité, ils ne pourront pas inscrire leurs enfant ailleurs. Et ce serait une rétention logique et officielle », prévient-il.
Pdg du groupe Les Pédagogues, Madièye Mbodj lui se montre moins tranchant. A son avis, c’est une question très complexe qui demande beaucoup de discussion pour trouver la bonne solution. Les cours étant arrêtés le 16 mars, Mbodj pense qu’il faut payer ce mois, de même que juin et juillet. Pour avril et mai par contre, il n’y a rien de figé, pense-t-il. « Nous avons des rapports de confiance avec les parents. Il faut trouver les moyens de passer cette situation sans détruire les relations de confiance. Si on continue de dialoguer, on trouvera des solutions ».
Cet interlocuteur fait remarquer par exemple que Les pédagogues ont toujours mis en ligne des cours pour le bénéfice des élèves, même ceux qui ne sont pas en classe d’examen. De ce fait, souligne-t-il, l’école peut penser que la continuité pédagogique a été assurée, comme le parent peut penser aussi qu’il n’a pas payé pour ça. « C’est un problème d’interprétation. Il va falloir beaucoup discuter. On ne peut pas se réveiller et imposer des solutions qui s’applique à tous », tempère-t-il.
L’équation des profs de maths et philo
Par ailleurs, hormis les questions financières et logistiques, les écoles privées pourraient faire face à un problème de personnel. Déjà, lorsqu’il s’est agi d’organiser le retour des enseignants, l’Etat s’est occupé uniquement de ses agents. La plateforme en ligne de demande d’autorisation ne prévoyait pas les enseignants autres que ceux du public. Les privés ont eu beaucoup de difficultés. « Il a fallu errer entre les IEF et les IA pour trouver des solutions », regrette Madièye Mbodji.
Aujourd’hui encore, il y a beaucoup d’enseignants du privé qui n’arrivent pas à regagner leur lieu de travail. Sans doute que la rentrée va révéler également l’importance des élèves qui sont dans cette situation.
Autant de difficultés, sans compter le fait que certaines disciplines pourraient difficilement trouver des enseignants dans le privé. Il s’agit notamment des mathématiques et de la philosophie, disciplines dont les profs sont presque exclusivement dans le public, avec un travail au noir dans le privé. Avec le chamboulement prévu, ces profs pourraient manquer de temps pour les activités hors écoles publiques. « C’est vrai qu’il faut attendre qu’ils aient leur nouvel emploi du temps dans le public pour voir comment s’organiser pour le privé », reconnait Mbodj.
Toutes choses qui font que l’école publique semble, pour une fois, mieux lotie que l’école privée, malgré ses nombreux couacs déjà notés. Ce qui fait dire à Madièye Mbodj que le 2 juin n’est pas une date pour la reprise des cours. Mais plutôt un moment d’évaluation pour voir ce qui est en place et ce qu’il faut corriger.