Dakarmidi – On ne corrige pas une injustice en en créant une autre ! Le système de parrainage est justement conçu pour faire payer aux candidatures indépendantes leur non soumission aux servitudes liées à la création et au fonctionnement d’un parti politique légalement constitué. Ce faisant, le système électoral accommode les situations exceptionnelles, en l’occurrence les candidatures indépendantes, à côté de la norme que constituent les partis politiques ou coalitions de partis politiques. Par conséquent, ériger l’exception en règle à quelques mois d’une élection présidentielle ne peut, assurément, manquer d’arrières pensées politiciennes.
L’Afrique noire a ceci de particulier qu’elle devient fort imaginative dans le bricolage institutionnel à l’orée des élections et qu’elle ne déploie pas le même effort dans la recherche de solutions aux problèmes cruciaux qui l’accablent. Dans le cas d’espèce, pour tuer dans l’œuf les candidatures fantaisistes, l’on sort, sans nécessité particulière, tous les canons de la République !
Si l’on n’y prend garde, la chasse aux candidatures fantaisistes, de la manière dont elle est engagée, pourrait conduire notre pays vers des lendemains incertains. D’ailleurs, toutes les démocraties du monde fonctionnent peu ou prou avec des candidatures fantaisistes. C’est le prix à payer ! Si l’on prend l’exemple de la France que nous aimons tant, la candidature de Philippe Poutou à l’élection présidentielle dans ce pays semble être du même ordre. Et l’on peut certes encadrer un processus électoral sans donner l’impression d’opérer un tri pernicieux à l’entrée. La démocratie est exigeante et constitue un combat permanent contre nos propres pulsions. Imaginez un seul instant l’ancien Président Abdou Diouf éliminer de la course à l’élection présidentielle de 2000 feu Djibo Leyti Kâ et Moustapha Niass sous quelque prétexte que ce soit ? Ou Maître Wade éliminer Idrissa Seck et Macky Sall en 2012 pour d’autres motifs ?
Et à ce jeu d’un processus de sélection/élimination des candidats gênants, c’est le syndrome d’un Président récemment élu qui guette le Sénégal avec le choix cornélien, dans un éventuel deuxième tour, entre le Président Macky Sall et un vendeur ambulant de Sandaga ! Que Dieu nous en préserve ! Ou même nous conduire à une situation de «Tout sauf Macky » qui mettrait les problèmes du pays et les programmes des candidats sous le boisseau.
En définitive, le système de parrainage ne présente pas suffisamment de garantie pour tous les acteurs et semble porteur de graves convulsions, de type épileptique, pour notre pays. Des questions se posent en cascade : Un électeur peut-il parrainer plus d’un candidat ? Comment vérifier un tel état de fait parmi 60000 signataires ? Un électeur peut-il retirer sa signature et son parrainage à un candidat ? Et ce, à quelle étape du processus ?
Et là nous vient à l’esprit le cas d’un candidat quelconque. Imaginez, hypothèse d’école, qu’une momie datant de Ramsès II sorte de son sarcophage et prétend avoir connu un candidat quelconque dans le passé et l’accuse de tous les péchés d’Israël. Des électeurs, manipulés par une main invisible, s’offusquent et embarquent dans des cars Ndiaga Ndiaye en direction du Conseil constitutionnel pour réclamer le retrait de leur parrainage à ce même candidat à quelques heures du temps de fermeture officielle du dépôt des candidatures à l’élection présidentielle. Rien en droit n’empêche des citoyens à revenir sur leur décision sous prétexte, par exemple, des accusations fallacieuses de notre momie. Certains pourraient même évoquer, quoique dans un contexte quelque peu différent, la jurisprudence ou l’exemple Thierno Bocoum qui avait demandé le retrait de son nom sur la liste de Manko à quelques heures du dépôt des listes aux législatives de Juillet 2017. Et le Conseil constitutionnel d’informer ce candidat quelconque qu’il lui manquerait 20000 signatures quelques heures avant l’échéance. Le Sénégal ne mériterait pas de tels scénarii. Nous ne pensons pas qu’on arriverait à un tel point. Mais on est en politique, pas en religion !
Avec ce système de parrainage pour tous, le pays est en train de s’engager sur la voie des disputes électorales stériles en lieu et place d’un débat fécond autour des visions et des programmes. Prenons faits et causes pour la seconde option. Notre pays en a vraiment besoin ! Les défis sont immenses !
Un ami africain me disait, avec un humour corrosif, que l’Afrique n’avait pas de dirigeants mais des fabricants d’allumettes pour brûler leurs propres pays. Il me cita pêle-mêle l’exemple de Bédié qui alluma la Côte d’Ivoire avec le concept de l’Ivoirité, de Laurent Bagbo qui incendia ce même pays avec son « On gagne, puis on gagne », de Blaise qui, depuis, handicapa le Burkina avec sa tentative de faire sauter le verrou de la limitation des mandats, de Professeur Condé avec son « Coup KO » dont la France limita fort heureusement les dégâts, etc. En espérant de tout cœur que le Sénégal se passe volontiers de la grosse allumette du système de parrainage pour tous !
Mamadou Lamine Sylla, PhD, Montréal, Canada
Président du Mouvement Team Sénégal
Auteur du livre : Pour mieux amarrer l’Afrique noire à l’économie mondiale globalisée, Paris, Éditions L’Harmattan, 2015.