En fin de thèse à l’université Paris-Descartes, où il travaille sur le thème de la vulnérabilité sociale des athlètes, Seghir Lazri passe quelques clichés du foot au crible des sciences sociales. Aujourd’hui, la formation des joueurs africains dans des académies dépendant de grands clubs européens.
L’équipe du Sénégal joue un match clé contre la Colombie ce jeudi, afin de poursuivre la compétition. Entraînée par l’ancien Parisien Aliou Cissé et composée à la fois de binationaux et de natifs du pays, cette équipe reste le seul espoir de voir un pays d’Afrique accéder aux huitièmes de finale. Ses performances ne sont d’ailleurs pas dues au simple hasard, puisque 22 des 23 sélectionnés évoluent en Europe, et pour la plupart d’entre eux dès le plus jeune âge. Dès lors, comment forme-t-on les joueurs natifs du Sénégal ? Et à quoi renvoie cette politique de formation ?
La main mise de l’Europe sur la formation sportive
Idrissa Gueye, Kara Mbodj ou encore l’icône Sadio Mané, autant de joueurs natifs du Sénégal, ayant été formé là-bas, mais n’ayant jamais effectué aucun match dans le championnat local. Et pour expliquer ce phénomène assez présent en Afrique subsaharienne et notamment dans le golfe de Guinée, il faut comprendre les caractéristiques du monde du football dans cette région. Le géographe Bertrand Piraudeau travaillant sur l’industrie du football, met justement en lumière un élément central de la sphère du football africain et plus particulièrement sénégalais, celui de la formation. S’inscrivant dans un système de production mondialisé, les centres de formation sénégalais ont pour vocation de «produire» des joueurs à destination du marché européen. Les centres partenaires de l’Europe comme le Diambars, Génération foot (antenne du FC Metz) ou encore l’Académie Aspire (sous l’égide du Qatar) ont participé à la formation de nombreux joueurs évoluant en Europe, sans pour autant que ces derniers aient permis le développement du championnat sénégalais. En d’autres termes l’émergence de talents, s’apparente à une nouvelle dépossession des ressources (sportives) du pays.
Cette situation s’explique par le fait que les clubs et les institutions européens voient dans cette formation, à la fois le moyen de façonner à moindre coût des athlètes, mais aussi de réaliser des plus-values incroyables lors de leur revente sur le Vieux Continent. Néanmoins, si ces centres sous couvert d’un «partenariat» avec les grands clubs, bénéficient d’un soutien matériel et financier important, il semble que les conditions de formation des jeunes athlètes ne soient pas exactement les mêmes que sur le sol européen.
La fabrique du vulnérable
D’après le chercheur Raffaele Poli, si cette industrie veut fonctionner, il est impératif d’accentuer son implantation dans de grandes agglomérations, où les jeunes enfants, associés à de la «matière première», sont en très grands nombres. Cette démarche ayant aussi pour conséquence de susciter un fort mouvement migratoire chez les adolescents en provenance de zones plus reculées, quitte à générer souvent quelques risques. Pour exemple, l’international Sadio Mané, en provenance de Casamance, a fugué à plusieurs reprises, afin de participer à des tournois et des détections, mettant sa vie en danger, car livré à lui-même dans la ville de Dakar.
A vrai dire, l’entrée dans ce type de centre correspond à une rupture avec l’environnement familial, pour l’apprenti footballeur. Une rupture acceptée par ce dernier, car elle apparaît comme le tribut à payer pour accéder à la réussite sportive et permettre l’avènement économique de sa famille, dont il a dû se séparer. Mais ce que souligne surtout Raffaele Poli est que le cahier des charges propre à ces centres, établi sur le modèle des centres de formations européens (notamment français) est loin d’être pleinement respecté. En effet, les offres de formations scolaires sont assez réduites, quant au suivi psychologique, il est totalement inexistant. Ainsi, ces centres concentrant nombre d’individus issus de milieux paupérisés, n’offrent pas d’autres choix de réussites (réels) que celui du sport, qui est très relatif, cela ayant pour effet de cristalliser la vie de l’athlète autour du football, et de rendre la peur de l’échec beaucoup plus grande.
D’autant plus, qu’en cas revers, l’institut se désengage pleinement de la vie du sportif, qui, se retrouvant livré à lui-même, essaie désespérément de se défaire du stigmate de l’échec, notamment en entrant sur un second marché du travail des footballeurs plus sujet à des trafics et de la corruption.
En résumé si certains joueurs de la sélection sénégalaise apparaissent comme les signes de la réussite d’une politique de formation africaine, il ne faut guère oublier qu’elle est l’œuvre de grands clubs européens dont les objectifs de gains sont primordiaux. Ainsi en formant quelques stars du show footballistique mondial, cette démarche productive laisse sur le banc de la société un nombre plus grand de personnes vulnérables.