Le monde est rythmé par un fort mouvement d’édiction de règles destinées à assurer à l’être humain son plein épanouissement. Une dynamique regroupant à la fois les pays du Nord comme ceux du sud. Il est en fait question d’ériger des droits pour les hommes et de les garantir. De ce fait, des pays se sont distingués par la ratification de pas mal de traités en la matière. C’est le cas du Sénégal qui a voulu transposer dans son corpus juridique interne l’essentiel des normes internationales de droit de l’Homme. Le respect des droits humains, étant également la promotion des droits des couches les plus défavorisées. L’Etat du Sénégal s’est toujours engagé à cet effet, à prendre en charge les droits des enfants et des femmes à travers la signature des instruments juridiques internationaux. A cet égard, on peut citer la convention internationale des droits de l’enfant, la convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes ou encore la charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant.
Ayant ratifié de nombreux traités internationaux, l’Etat est tenu d’aligner sa législation nationale sur ces normes. Il faut donc dire que cette relation de conformité n’est pas toujours nette. Alors qu’une fois ratifiée, la convention internationale doit inspirer le législateur, afin de s’inscrire dans un exercice de prise en considération des principes consacrés. Or, à la lecture de certaines dispositions du droit positif sénégalais, l’on s’aperçoit que cette règle n’est pas toujours évidente. C’est pourquoi notre analyse se penchera sur le principe de la non-discrimination en protection de l’enfant. En guise de rappel, c’est un principe reconnu par les textes précités.
L’article 2 de la convention internationale des droits de l’enfant consacre le principe de la non-discrimination. En effet, il « vise à garantir que chaque enfant, sans exception, puisse jouir de ses droits sans distinction aucune fondée sur les parents ou le tuteur de l’enfant, la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion, l’opinion politique ou tout autre opinion, l’origine nationale, ethnique ou sociale, la situation de fortune, l’incapacité, la naissance ou tout autre situation ». On peut aussi lire à l’article 3 de la charte « tout enfant a droit de jouir de tous les droits et libertés reconnus et garantis par la présente Charte, sans distinction de race, de groupe ethnique, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’appartenance politique ou autre opinion, d’origine nationale et sociale, de fortune, de naissance ou autre statut, et sans distinction du même ordre pour ses parents ou son tuteur légal ».
Des dispositions législatives en question.
– L’article 111 du code de la famille
L’article en question dispose que l’âge minimum légal pour le mariage d’une fille est fixé à 16 ans, sous réserve de l’accord de ses parents. Dès lors, une posture d’analyse s’impose à l’aune des deux normes phares ratifiées par le Sénégal, dans ce domaine.
L’article 2 de la convention interdit aux Etats parties toutes formes de discrimination dans la mise en œuvre des droits énoncés. C’est à partir de là qu’on peut constater une violation du principe de la non-discrimination, à l’article 111 du code de la famille à travers le mariage d’enfant. En effet, en son article premier, l’enfant est défini comme « tout être humain âgé de moins de dix-huit ans, sauf si la majorité est atteinte plus tôt en vertu de la législation qui lui est applicable ». De plus, le mariage d’enfant est interdit par ladite convention, si nous nous fondons sur les recommandations constantes du comité des droits de l’enfant en matière de santé et de développement de l’adolescent. Par conséquent, une lecture combinée de l’article 21 de la charte (les mariages d’enfants et la promesse de jeunes filles et garçons en mariage sont interdits et des mesures effectives, y compris des lois, sont prises pour spécifier que l’âge minimal requis pour le mariage est de 18 ans et pour rendre obligatoire l’enregistrement de tous les mariages dans un registre officiel) et de la recommandation persistante du comité prouve à suffisance que la fille est victime d’une discrimination, dans la mesure où son mariage est admis durant sa minorité au Sénégal. A la différence de la CDE (la convention internationale des droits de l’enfant), la convention internationale sur toutes les formes de discriminations à l’égard des femmes, interdit de manière claire le mariage d’enfant. En son article 16, elle dispose « les fiançailles et les mariages d’enfants n’ont pas d’effets juridiques et toutes les mesures nécessaires, y compris des dispositions législatives, sont prises afin de fixer un âge minimal pour le mariage et de rendre obligatoire l’inscription du mariage sur un registre officiel ». On peut à partir de cet instant soulever une discrimination touchant les filles.
La posture d’analyse nous pousse également, au-delà du juridisme, de fouiller les fondements socioculturels d’une telle disposition. A partir d’un tel postulat, nous pouvons avoir des débuts de réponse. C’est dire que du point de vue du droit, l’on peut admettre l’existence d’une violation des droits des filles sans conteste. Cependant, force est de constater qu’il y a tout un argumentaire d’ordre religieux qu’on ne saurait mettre au rebut. Par expérience, nous avons eu la chance de participer à un atelier traitant cet article du code de la famille. Il a réuni des religieux et des groupements de femmes. Le religieux musulman n’a laissé planer aucun doute (le représentant de l’église étant absent) : qu’il est hors de question de mettre le curseur sur l’âge, ce qui importe en Islam, c’est la maturité de la fille, ce qui n’est pas fixe à un âge et qui varie d’une personne à une autre. Une position qui réfute par conséquent la discrimination. Ainsi, cette disposition peut être comprise, surtout lorsque l’on prend en compte l’impact des croyances religieuses et culturelles au Sénégal.
Une analyse identique peut se faire aussi avec l’article 300 du code pénal, toujours sous le prisme du principe de la non-discrimination.
– L’article 300 du code pénal
C’est une disposition qui admet implicitement le mariage coutumier à 13 ans, même si, elle interdit en même temps l’union charnelle à cet âge. Le mariage d’enfants étant prohibé par les instruments juridiques internationaux ratifiés par le Sénégal. Il y a donc naturellement un besoin de correction en vue de viser la conformité avec ces normes internationales et régionales. En réalité, ce texte doit être formulé de manière à proscrire complètement le mariage des mineures de 13 ans, ainsi que sa consommation.
Du point de vue du droit, nous notons un écart entre la législation internationale et celle nationale sur le principe de la non-discrimination. Cette disposition a attiré l’attention du comité d’experts des nations unies qui a demandé son abrogation.
Et pourtant, c’est une pratique très répandue en Afrique. En effet, elle peut être interprétée comme une manière de protéger l’avenir de la fille en la liant à un futur époux. Ainsi, il est évident que les tenants de cette pratique ont leur argumentaire à brandir, pour se justifier.
Nous voyons donc qu’il existe tout un débat autour de la légitimité et de la légalité de ces dispositions prises en considération dans cette présente analyse. Pour toutes les deux, se pose la relation entre des traités ratifiés par l’Etat et des croyances locales. C’est pour cette raison que les autorités oscillent entre le respect de certaines normes légales et les défis posés par la réalité du terrain, à bien des égards.
Il importe de relever en outre que le droit international est un droit qui appelle au consentement des Etats, étant donné que les traités internationaux sont des accords de volontés entre des sujets du droit international. D’où l’importance de veiller à la prise en compte des représentations collectives avant l’expression d’un consentement, au nom du peuple. Lors du Conseil des Ministres du 10 juillet 2024, le Président de la République Bassirou Diomaye FAYE avait soulevé la même préoccupation, parlant de la question des assises de la justice : «le Chef de l’Etat a demandé au Premier Ministre et au Ministre de la Justice de faire une communication mensuelle en Conseil des Ministres sur l’état de mise en œuvre des recommandations et décisions issues des Assises de la justice et de tenir compte, dans cet exercice à leur conformité avec les valeurs de notre société, notre culture et nos croyances ». Cette indication du président de la République doit être au cœur de la démarche diplomatique sénégalaise, mettant en exergue le souci de préserver notre modèle social. L’idée n’est pas de se recroqueviller ou bien de discréditer ces règles internationales, il est surtout question, face à certains enjeux, d’interroger leur tropicalisation à l’interne.
Hormis cette considération, il est essentiel de préciser que la logique juridique ne saurait être reléguée au second plan. Par conséquent, puisque la présence d’articles contradictoires par rapport au principe de la non-discrimination est évidente, il est urgent de mettre en place une régulation pour mieux respecter l’esprit de ces traités. Des impairs à corriger par le législateur, d’autant plus que les différents comités d’experts des droits de l’enfant ont toujours attiré l’attention des autorités sénégalaises sur ces énoncés législatifs antinomiques.
En définitive, avec ces deux articles, on constate une violation du principe de la non-discrimination. La convention et la charte ont une position très claire sur cette question. Il est impératif que le Sénégal harmonise ses lois nationales avec les normes internationales pour garantir le respect des droits fondamentaux des enfants. Ainsi, en engageant un dialogue inclusif et en adaptant progressivement les lois, le Sénégal pourrait devenir un modèle en matière de droits de l’enfant, tout en préservant son identité culturelle.
A retenir finalement, lorsqu’on fait référence à la violation, nous sommes sous l’angle légal. Dans l’avenir, pour éviter de telles incohérences, il est fondamental de faire au préalable la relation entre les prescriptions internationales et les réalités sociales, surtout que le droit international admet la réserve : Ce qui permet à un pays de se soustraire à l’application d’une ou des dispositions d’un traité.
Par Moustapha SYLLA