Dakarmidi – Longtemps, le poste de Premier ministre a connu un ancrage constitutionnel, institutionnel et politique au Sénégal. En soixante ans, les Sénégalais ont vu passer quinze chefs de gouvernement auprès de quatre Présidents de la République. Cela étant précisé, il faut noter qu’à trois reprises le poste a été « gommé » de notre design institutionnel.
Pour rappel, Léopold Sédar Senghor l’a supprimé avec puis l’a remis dans le corpus juridico-politique. Abdou Diouf a installé le même logiciel, en appliquant la même ingénierie constitutionnelle : « suppression-reconduction ». Seul Me Abdoulaye Wade a conservé un exécutif bicéphale, avec tout de même avec un « turn over » d’une demi-douzaine de chefs de gouvernement.
En 2019, Macky Sall a amorcé son deuxième mandat en s’inscrivant dans la même école de leadership : il a donc organisé, à son tour, l’insolvabilité constitutionnelle du poste de Premier ministre.
En vérité, le poste de Premier ministre est une fiction juridique problématique au Sénégal et même en Afrique. Partout où la fonction n’existe pas, on est tenté de la créer. Et partout où elle existe, on est tenté de la supprimer. En terme populaire, un Premier ministre est un fusible institutionnel. A ce titre, il peut sauter en cas de tension. Mais paradoxalement, au moment où le Sénégal est en surtension, à l’instar de tous les Etats démocratiques, il n’y a plus de fusible. C’est donc légitime que le débat soit agité ici et là dans l’espace public.
Un changement radical de régime politique
A y regarder de près, d’un point de vue doctrinal, le Président Macky Sall a opté pour une « hyper-présidentialiation » de sa gouvernance, en passant du statut de Président à celui d’hyper-président et en faisant de la présidence, une hyper-présidence. Dans les faits, il devient Président de la République et Premier ministre d’où la « primo-ministérialisation » de la fonction présidentielle. En clair, de jure, le Président de la République est le seul et l’unique détenteur du pouvoir exécutif. De facto, il en est aussi chef du gouvernement. Et c’est là, l’intérêt juridique qui nous interpelle
Techniquement, le Chef de l’Etat est élu par le peuple et reconnu comme tel. Or le Chef du gouvernement est désigné par le Président de la République. Le premier jouit d’un pouvoir décisionnel, alors que le second est délégataire d’un pouvoir organisationnel ; le premier est « focus » sur les institutions et les hommes. Le second est « focus » sur sa feuille de route, les tâches et les missions ; le premier trace les grandes orientations, tandis que le second vit dans la quotidienneté de l’action ; le premier expose, le seconde s’expose ; le premier impose, le seconde s’impose.
Alors comment devient-on Chef de gouvernement, tout en restant Chef de l’Etat ? Là est tout le paradoxe du nouveau pouvoir exécutif dans le constitutionnalisme sénégalais. Pour rester dans le leadership politique, ma spécialisation, je dirais comme John Maxwell qu’avec un chef on obéit ; avec un manager on réfléchit ; et avec un leader on grandit ».
Mais au-delà de la disparition consacrée dudit poste, il faut y voir une stabilisation institutionnelle et un jeu d’équilibre constitutionnel entre l’exécutif et le parlement. C’est un basculement qui redessine complètement le visage d’un nouveau régime présidentiel typiquement sénégalais. Aujourd’hui, le Président n’a plus la possibilité de dissoudre le parlement. En retour, l’Assemblée nationale ne peut plus déposer une motion de censure pour renverser le gouvernement. C’est là un changement remarquable.
Indubitablement, les prochaines élections consacreront le retour du poste de Premier ministre, Chef de gouvernement. C’est là une quasi-certitude mathématique. En droit, on nous enseigne que : « ce que la loi a fait, seule la loi peut le défaire ». Il suffit d’une nouvelle majorité parlementaire ou d’une simple volonté d’une majorité ancienne et hop ! le tour est joué.
Pour ma part, je ne vois pas d’impératif catégorique qui commande la reconduction statutaire du poste de Premier ministre, douze mois après sa suppression. J’ai été dix ans dans l’aide à la décision politique et institutionnelle au sommet de l’Etat, je vous dirais prudemment qu’il ne faut jurer de rien. Surtout avec l’indéchiffrable Macky Sall !
JDJ