Dakarmidi – Jeudi 26 septembre 2002. Une date. Un drame. Une histoire inoubliable. l’une des plus lourdes de conséquences que le monde a connues. Le naufrage du bateau « Le Joola » dans les eaux gambiennes résiste à l’usure du temps. Et sa commémoration, chaque année, réveille en nous Sénégalais, un sentiment de détresse et de désolation et soulève des questions auxquelles on peine toujours à trouver des réponses.
L’annonce du chavirement du bateau « Le Joola » a été comme un coup de massue. Au fil des heures, les chiffres relatifs au nombre de disparus grossissaient; le bilan officiel (et exact?) faisait froid dans le dos. Plus de 2000 âmes périssent dans la profondeur de l’océan qui allait devenir la tombe pour la plupart d’entre elles. Des corps sans vie repêchés, des disparus qui avaient embarqué et dont on a perdu les traces, des personnes plus chanceuses rescapées, le listing des chiffres de la tragédie provoquait un haut-le-cœur. Le Sénégal est touché, dans toute ses composantes, la faucheuse s’est emparée d’une quantité énorme de vies sans se soucier de leurs classes sociales, leurs ethnies et leurs religions. Ce jour-là plus que jamais, le pays était uni et communiait dans la tristesse.
« Le Joola », un souvenir douloureux
Chaque année, depuis 2002, le 26 septembre nous arrache des souvenirs douloureux. Même dans la peau des naufragés, on s’imaginera mal l’horreur qu’ils ont du vivre. Mourir dans l’eau, cette eau-là même qui est source de vie en temps normal, constitue l’une des pires façons de trépasser. Des cris de détresses, des appels au secours vains, et puis…la résignation face à des vagues hostiles. La brise naguère si amicale reste neutre, laissant la place au vent violent qui continuait son œuvre. Rien qu’à imaginer les conditions dans lesquelles ces milliers d’âmes sont mortes, ça nous fend le cœur.
La commémoration de l’anniversaire du naufrage « Le Joolaa » est devenue comme un rituel dont nous profitons pour renouveler, impuissants de faire revenir ces vies perdues, notre compassion aux familles éplorées, à tout le peuple donc. Compassion pour ces étudiants à qui la vie tendait la main et qui n’auraient jamais l’opportunité de réaliser leurs rêves. Peut-être même que certains d’entre eux ambitionnaient de travailler dans le domaine maritime. Compassion pour ces pères et mères de familles qui n’ont pas eu l’occasion de donner un dernier sourire d’adieu à leurs progénitures. Compassion aux jeunes, moins jeunes, vieux et vieilles qui ont perdu des piliers qui tenaient fièrement leurs familles.
Difficile de se rappeler cette tragédie du bateau « le Joolaa » sans penser à ces milliers d’âmes innocentes qui ont été sevrées du regard maternel de façon brutale. Ces orphelins dont ceux qui étaient nourrissons au moment des faits atteignent aujourd’hui l’âge de la majorité méritent toute la considération de la République. Même si nul n’est assez grand pour occuper la place d’un parent, le fait pour la République de les adopter, d’en faire des Pupilles de la Nation , peut être d’un soulagement à ne point négliger. Certes le vide que crée l’absence d’un parent est impossible de combler mais l’initiative étatique d’accompagner ces jeunes garçons et filles impactés est à saluer à sa juste valeur.
Des questions sans réponses autour du bateau « le Joola »
Il est connu de tous que le naufrage du bateau « le Joolaa » est une conséquence d’un laisser-aller érigé en politique. Il révèle non seulement le manque de sérieux des responsables du navire mais aussi l’irresponsabilité à un niveau central. Aussi bien le ministère de tutelle dirigé alors par Youba Sambou que l’équipage du bateau, tous ont été coupables de mettre dans les eaux un moyen de transport souffreteux sur le plan technique. On se rappelle bien la sortie musclée du président Wade, fustigeant la surcharge et l’absence d’entretien du navire, au lendemain du naufrage. Comment peut-on comprendre en vérité que le bateau puisse faire le double de sa capacité? On se pose toujours la question.
On se pose aussi la question relative à la responsabilité de chacun. Pourquoi, en dehors de la démission des ministres Youssoupha Sakho (Equipement et transports) et Youba Sambou (Forces armées), il n’y a pas eu de sanctions sur le plan judiciaire? Dans un pays sérieux, bien des responsables seraient poursuivis pour homicides involontaires. On a beau mettre cette tragédie dans le registre d’un destin qui devait implacablement s’appliquer, cela ne dédouane pas les autorités aux affaires, le 26 septembre 2002. Pourquoi le bateau n’est-il pas repêché jusqu’ présent des eaux où il dort comme un mort?
Tant que des réponses ne sont pas apportées à ces questions, et des conséquences tirées, le Sénégalais continuera d’adopter une attitude qui défie toute logique. Cette attitude qui est plus que d’actualité, et qui consiste à surcharger les moyens de transport et à laisser circuler ceux qui sont bons pour la ferraillerie, dans le seul but de gagner plus d’argent. Gouverner c’est prévoir l’irréparable.