L’éducation a toujours été un enjeu de taille dans le monde. Elle a, au cours de l’histoire, mobilisé des États, des organismes régionaux ou internationaux, voire des organisations non gouvernementales. Cela témoigne de sa place prépondérante. Son développement a toujours été dynamique, il n’a pas été statique. Bien au contraire, l’éducation, partout dans le monde, à un moment donné de l’histoire, parvient à s’adapter aux évolutions et aux attentes de la société concernée. Le cas du Sénégal est très illustratif et parlant. Il est marqué par beaucoup de réformes, nous pouvons en citer notamment les États généraux de l’éducation et de la formation de 1981. Toutes ses avancées ou vicissitudes sont fonctions du cadre juridique. Autrement dit, le droit à l’éducation dispose d’une réglementation qui l’encadre.
C’est dans cette optique que le cadre juridique du droit à l’éducation au Sénégal devient un sujet d’analyse à notre niveau.
Par cadre juridique, on peut entendre l’ensemble des règles de droit qui encadrent un secteur ou un domaine bien précis. Par rapport au terme droit à l’éducation, nous pouvons l’appréhender par l’ensemble des mesures allant dans le sens d’assurer à tous les enfants la possibilité de se scolariser et de se former.
Faire un tel travail revient à ressortir la richesse des dispositions juridiques du Sénégal dans le domaine de l’éducation. De plus, c’est une occasion de jauger le cadre juridique national aux conventions internationales en la matière.
C’est ce qui nous pousse à nous poser la question suivante : quelle est la teneur du cadre juridique du droit à l’éducation au Sénégal ?
Pour répondre à cette interrogation, nous verrons les normes constitutionnelles (I) et les normes législatives (II).
I) Les normes constitutionnelles
Le préambule (A) et le corpus constitutionnel (B) feront l’objet de notre analyse dans cette partie.
A) Le préambule
La valeur juridique du préambule a connu des controverses doctrinales. Cependant, au Sénégal, ce problème a été résolu par le Conseil constitutionnel en 1993 à travers deux décisions. Donc, à l’image des dispositions constitutionnelles, le préambule s’impose et revêt une valeur constitutionnelle, par conséquent, il s’impose à toutes les autres normes de droit. À noter aussi que la réforme constitutionnelle de 2016 a consacré clairement ces deux décisions en affirmant que le préambule est partie intégrante de la Constitution.
En rapport avec notre étude, le préambule de la Constitution du Sénégal fait référence à des textes internationaux qui garantissent le droit à l’éducation. Ils accordent un privilège non négligeable à ce droit. À ce titre, notre préambule se fonde tout d’abord sur la Convention internationale des droits de l’enfant. À la lecture de son article 28, nous pouvons noter son objectif fondamental d’ériger l’éducation en droit essentiel pour l’enfant. Elle exige également des États parties de rendre l’éducation non seulement accessible, mais aussi gratuite, pour que tous les enfants puissent avoir le même droit de se former.
Au-delà, nous notons la même logique avec l’invocation de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes. Ainsi, à l’article 10 de cette convention, nous pouvons estimer les mesures exigées à l’État afin d’éliminer toutes discriminations entre les hommes et les femmes dans le domaine de l’éducation. D’ailleurs, c’est un texte qui a toujours été l’instrument phare des acteurs engagés en faveur de la scolarisation des filles. En réalité, compte tenu des stéréotypes liés à leur instruction, le contexte sénégalais, voire africain est un peu particulier, d’où pour ces acteurs de brandir ce texte et de rappeler à l’État de se conformer à ses exigeances. En tout état de cause, les autorités ont à travers cette convention un véritable vecteur de promotion et de renforcement du droit à l’éducation des jeunes filles.
Hormis cela, indirectement, le Préambule prend en charge de nombreux instruments juridiques internationaux qui reconnaissent le droit à l’éducation des enfants. En effet, « le peuple souverain affirme son adhésion aux instruments internationaux adoptés par l’Organisation des Nations unies et l’Organisation de l’unité africaine ». Sous ce chapitre, nous pouvons mettre l’accent sur la Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant adoptée par l’OUA en 1998. Bien qu’elle ne figure pas dans le préambule, elle est la principale norme de droit spécifique et catégoriel en faveur des enfants africains.
Au demeurant, le Préambule participe et encadre le droit à l’éducation. Autrement dit, il peut servir de base pour la compréhension du cadre juridique de l’éducation au Sénégal. C’est dire que la Constitution est le premier
Instrument juridique à l’interne traitant vigoureusement le droit à l’éducation. Des dispositions constitutionnelles confirment bien évidemment cette réalité.
B) Le corpus constitutionnel
L’article 8 de la Constitution énumère une myriade de droits et libertés que l’État doit garantir aux citoyens. Parmi ces droits, figure celui relatif à l’éducation. Dans la même dynamique, l’article 21 indique à l’État et aux collectivités publiques leur responsabilité quant à l’éducation des enfants. C’est dans le même ordre d’idées qu’on peut lire l’article 22. C’est en ces termes qu’il décrit le devoir de l’État : « L’État a le devoir et la charge de l’éducation et de la formation de la jeunesse par des écoles publiques ». En son alinéa 2, il précise que tous les garçons et toutes les filles résidant sur le territoire sénégalais bénéficient de ce droit fondamental qui leur garantit l’accès à l’éducation. En outre, malgré le caractère laïc de l’État, l’article 22 de la Constitution reconnait en son alinéa 3 « les institutions et les communautés religieuses ou non religieuses comme moyens d’éducation ». Et à l’article 23, la possibilité est donnée aux particuliers d’ouvrir des écoles privées avec l’onction et le monitoring de l’État.
En somme, nous venons de voir les dispositions constitutionnelles traitant le droit à l’éducation. Il est clair que la Charte fondamentale consacre et même privilégie l’éducation des enfants. Elle pose certes les bases sur lesquelles le droit à l’éducation doit se reposer, mais la réalité est que ce droit a toujours connu des entorses, ce qui met en évidence le hiatus entre les énoncés de la Constitution et la dure réalité des faits. Cela met en valeur certaines idées reçues qui ne sont point en faveur du droit à l’éducation de l’enfant. Face à une telle réalité, au-delà de la Charte fondamentale, il faut mettre l’accent sur la législation.
II) Les normes législatives
Nous verrons ici la Loi d’orientation nationale sur l’éducation nationale de 1991 et des dispositions particulières modifiées en 2004.
A) La Loi portant orientation de l’éducation nationale
La loi n° 91-22 du 16 février 1991 portant orientation de l’Éducation nationale n’est qu’une norme d’application de la Constitution qui ne dégage que les grands principes. Au législateur donc de matérialiser les objectifs de ces principes. Elle est le support sur lequel on peut saisir la vision du Sénégal dans
le secteur de l’éducation et, surtout, elle permet de comprendre l’importance accordée à ce droit des enfants.
Sur ce, l’article 3 est une continuité de la constitution. Ainsi, il énonce un principe consistant pour l’État à être garant de la mise en pratique de ce droit, tout en précisant que l’initiative privée est bien admissible avec l’autorisation et le contrôle de l’État.
Le principe démocratique de l’éducation est consacré par l’article 5. Il considère d’ailleurs l’éducation comme un « droit reconnu à tout être humain de recevoir l’instruction et la formation correspondant à ses aptitudes sans discrimination de sexe, d’origine sociale, de race, d’ethnie, de religion ou de nationalité ».
Dans une logique d’affirmer les valeurs sénégalaises et africaines, le législateur décrit à l’article 6 l’éducation comme un vecteur au service de notre vécu historique, mais aussi de notre appartenance et identité. Le législateur rejoint ici la Charte africaine des droits et bien-être de l’enfant. Il exprime en outre l’appartenance du Sénégal à la communauté de culture des pays francophones, mais aussi son ouverture aux autres civilisations.
B) La loi n° 2004-37 du 15 décembre 2004.
Cette loi a apporté des modifications aux articles 3 et 4.
En 2004, l’article 3 a connu une modification. De ce fait, il interpelle à la fois l’État et les parents. En effet, il indique que la scolarisation est obligatoire entre 6 et 16 ans. C’est à ce titre qu’il incombe aux autorités de maintenir les enfants se trouvant dans cette tranche d’âge et de rendre la réalisation de ce droit gratuite, la gratuité de l’enseignement dans les établissements publics. Vis-à-vis des parents. Il est ordonné au-delà de l’inscription de veiller à l’assiduité des enfants à l’école, tout en prenant les mesures idoines pour qu’ils ne quittent l’univers scolaire avant l’âge de 16 ans. Il énonce au surplus que « tout enfant âgé de moins de 16 ans et n’ayant pu être maintenu dans l’enseignement général est orienté vers une structure de formation professionnelle ».
Même son de cloche à l’article 4 qui a connu une abrogation de ses anciennes dispositions pour mettre en exergue un principe essentiel du droit à l’éducation au Sénégal : le caractère laïc du système scolaire. Cependant, pour les parents qui le souhaitent, il est prévu une éducation religieuse optionnelle pour les enfants. Cet article est en parfaite conformité avec la Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant, qui ne réfute pas l’enseignement suivant la religion ou la culture.
Toutes ces dispositions développent les règles qui gouvernent le droit à l’éducation. Nous notons quelque part une volonté progressiste du législateur avec la Loi n° 2004-37 du 15 décembre 2004. Elle symbolise le souci permanent de l’État de juguler le décrochage scolaire, c’est une vision centrale dans la compréhension de la politique éducative au Sénégal.
Au terme de l’analyse, nous pouvons noter ensemble que le Sénégal dispose d’un arsenal juridique consistant qui assure le droit de tout enfant d’être scolarisé. De la constitution à la législation, il est clair que sur le plan du droit, il existe un riche dispositif traitant ce droit conféré aux jeunes.
Toutefois, il est évident que la réalité n’est pas aussi reluisante que les dispositions de cette Loi. Le principe démocratique qui encourage l’accès de tous les enfants aux services scolaires connait bien certainement des limites. Il est clair que tous les enfants du Sénégal n’ont pas cette même facilité. Si certains sont bloqués par des croyances hostiles à la scolarisation, d’autres ne bénéficient pas dans leur contrée des infrastructures leur permettant d’acquérir du savoir dans des conditions propices à la réussite et à l’épanouissement scolaire. Dans ce cas précis, d’une part, la communauté est interpellée et, d’autre part, la responsabilité de l’État est directement engagée.