C’est aux environs de 05 heures du matin que la famille est réveillée par des personnes venues les déloger. « La maison va être démolie », c’est la seule réponse que les résidents de cette dite maison ont obtenue après de nombreuses interrogations sur cette intrusion faite chez eux. Ayant refusé de se plier à leur volonté, il n’en a pas fallu longtemps pour que leurs affaires se retrouvent à la rue.
Surement alertés par le bruit du Caterpillar et de l’effondrement de la maison, les voisins se sont tous rués dehors. Et si on se réfère à ces derniers, ils sont dans la rue depuis l’aube. Après 6 heures de démolition, le Caterpillar est parti. Résultat, la maison est complètement détruite ne laissant pas la possibilité de deviner le plan initial.
10h46, ce vendredi, 5 février 2021, le quartier de Fann Hock est bondé de monde. Juste au niveau de la corniche, plus précisément vers le tunnel, se tient une voiture de police plantée à l’angle afin de freiner les manifestations qui ont découlé de cette démolition de maison.
Tout le quartier semble s’être figé à la même place ; en face de la maison familiale des Gningue, la maison démolie. Des visages meurtris par la douleur, d’autres par le manque de sommeil, des yeux rouges dus par les pleurs, des habillements typiques de pyjamas, c’est le résultat de cette longue journée qui a commencé depuis l’aube pour les habitants de ce quartier. Des matelas, des ustensiles de cuisines, des habits, des bouteilles d’eau vides, tout cela entassés dans la rue, devant des immeubles voisins, ou encore au sein de certaines maisons avoisinantes, c’est le décor dans lequel se tenait tout ce grand monde, assistant ainsi à ce déguerpissement à leur plus grand désarroi.
Retrouvée en larmes, les yeux bouffis, tous rouges, sa réaction nous a laissé croire qu’il s’agit d’un membre de la famille mais il n’en est rien. Habillée d’une robe voile de couleur marron avec des motifs en forme de fleurs, Adja Niang est une voisine. Ses pleurs sont justifiées « c’est dur, c’est vraiment difficile, je ne connais pas tout ceci. Je n’habite pas dans cette maison mais nous avons grandi ensemble. Leur maman est venue très jeune dans cette maison. Elle s’est mariée très jeune et a eu tous ses enfants ici, elle y a vécu jusqu’à sa mort. Elle n’a jamais cessé de se démener pour sa famille et c’est le cas pour leur père ».
Retenu chez des voisins, Boubacar Gningue est le fils aîné de la famille. Habillé tout en noir d’une veste en cuir, d’un pull col roulé ainsi que d’un jean noir, il est revenu sur l’origine de ce litige. « C’est un frère de mon père qui a vendu la maison. Il a pu se procurer un papier « original » en se servant d’une photocopie que lui avait remise mon père. L’explication qu’il a donné pour qu’on lui donne un papier « original », c’est qu’il a perdu le vrai alors que c’est nous qui détenons le papier original de la maison puisqu’une partie de la maison appartient à mon père qui l’a reçu en cadeau de la part de son père. A la mort de mon grand-père, lors du partage de l’héritage, cette même partie appartenant à mon père n’a pas été inclus dans le partage car ne figurant plus dans les biens de mon grand-père. Une situation qui a été acceptée de tous. Aujourd’hui, nous avons perdu notre maison alors qu’on a reçu aucune sommation nous notifiant un quelconque ordre de libérer la maison ».
Sanou Gningue, petite sœur du père de famille, semble être perdue. Dans un pull gris, accompagné d’un pagne en wax, la main portée à sa joue, isolée devant la porte d’un des immeubles voisins, le regard dans le vide, elle exprime son désarroi. « C’est extrêmement dur ce que nous subissons. Je n’ai pas grandi dans cette maison mais j’y habite depuis la naissance de mes enfants. Même si cette histoire dure depuis longtemps, nous sommes quand même secoués par la tournure. Là, nous ne pouvons que nous en remettre à Dieu ». Elle lance cette dernière phrase tout bas avant de retrouver sa position.
Cette histoire de maison a fait beaucoup de victimes. En effet, cette famille vit depuis plusieurs mois, beaucoup d’événements tragiques. Après qu’ils aient appris la vente de leur maison, ils ont eu une confrontation avec la police. Lors de cette confrontation avec les forces de l’ordre, des bombes lacrymogènes ont été lancées dans la maison, cela a causé il n’y a pas longtemps la mort de leur mère, nous confie Boubacar Gningue. « Ils ont bombardé notre maison de lacrymogènes, ma mère a eu peur ce jour-là et en est morte ».
Leur père a été emprisonné pendant plus de 11 mois et a été libéré il y a moins d’une semaine. Son emprisonnement est également lié à cette histoire de maison. Selon Boubacar, il a été accusé de devoir de l’argent d’une somme de deux millions au « nouveau propriétaire » de la maison. Somme qu’ils ont dus payés afin qu’il soit libre. Le plus triste dans cette histoire, « cette maison vendue et démolie aujourd’hui qui en retour nous appartient, nous n’en avons rien reçu, même pas un franc ».
Boubacar semble être déterminé à se faire justice lui-même car il a crié haut et fort « qu’il n’y a pas de justice dans le pays ». « Je suis allé voir plusieurs autorités comme Pape Diop, le Grand Serigne de Dakar Abdoulaye Makhtar Diop, le Jaraaf Youssou Ndoye. Plusieurs avocats, dont le défunt Khassim Touré, ont porté cette affaire pour nous défendre. J’ai sollicité tellement de personnes qui se sont engagées à m’aider mais ça n’a abouti à rien. Et là, on a détruit ma maison, tué ma mère, emprisonné mon père et je dois rester calme et ne rien faire. Si le Sénégal ne se prononce pas sur cette affaire, je vais moi-même le régler et à ma manière ».
En attendant qu’une solution leur parvienne, la famille Gningue reste encore sous le choc et continue de garder espoir quant à la suite des événements.