A l’occasion de la célébration de la journée mondiale de la liberté de la presse, ce 3 mi, Bamba Kassé, secrétaire général du syndicat des professionnels de l’information et de la communication (Synpics) a lancé un message poignant aux journalistes sénégalais. Nous vous proposons l’intégralité de son texte.
Chers amis,
Nous voici une nouvelle fois face au rituel de la célébration du 3 Mai, la journée mondiale de la Liberté de Presse.
Partout dans le monde dit libre, des discours sont produits, des messages initiés et diffusés, des initiatives de revendication ou de réitération du sacro saint principe de la Liberté des Médias, prises.
Chers amis, chez nous au Sénégal, ce 3 mai est particulier à plus d’un titre. Non pas parce que nous sommes tous englués dans les travers des conséquences de la pandémie du Covid19, mais parce que à y regarder de près, le début de 2020 s’avère être une période de paradoxes pour ce qui est de la liberté de la presse.
2020 devait être dans notre calendrier, l’année de la consécration de notre nouvel écosystème institutionnel des médias avec la mise en application effective du Code de la presse, la mise en place de la HARCA en remplacement du CNRA, l’amorce de la réforme du code de la publicité et le début de la régularisation des cartes nationales de presse.
Sans oublier d’autres chantiers comme la mise sur pied d’une sorte d’assurance maladie pour les travailleurs des médias et leurs familles.
En lieu et place qu’avons nous obtenu ? A part une amélioration de notre classement dans le registre « Reporters Sans Frontières » où le Sénégal est passé de la 49e à la 47e place dans l’indice de la liberté de presse, notre pays fait du surplace.
Les réformes institutionnelles qui devaient se matérialiser par la mise en application de textes consensuels sont encore à l’arrêt. Cette inaction charrie le plus grand danger qui guette l’avenir de la presse : l’Incertitude !
Incertitude quant à la pérenité de son modèle économique chahuté par son manque d’ancrage à la digitalisation. Notre presse n’a pas assez apprivoisé le numérique qui pourtant sera la plateforme de diffusion par essence dans un avenir très proche.
Ce qu’on appelle trivialement ‘’presse numérique’’ ou en ligne, ne fait l’objet d’aucun encadrement au point que les sites internet qui pour la plupart ne répondent pas au vocable ‘’entreprise de presse’’, se débattent dans la mare de ‘’l’Infodémie’’ et le ‘’Buzz Système’’ non pas pour informer, mais orienter. Ou désorienter.
Le décret portant statut de l’entreprise de presse devrait permettre de régler ce problème. Il est toujours malheureusement dans des tiroirs.
L’autre décret portant mise en place du Fonds d’Appui et de développement de la presse, un outil indispensable pour accompagner l’initiative de création des médias d’un genre nouveau, ou qui au moins devrait permettre aux médias existants de pouvoir amorcer leur mutation économique réelle, manque toujours à l’appel.
Dans un contexte où les sociétés d’information voient le jour pour réclamer plus de considération économique, où le débat ailleurs est de voir comment contraindre les GAFAM à rémunérer à leur juste valeur les médias qui leur fournissent du contenu, le surplace qui sévit dans notre pays est inquiétant. Doublement inquiétant lorsqu’on se remémore les mots du Président de la République demandant le 1er mai 2019 à ses ministres de la communication et du Travail de faire le Job.
Un an après, à l’actif du premier nous notons un arrêté mettant en place la commission nationale de la carte de presse, et pour le second, nous pouvons souligner les efforts administratifs qui aboutiront « si tout se passe bien » à l’arrêté d’extension de la Convention Collective des travailleurs du secteur des médias.
Chers membres de la famille des médias, dignes travailleurs souvent méprisés – la plupart du temps en violation flagrante de la Loi – la partition de chacun d’entre nous est attendue pour, qu’ensemble on provoque le dernier acte de sursaut qui devra faire de notre pays un exemple achevé de démocratie.
Qui dit démocratie dit presse libre. Qui dit presse libre, parle d’une liberté fondamentale : celle d’assurer le contrôle des productions d’information par des professionnels assujettis aux règles éthiques et déontologiques.
Sommes-nous dans ce cas lorsque l’on voit de plus en plus de publications gérées par des lobbies et des intérêts économiques et politiciens ? Dans un pays où l’actionnariat des médias est occulte l’information peut elle être fiable ? Lorsqu’un ancien ministre reconverti en homme d’affaires ou porteur de valise met en place un organe médiatique n’est-il pas légitime de se demander si ce média produit de l’information ou si au contraire il n’est qu’un outil pour faire passer des messages ?
Que dire alors de ce phénomène qui a été vécu avec acuité lors de la dernière présidentielle, en février 2019 ! Des médias et non des moindres qui se mettent ostensiblement au service d’un des camps engagés dans la course au scrutin ! Ce, au nez et à la barbe d’un organe de Régulation dépassé puisque dépossédé de tout pouvoir réel de coercition et dont la composition aurait été, de toutes les manières, perçue comme un frein à la neutralité.
En ce jour de célébration de la Liberté de Presse partout dans le monde, faisons ensemble un serment. Jurons d’expier de ce secteur les intérêts partisans qui bloquent le processus de renouvellement de notre écosystème. Barrons la route à la routine paresseuse d’un journalisme de ‘’compte-rendu’’. Remettons nous tous ensemble sur la ligne de départ pour une Presse de Qualité, dotée de moyens économiques mais aussi et surtout légaux et règlementaires pour lui permettre de faire son travail, son seul travail : Informer Juste et Vrai !
Ceci n’est pas un cahier de doléances, mais une feuille de route, à amender au besoin, pour que la Liberté de la Presse au Sénégal, notre cher pays, ne soit pas seulement une date inscrite dans un calendrier de festivités et de commémoration, mais une réalité quotidiennement vécue. Pour le bien exclusif de notre Démocratie.
Bamba Kassé
SG Synpics