Dans son œuvre centenaire riche et utile à l’Afrique (sur le plan politique, éducationnel, diplomatique, du développement social etc…), figurent en bonne place l’introduction de la Finance islamique en Afrique et l’excellence de ses relations avec les chefs religieux depuis les années 50.
Qu’Allah accorde sa miséricorde à ce grand homme, serviteur de son pays à travers des générations.
Ce Mardi 24 Septembre j’avoue que je ne savais pas quoi répondre quand vers les coups de 8 heures du matin, sa fille Dr Awa MBOW Kane me lance au téléphone : « Lamine, vous avez perdu votre papa ». Ni quand 5 minutes plus tard, l’ex Ministre des Finances Amadou Kane me présentais ses condoléances, avant de me demander d’informer mon père Serigne Mame Thierno ainsi que le Khalif Général des Mourides du décès de ce grand homme.
J’ai pour la première fois rencontré M. MBOW dans une belle villa de Rabat au Maroc, en 1998 accompagné de mon père Serigne Mame Thierno (Khalif de Cheikh Awa balla à Darou Marnane).
Je débarquais fraichement de Charlotte, North Carolina (USA), après avoir « paid my dues » (souffert ) pendant près de quatre ans dans l’infernal « Corporate America » des grandes entreprises de l’Oncle Sam où j’étais recruté après mon MBA de l’État de Virginie, USA.
Mon père m’avait demandé de revenir au Sénégal et me recommanda suite à notre rencontre, de recueillir les conseils du sage M. MBOW pour la suite de ma carrière. Ce fut le début de beaucoup d’entretiens avec lui de Paris à Dakar à sa résidence du point E. Entretiens qui montraient sa vivacité d’esprit, sa sagacité et sa pertinence malgré son âge. Entretiens riche d’histoire bien évidemment, on discutait des contentieux qu’ils réglait entre les USA et l’Iran, des idées préliminaires pour la création de l’OCI et de la BID entre lui et le roi Fayçal, puis le roi FAHD, de son séjour à Cuba pour rencontrer Fidel Castro et pour ensuite passer voir BeBe Doc en Haïti. Faute de relations diplomatiques entre les deux pays il devrait faire un détour vers les USA pour revenir en Haïti qui se situe non loin de La Havane, finalement ses relations personnelles avec les deux leaders que tout opposait lui permettaient de trouver un accord pour qu’un des deux lui permettent de faire le vol direct avec l’avion présidentiel. Enfin les dessous du conflit passionnant entre les USA et les pays du tiers monde pour son retrait comme secrétaire General de l’UNESCO. Eh Oui ! aimait il dire souvent. En fait, Eh Oui ! Doyen Makhtar était un grand homme !
L’idée de lancer la Finance Islamique :
Un jour lors de nos discussion, il me demanda à propos de ma situation professionnelle. Je me réjouissait d’avoir intégré la Citibank Dakar depuis mon retour des USA et étant à 32 ans Directeur de Département Cash Management puis PME. Il m’expliqua alors que lors de son séjour à Darou Mousty dans les années 50, il avait tissé d’excellentes relations avec mes grands-pères Serigne Modou Awa balla, Serigne Modou Habib et Serigne Cheikh Awa Balla, entres autres.
La remarque qu’il me fit était que la finalité des efforts de tous ces grandes figures était pour le bien-être du pays ou d’une génération mais jamais pour des besoins familiales ou personnelles .
Alors « Lamine », me sermonnait-il, « la Citibank c’est bien mais, à l’image de tes grands pères tu devrais porter un projet important pour le pays et la Umma mais non de te contenter d’un bon salaire, d’une bonne maison et d’une bonne voiture ».
Ce message percutant n’avait cessé de revenir dans mes pensées surtout lors de mes veillées nocturnes à l’Hôtel de HILTON à Istanbul en 2002, où, je séjournais pour 40 jours pour une formation interne de la Citibank nommé « Core Credit ».
Cette formation fut l’occasion de rencontrer plusieurs collègues de la Citi du continent et du Moyen Orient dont ceux de Citi-Islamic à Bahrain. Elle m’a permis de découvrir ainsi l’existence de la Finance Islamique conforme à la Charia et pratiquée par l’une des meilleures banques du monde.
Cette découverte m’avait percuté mentalement autant que le remarque de M. MBOW, seulement cette fois, l’occasion était toute trouvée de risquer le challenge de démarrer le grand chantier d’introduire la Finance Islamique en Afrique de l’Ouest, histoire d’essayer de me conformer aux vertus de mes grands-pères. Je me savais entrepreneur de toute façon, confirmé par tous les tests psychotechniques que mes employeurs m’avaient fait passer aux USA après mon recrutement.
Grâce au challenge que Amadou Makhtar MBOW m’avait posé, J’avais pris la folle décision de démissionner de la Citi et d’explorer ce chantier au Sénégal et en Afrique de l’Ouest.
M. MBOW qui m’avait déjà trouvé un rendez-vous à Istanbul avec Kamal EKmeldine, alors Secrétaire General de l’OCI, me proposa de me trouver un RV avec le Premier Ministre Mahathir en Malaisie, pays le plus avancé dans le domaine de la Finance Islamique alors. Après sa réunion de Djeddah avec le cercle restreint des sages de l’OCI dont if faisait partie, il me confirma le RV avec le Premier Ministre Mahathir à Putrajaya (nouvelle capitale politique de la Malaisie à côté de Kuala Lumpur).
Après notre rencontre fructueuse, TUN DR Mahathir me mis en rapport avec l’Institut Malaisienne de Finance Islamique dont l’approche très pragmatique vu le développement fulgurant de cette industrie financière, était centré sur l’approche « Advisory and Training » pour développer une masse critique de professionnels du secteur rapidement en conseillant le gouvernement et les régulateurs sur les aspects macro-économiques.
Ceci conduit à la naissance de l’Institut Africain de Finance islamique (AIIF Advisory and Training) avec l’aide du Secrétaire Général du Ministère des Finances d’alors M. Oumar Sylla. Le Forum de l’AIIF qui s’ensuivit en 2010 a produit un ensemble de résolutions par le gouvernement et le secteur privé qui ont jeté les bases de cette industrie en Afrique de l’Ouest suite au coup de pouce de M. MBOW et la forte recommandation de Serigne Mourtada Mbacke fils de khadimou Rassoul.
En 2014, M MBOW était le parrain de la cérémonie de remise de diplômes de l’Institut AIIF, dont la plupart des récipiendaires étaient des cadres de la Banque Islamique du Sénégal.
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Amadou M. MBOW, un fin technocrate haut fonctionnaire de l’administration française avec d’excellents rapports avec les chefs religieux et les agriculteurs.
M. MBOW m’a confié un jour que son père était en contact avec le vénéré Cheikh Ahmadou Bamba à Diourbel dans le cadre de son travail et le Cheikh avait dit à ce dernier que dans sa famille quelqu’un atteindrait les plus sommets de l’éducation au niveau mondial. Il s’est rappelé de cette promesse le jour de son accession à l’UNESCO, plus haute sphère de l’Éducation dans le monde.
Il tissa des relations avec Serigne Fallou alors Khalife des Mourides en lui amena à bord de sa 4×4 de travail de Darou Mousty à Touba, le diner du premier Laylatoul khadre organisé par la Sainte Sokhna Maimounatou Mbacke fille cadette de Khadimou Rassoul (épouse de Serigne Cheikh Awa Balla).
Ses veillées nocturnes à Colobane à la résidence de Serigne Cheikh MBACKE Gaiendé Fatma avec beaucoup d’intellectuels de son temps comme Cheikh Anta Diop et Maitre Abdoulaye Wade ainsi que ses relations avec Serigne Cheikh Asta Dièye, très ambitieux fils ainé de Serigne Modou Awa Balla à Darou Mousty sont passionnants à écouter.
Un jour j’ai rencontré le Dr Ciré Ly chez lui et il lui avait signifié que j’étais petit fils de Serigne Bassirou. Il s’ensuivit de merveilleuses histoires racontées entre eux et le Saint de Diourbel, histoires similaires qu’il partageait avec la famille Omarienne, la communauté Khadria, ou la confrerie Tidjianiya.
Lors d’un séjour à Darou Marnane Cheikh Awa Balla (à 16 Km de Darou Mousty dans la région de Louga) en 2002 chez mon père Serigne Mame Thierno, il signa le livre d’or de la Bibliothèque de la Mosquée et demandant à l’ISESCO de l’équiper ce qui fut fait dans un délai très court. Mon père lui proposa de d’aller à Darou Mousty voir Serigne Moustapha Absa an passant par Fass Touré. Une fois à Darou, le khalif d’alors Serigne Abdou Khoudoss (alors souffrant) lui rappela au téléphone deux événements majeurs de son histoire dont l’un concernait les rapports de son père avec Cheikh Ahmadou Bamba.
Après sa visite de deux jours , Serigne Mame Thierno demanda à l’État du Sénégal cette année-là de baptiser le CEM de Darou Marnane CEM Amadou Makhtar MBOW, ce qui fut fait.
Par ailleurs, le vieux Makhtar m’a dépêché plusieurs fois vers le Khalife des Mourides Cheikh Sidy Makhtar Mbacke, pour par exemple lui présenter un draft de la constitution proposée issue des Assises nationales en lui demandant son avis, ou pour l’interpeller sur des sujets qui impactaient la population du Sénégal. A titre d’exemple, il me demanda un jour de demander au khalif de parler au Président de la République pour protéger le foncier du pays face aux pays étrangers qui trouvaient le moyen de s’accaparer les terres de l’Afrique à travers des projets. Leur approche étant sous tendu par des ’études géopolitiques occidentales prédisant un déficit en nourriture dans le monde dans les décennies à venir.
Bref, M. MBOW avait une vision claire de l’avenir de l’Afrique, capitalisée à travers sa formation, son expérience, l’exercice du pouvoir au plus haut niveau national et mondial, doublée d’une pluridisciplinarité et d’une connaissance du pays et de nos peuples, dont les intellos de sa génération comme Abdoulaye Wade et Cheikh Anta Diop semblaient avoir l’apanage.
Jeunesse et Éducation au début et à la fin.
Mes entretiens avec M. MBOW débouchaient régulièrement sur l’éducation des jeunes, d’ailleurs l’éducation de base était son poste travail à Darou Mousty dans les années 50. La nécessité d’éduquer et de former les jeunes africains était pour lui une priorité.
Un célèbre professeur de l’université de Harvard prédisait dans une conférence à laquelle j’avais assisté à Riyadh en 2017 que la jeunesse de la population africaine permettrait de résorber le gap de développement de nos pays de manière exponentielle en comparaison aux étapes vécues par les pays développés (le concept de Leapfrog en anglais), si une politique de formation de base et des technologies de l’information était bien structurée envers cette jeunesse. A défaut soulignait-t-il, cette jeunesse pourrait être une bombe à retardement capable d’exploser à tout moment.
L’actualité du Braça ou Barzakh est un signal fort d’une jeunesse en déchéance, sans éducation, ni éducation spirituelle, culturelle académique ou professionnelle, mais une jeunesse abandonnée au côté négatif des nouvelles technologies ( réseaux sociaux négatifs et obscénités) à défaut de les orienter vers le côté positif de ceux-ci.
Amadou Makhtar MBOW était avant tout un spécialiste de l’Éducation. Il n’a cessé de prêcher pour l’éducation des jeunes. L’Éducation est la base du développement.
Qu’Allah lui accorde sa miséricorde et le récompense pour tous les bienfaits consentis à son peuple.
Mouhamadou Lamine MBACKE
Président de l’Institut Africain de Finance islamique
AIIF- Advisory and Training.
Lamine.aiif@gmail.com