Dakarmidi – Au Sénégal les partisans de Macky Sall le félicitent comme si ce dernier avait réussi un formidable coup diplomatique alors que la Gambie a échappé belle, à un bain de sang terrible qui n’allait épargner aucun pays de la sous-région. Et cela a été évité de justesse grâce à des négociations souvent teintées de mascarade, de jeu de ping-pong, avec des acteurs qui partagent une même région mais qui ne s’entendent presque sur rien. Voici le récit d’une folle semaine, qui a enregistré le déplacement de près de 50 mille gambiens vers le Sénégal, l’exil temporaire vers Dakar du Président Adama Barrow, un peuple serein lâché par son nouveau commandant, un dictateur déchu qui a quitté le navire sous une terrible pression, des dirigeants africains « soifs » de vengeance, sans contrôle et d’autres plus posés, préservant leurs intérêts, qui ont, par la magie d’un miracle, venu du ciel , évité l’embrasement de toute une sous-région, laissant place finalement à un épilogue heureux.
LES VENDREDIS DE JAMMEH, « UN SPADASSIN » AUX MULTIPLES FACETTES •••
Un fait assez spécial a attiré l’attention de certains observateurs et impressionné quelques-uns d’entre eux qui l’ont pris comme une marque profonde qui caractérise le personnage énigmatique de Yaya Jammeh. Notons ensemble qu’il ne s’habille qu’en grand boubou blanc, les rares occasions qu’il change de tenue vestimentaire, Jammeh se met aux couleurs d’une organisation qu’il veut soutenir. Il a toujours entre les mains, un chapelet, un exemplaire du Saint Coran et son étrange canne dont jamais personne n’a réussi à percer le mystère. Il était redouté, mais affichait une foi inébranlable à sa religion. Ce qui d’ailleurs fut à l’origine de l’adoption en Gambie du statut de « République Islamique ». Il aime cette religion, s’y identifie et accorde un intérêt particulier au vendredi, jour saint et mémorable dans l’Islam. D’ailleurs, il a reconnu sa défaite un vendredi après la présidentielle de début décembre, il est revenu sur sa décision un vendredi et toujours devant les mêmes caméras de GRTS, Yaya Jammeh a annoncé un vendredi qu’il était prêt à quitter la Gambie, pour dit-il, lui éviter un bain de sang. La personnalité de Jammeh est un cas d’école, que l’histoire retiendra et fera retenir à tous, même si ses humeurs et ses caprices ont poussé une majorité de personnes à le taxer de sanguinaire, de dictateur, de spadassin, etc
POURQUOI ADAMA BARROW A QUITTÉ LE
NAVIRE EN PLEIN NAUFRAGE?Sauver sa peau c’est ce que le nouveau Président élu a fait. Le mot n’est pas assez fort. En pleine crise gambienne, la CEDEAO est venue chercher Adama Barrow prétextant le sommet France-Afrique qui se tenait à Bamako, pour ensuite transférer le « colis » à Dakar. Empressé de venir au Sénégal, M. Barrow a même oublié de facto, d’organiser sa famille politique pour lui éviter d’éventuelles représailles, que beaucoup, finalement ont subies à son absence, exactions perpétrées par le régime « militarisé » du dictateur. Un capitaine ne quitte jamais son navire en plein naufrage, cela présage de mauvais augures. Le séjour d’Adama Barrow Dakar, qui a duré 10 jours, fut glamour à tel enseigne qu’il y avait pris goût, malgré cette forte tension qui secouait la Gambie et son peuple. Il a même prêté serment à Dakar et est reparti dans son pays après que la CEDEAO ait sécurisé le périmètre. Macky Sall a, comme dans le panthéon des hommes en colère, pris sa revanche sur Jammeh, en empruntant le tunnel du droit international, installant Barrow à la tête d’un pays « marasmique », au bord de la faillite.
MACKY SALL – YAYA JAMMEH :
UN JEU DE POKER •••Le Chef de l’Etat sénégalais a eu raison sur Jammeh. Son rôle a été déterminant dans la résolution de la crise post-électorale gambienne. Il a la particularité d’être le président de la République du Sénégal, seul pays frontalier avec la Gambie. Au-delà de cette liaison géographique, le Sénégal est lié à la Gambie par des liens historiques et séculaires qui unissent leurs deux peuples, qui ont pratiquement les mêmes modes de vie. Seulement, Macky Sall et Yaya Jammeh n’ont pas réussi à verser leurs relations personnelles dans cette grâce infinie, la marque de fabrique de leurs peuples. Ils n’étaient plus en odeur de sainteté et se regardaient presque tout le temps, en « chien de faïence ».
Plus audacieux, Jammeh quelques fois, menaçait même son homologue, sans raison aucune. Et Macky Sall a toujours su faire preuve de retenue, préférant laisser au juge « temps » trancher. Jusqu’arrive le temps de la crise et que lui soit donné les pleins pouvoirs pour défaire le dictateur, en le sanctionnant d’une lourde sentence, que l’enfant de Kanilai a toujours du mal à ingurgiter. Et cela a choqué Jammeh qui, durant les premières heures de la médiation, a clairement fait savoir au président Nigérian qu’il ne se mettrait jamais autour d’une table de négociation avec Macky Sall. Mais malheureusement pour lui, C’est son «ennemi juré» qui va conduire les choses d’une main invisible mais puissante, pour le faire partir du pouvoir. Macky Sall à distance, lui mènera une farouche lutte, réglant de fait, avec lui, un vieux compte personnel. Jammeh, incapable, ne pouvait plus arrêter cette machine lancée contre lui. Et par procuration, Macky Sall a ouvert un combat psychologique rude et parfois « déloyal » qui a poussé Jammeh à abdiquer.
POURQUOI JAMMEH N’A PAS FAIT
CONFIANCE À L’AMNISTIE DE BUHARI?Il était bien parti pour être le sauveur de Yayha Jammeh et au-delà, le messie de la crise pour avoir été au début, le médiateur désigné par la CEDEAO, mais le Président Buhari s’est aussitôt heurté à l’intransigeance de Jammeh, qui a fait montre de peu d’élégance envers ce patriarche de la sous-région très respecté pour ses qualités et pour le grand rôle de son pays en Afrique de l’Ouest. Il avait réussi à obtenir du parlement nigérian en urgence, carte blanche pour garder Jammeh en sécurité, à l’abri de toute poursuite à l’issu de la médiation qu’il avait entamée et qui lui avait valu des va-et-vient incessants, alors que son pays subit au même moment, les contrecoups de la secte Bokoharam qui ronge la totalité de ses secteurs clés.
Beaucoup d’observateurs avaient analysé la volte-face de Yahya Jammeh comme une marque d’inquiétude quant au sort que lui réserverait son successeur, Adama Barrow. Il faut rappeler que le camp du vainqueur avait, quelques jours après l’aveu de sa défaite, annoncé qu’il serait poursuivi, pis, la CPI qu’il venait de quitter pourrait prendre en charge son dossier. Dès lors, le président Nigérian pensait pouvoir compter sur des garanties sûres, pour convaincre Jammeh par l’asile qu’il a fait voter par le parlement Nigérian. Mais tous ses efforts ont été vains, Jammeh n’a pas fait confiance à ses tractations et a été plus coopératif avec les présidents de la Guinée et de la Mauritanie, avec qui, ils forment un trio dont les membres au-delà de leur « qualité » sont liés par des « business » si florissants.
LE CAS MANKEUR NDIAYE •••
Mankeur a fait toute sa carrière dans la diplomatie sénégalaise, il connaît les moindres astuces de ce secteur est malheureusement passé à côté dans le règlement de la crise gambienne. Il était présent et absent en même temps lors des pourparlers. « Nous avons toujours eu des relations apaisées avec la Gambie et le président de la République Macky Sall a effectué sa première visite officielle en Gambie. Nous avons toujours adopté une attitude de paix par rapport à la Gambie et n’avons jamais répondu aux provocations du président Yaya Jammeh », avait expliqué le chef de la diplomatie sénégalaise à l’aube de la crise. Ainsi sans le dire, il reconnaissait qu’il y’avait bel et bien conflit entre les deux pays ou du reste entre les deux chefs d’Etat qui n’ont pas réussi à surpasser cet obstacle et lui, s’est engouffré dans cette brèche par imprudence. Par des déclarations excessives, Mankeur Ndiaye a failli allumer le pétard, puisque le revirement de Yaya Jammeh les avait plongés dans une grande colère, qui avait fini par les obnubiler, les poussant à adopter instinctivement des positions indignes de grands dirigeants qui aspirent à la paix et à la stabilité de la sous-région.
ALPHA CONDÉ ET ABDUL AZIZ, LE DUO
QUI A ÉPARGNÉ LA SOUS-RÉGION
D’UN EMBRASEMENTIls ont été les boucliers de Yaya Jammeh ces deux intervenants de dernières minutes qui, à la suite de leur médiation menée nuitamment, ont réussi à faire entendre raison à l’enfant de Kanilai lui, qui avait fait monter les enchères dans un premier temps, par un comportement unanimement décrié envers les présidents du Nigéria et du Libéria. Et même si ces manœuvres laissent des doutes chez certains observateurs, il est à noter que ce coup de maitre réussi par Condé et Aziz a permis à la Gambie de résoudre son problème sans effusion de sang car le pays n’était plus qu’à quelques heures du chaos. A l’arrivée, le résultat a été à la dimension de l’attente, l’offensive diplomatique déployée a pu honorer la démocratie et la sauver des avatars de l’intervention armée. Ils auront réussi à venir en rescousse à Yaya Jammeh, empêtré dans le bourbier de la Cédéao, à éviter l’irréparable même s’ils n’auraient cependant pas dû par le concours du Président Déby, affréter un avion-cargo pour faciliter l’évacuation des biens de Jammeh, (des biens supposés appartenir à la Gambie). Leur intervention cache un parfum de deal, eux et Jammeh sont liés par des business hautement stratégiques.
L’ÉLÉMENT DU PUZZLE AUQUEL
PERSONNE NE S’ATTENDAIT,C’est vraiment l’élément inattendu du puzzle, qui, sorti de nulle part et en dernier lieu, a pourtant joué les grands rôles, dans la résolution de la crise. Yahya Jammeh et le président équato-guinéen, Teodoro Obiang Nguema Mbasogo ont quelque chose en commun, le fait d’être tous deux des dictateurs soifs de pouvoir et qui règnent en main de maitre sans partage dans leur pays respectifs. Et comme qui se ressemble s’assemble, les deux autocrates, sont de grands amis et leur amitié qu’ils ont sans doute développée en toute discrétion a sauté au grand jour, circonstance oblige et cela en dit long sur les relations personnelles des dirigeants africains qui trament en privé des choses contraires à ce qu’ils démontrent en public. Evoquant l’inutilité de la confrontation militaire le président Equato-guinéen a affrété à son tour, son avion à Jammeh, lui a accordé l’asile, et l’a mis dans des conditions royales de séjour avec une sécurité garantie au summum. Il ravit ainsi la vedette à tous ceux qui sont passés par là, et obtient de Jammeh ce qu’il a refusé à Buhari. Seul Jammeh cependant peut expliquer un tel choix.
ADAMA BARROW POURRA-T-IL RÉELLEMENT
ASSURER PLEINEMENT SA FONCTION
DE CHEF D’ETAT?Adama Barrow a su décrypter les codes et signaux et demander aux forces de la Cédéao de rester six mois encore en Gambie pour aider l’armée gambienne à se structurer et le pays à se stabiliser. Ni lui ni aucun membre de son gouvernement ne peuvent être à l’abri quand on sait que Yahya Jammeh a pris 22 ans pour configurer le pays à sa volonté et à sa mesure. Il avait fini de « jammehiser » les institutions, la société, tout roulait à la vitesse qu’il avait imposée. Difficile de recoller les morceaux en des semaines, il faut véritablement prendre des mois pour d’abord « nettoyer » la société avec l’aide des forces de la Cédéao et puis après, déclencher avec tous les fils du pays, de nouvelles visions qui reposent sur une refondation des bases de la société gambienne. Cela veut simplement dire qu’Adama Barrow a du pain sur la planche, un énorme travail l’attend en Gambie ou les séquelles de cette crise vont sans nul doute s’apparenter aux mesures folles et farfelues de Jammeh qui durant 22ans, a tenu en otage un peuple entier.
Papa Ibrahima Diassé