La crise actuelle qui frappe les médecins en spécialisation au Sénégal n’est pas simplement l’affaire d’un groupe de professionnels en quête de meilleures conditions de travail. Non, il ne s’agit pas d’une élite prétentieuse, mais bien de dignes fils et filles du pays, qui, après un long chemin semé d’embûches, se sont engagés à servir leur patrie et à être au service de leurs concitoyens. Leur combat est celui de la dignité, de la reconnaissance, et surtout de la responsabilité envers les populations.
Car les grands perdants dans cette impasse sont multiples. Le système de santé sénégalais, d’abord, qui s’affaiblit, faute de conditions attractives pour ses futurs spécialistes. La gouvernance médicale, ensuite, qui vacille, laissant de jeunes médecins naviguer entre vocation et désillusion. Mais les premières victimes de cette crise, ce sont surtout les citoyens eux-mêmes. Ces hommes, femmes et enfants pour qui l’accès à une couverture sanitaire de qualité n’est pas un privilège, mais un droit fondamental. Ces communautés, en particulier dans les zones reculées, souffrent déjà d’un manque de spécialistes et méritent un système qui fonctionne pour eux.
Les solutions existent. En s’inspirant de l’expérience marocaine, le Sénégal pourrait transformer cette crise en une opportunité de renouveau pour sa gouvernance médicale. Dans un modèle où les médecins en spécialisation bénéficient de contrats clairs, d’une rémunération stable, et d’un engagement temporaire dans le secteur public avant d’accéder au secteur libéral, chacun y trouverait son compte. Une cartographie des besoins de santé permettrait de planifier le nombre de places pour chaque spécialité, assurant ainsi une répartition équilibrée des spécialistes dans le pays. En d’autres termes, il s’agit d’unir nos efforts pour combler les déserts médicaux et répondre aux attentes des citoyens.
La grève des médecins en spécialisation au Sénégal soulève une question fondamentale : comment garantir une formation de qualité, tout en répondant aux besoins vitaux de notre système de santé? Cette crise met en lumière l’urgence d’un changement de cap. La solution ne réside pas seulement dans des revendications salariales ; elle appelle une refonte de la trajectoire professionnelle des médecins, de leurs conditions de travail et, surtout, de leur place dans notre société. Le Maroc a su relever ce défi.
Ainsi, il est essentiel de repenser le parcours et le statut de ces médecins en formation. En s’inspirant des pratiques mises en place au Maroc, plusieurs pistes de réforme peuvent être envisagées pour répondre aux attentes des DES tout en renforçant notre système de santé.
1. Réduire les inégalités d’accès aux soins par un service public obligatoire après la spécialisation
Pour améliorer l’accès aux soins dans les zones démunies, un service public obligatoire pourrait être instauré pour les médecins nouvellement spécialisés. Ils exerceraient dans des établissements de santé régionaux pendant une durée déterminée (par exemple, quatre ans), avant d’avoir la possibilité de s’installer en libéral. Cette mesure contribuerait à réduire les disparités d’accès aux soins sur l’ensemble du territoire.
2. Formaliser des contrats de travail pour les résidents
La mise en place de contrats de travail pour les résidents en spécialisation renforcerait leur sécurité financière et professionnelle. Ces contrats incluraient une répartition claire du temps de travail (48 heures hebdomadaires maximum), des indemnités de garde, et un repos post-garde obligatoire de 12 heures. Cela apporterait également une reconnaissance officielle à leur statut et à leur contribution dans les établissements publics.
3. Valoriser le statut et le rôle des DES
Les internes en Diplôme d’Études Spécialisées (DES) jouent un rôle essentiel dans les établissements hospitaliers. Reconnaître leur statut d’agents de l’État en leur attribuant un matricule de solde et une prime de motivation hospitalière renforcerait leur engagement et faciliterait leur intégration dans le système de santé. Cette valorisation contribuerait également à attirer davantage d’internes, répondant ainsi aux besoins en ressources humaines des hôpitaux.
4. Encourager la mobilité internationale des DES dans le cadre de leur formation
Pour enrichir leur spécialisation, les médecins en formation pourraient bénéficier de stages à l’étranger, organisés via des accords bilatéraux. Ce droit à la mobilité internationale favoriserait le développement de leur expertise en leur offrant des perspectives d’apprentissage diversifiées. Les établissements d’accueil et les coordinateurs de formation seraient mobilisés pour faciliter ces démarches, garantissant ainsi un accès effectif aux stages internationaux et renforçant les compétences des futurs spécialistes.
Il est important de noter qu’au Sénégal, la convention hospitalo-universitaire n’existe plus. Ce décret, qui encadrait les relations entre les hôpitaux et les universités pour la formation des médecins, a été abrogé, laissant un vide dans la structuration des parcours de spécialisation et la coordination des missions hospitalières et universitaires. Il est temps de remettre ce sujet sur la table des autorités pour garantir un cadre formel aux résidents en formation, assurer une qualité de soins et de formation, et renforcer le lien entre enseignement médical et pratique hospitalière.
Chères autorités, rappelons qu’un système de santé affaibli, c’est la porte ouverte aux inégalités, à la précarité sanitaire, et au renoncement aux soins pour les plus vulnérables. Restaurons la confiance entre l’État et ses jeunes médecins, et donnons à notre gouvernance médicale les moyens de ses ambitions. Il s’agira d’apporter une réponse forte, durable et équitable, afin de mettre fin à cette crise et de faire en sorte que les Sénégalais puissent bénéficier d’une couverture sanitaire optimale.
Fatou Oulèye Sambou
Journaliste, Écrivaine
Experte en Communication