La pandémie de COVID-19 nous a montrés que :
Tous les pays participent sur un pied d’égalité dans la recherche de solutions pour faire face à la pandémie. Les différences se situent au niveau des moyens mobilisés. Et il n’est pas démontré que plus de moyens mobilisés engendrent de meilleurs résultats. Exemple : le Sénégal qui a commercialisé un test de dépistage très peu coûteux et ultra-rapide. Ou Madagascar avec sa tisane qui semble donner de bons résultats. On est en présence de situations d’innovation frugale (faire mieux avec moins), c’est-à-dire des solutions plus simples, plus efficaces, utilisant moins de ressources, sans transiger sur la qualité ;
• Le « one size fits all » ne semble pas adapté. Les modèles de prévision sur le comportement de l’épidémie dans les différentes populations ne semblent pas tout à fait validés partout – ou bien le temps d’incubation est plus long dans nos pays ou les modalités de contamination sont différentes. Il est clair que nous n’avons pas encore pris toute la mesure de la pandémie et de son mode de diffusion dans les différents pays du monde. Un fait important à signaler : les premiers élans de solidarités sont venus de nos pays. C’est Cuba, petit pays caribéen, mais grande nation, qui a été le premier apporter secours aux Italiens pendant que tout le monde cherchait à se recroqueviller à l’intérieur de ses frontières nationales ;
• Toutes les nations n’ont pas suivi strictement le même protocole par rapport à la pandémie. Sur ce registre, les pays asiatiques semblent avoir beaucoup mieux résisté que les autres. Le Vietnam qui partage une grande frontière avec la Chine ou même Taiwan très proche sont deux pays avec les taux de contamination parmi les plus faibles du monde ;
• Tout ce qui est dit plus haut confirme, une fois de plus, que c’est en trouvant des solutions nationales à des problèmes nationaux que chaque pays peut faire une contribution utile à l’humanité. Covid-19 nous a montrés, s’il en était besoin, que la manière d’aborder le problème sanitaire ne devrait pas être trop différente de la manière d’aborder celui de l’économie. Chacun doit trouver des solutions à ses problèmes et par ce fait même, aux problèmes communs à l’humanité. ET, c’est là, un enrichissement pour tout le monde.
L’après COVID et l’économie
Les points de vue divergent donc quant aux conséquences économiques et sociales post-COVID, surtout pour les pays du Sud. Je ne traiterai partiellement qu’un aspect de la question, principalement en rapport à ce qu’il faudrait faire pour relancer l’investissement productif dans tous les secteurs de l’économie tout en cherchant à réduire les inégalités dans la distribution des revenus. Je prendrai Haïti comme cadre de référence pour l’analyse.
Il est prévu déjà que le PIB mondial va chuter de 8 à 10 %. Du jamais vu ! même comparé avec la période de la grande dépression des années 30. Le pire est possible !
De plus, la financiarisation de l’économie prend des proportions préoccupantes. Avant, le capitalisme industriel reposait sur l’expansion de la production, le capital, c’est-à-dire, l’argent réinvesti devrait permettre d’augmenter la capacité de production, et, par ricochet, la quantité réelle de biens produits. Avec la financiarisation massive de l’économie, il n’est pas nécessaire de passer par la production de biens réels pour faire fructifier le capital. La simple circulation du capital crée du capital neuf. C’est la spéculation qui fait augmenter la valeur d’un actif. Le risque qui est associé à cet actif est très élevé et sa valeur dépend de la confiance que ses détenteurs lui portent, ses variations étant déterminées par les rumeurs qui nourrissent les anticipations. Ce qui le rend très volatile et renforce les deux tendances majeures du capitalisme :
• L’instabilité ;
• Les inégalités.
Alors, peut-on dans ces circonstances, au niveau mondial, reprendre tout comme avant ? Comment doivent réagir les pays du Sud? Faire comme au temps des programmes d’ajustements structurels ou l’ensemble des pays étaient invités à suivre un modèle unique lors même que les niveaux de développement institutionnel sont très différents et les problèmes sociaux et politiques ne se posant pas avec la même acuité ? Nous savons que ce procédé promu et imposé par les institutions internationales et validé par les élites dirigeantes nationales a provoqué beaucoup de fragilités sociales et économiques. Ces dernières sont sources de conflits sociaux qui rendent les pays ingouvernables.
Il est venu le temps d’arrêter de définir les politiques nationales en fonction des seules injonctions des besoins des marchés mondiaux sans tenir compte des préoccupations nationales en matière de santé, d’éducation, de nutrition des populations, ou relatives à l’environnement. Nous devons cesser de considérer les questions nationales qui intéressent vraiment le bien-être des populations comme des questions secondes.
Quelles leçons tirer pour la politique économique dans nos pays.
Je crois que COVID –19 offre une occasion unique aux pays du Sud de se réinventer et de mettre en place de manière concertée un modèle économique qui permette de mobiliser leurs ressources stratégiques de manière plus intelligente au bénéfice de toute la population. Pour ce faire :
Il leur faut innover partout, surtout sur le plan du financement de l’économie :
• en faisant évoluer le rôle de l’État en tant qu’investisseur-partenaire et accompagnateur du secteur privé en vue d’encourager des investissements dans les infrastructures, la recherche, l’agriculture, l’éducation et la santé, etc.;
• en faisant la promotion et en aidant au développement du modèle coopératif dans tous les domaines de l’investissement, chaque fois que c’est nécessaire, en vue de démocratiser l’accès au capital et permettre aux travailleurs de participer aux revenus du travail et du capital, et réduire les inégalités dans la distribution des revenus dans la société. L’exemple Mondragon, dans le pays Basque Espagnol, peut beaucoup servir de cadre de référence à cette transformation radicale qui permettra de mettre l’économie aux services des populations et non le contraire. Dans ce modèle de « capitalisme coopératif » que « the Guardian », journal anglais, qualifie « de récession proof corporation », le revenu le plus élevé, celui du CEO, est de seulement 8 fois celui du salarié de base. Ce coefficient multiplicateur est de 350 dans l’économie américaine. Ce ne sont pas les 1% des actionnaires qui prennent toutes les décisions parce que détenteurs des 2/3 du capital ou plus, c’est l’ensemble de la coopérative qui prend, de manière démocratique, toutes les décisions sur la base du nombre de votes exprimés non sur celle du poids du capital détenu. Joseph A. Schumpeter, économiste américain d’origine autrichienne, analysant les cycles économiques, dans son maitre-livre publié en 1942 (capitalisme, socialisme et démocratie), relie les grandes fluctuations observées à l’apparition d’innovations majeures au sens où elles modifient profondément positivement les structures de l’économie, chaque fois que le système semble s’essouffler et menace de s’effondrer. Ces innovations qui provoquent la « destruction créatrice » ont permis au capitalisme de se renouveler de l’intérieur et se maintenir au cours du temps. Il est donc venu le temps de profonds changements dans le fonctionnement de l’économie pour que l’ambition portée par le projet démocratique et la devise adoptée par les Républiques Française et Haïtienne – liberté, égalité, fraternité – puissent devenir une réalité dans la vie de tous les peuples et de tous les groupes sociaux. C’est une condition pour un retour à la paix, à la prospérité partagée et à la stabilité. Personne n’a vraiment fait le dos rond par rapport au comportement à avoir face à la pandémie. Les pays du Sud doivent s’organiser et se concerter pour tirer le maximum de profit de cette « belle opportunité » en négociant, comme il se doit, avec l’ensemble des partenaires – les institutions internationales en tête – en vue de sortir du piège de l’impotence réelle ou fantasmée de l’action politique à cause des contraintes supposées de la mondialisation.
Les rapports avec les institutions internationales doivent aussi être revisités et les modèles de coopération profondément repensés. A ce propos, ce n’est pas l’annulation des dettes qui résoudra nos problèmes de financement, bien au contraire, elle ne fera que renforcer la dépendance…. Il faut à nos pays une vision partagée sur les politiques publiques pour transformer nos économies et nos sociétés.
Il y a des conditions critiques à l’avènement de cette nouvelle économie
Ces changements majeurs, pour être légitimes et emporter l’adhésion du plus grand nombre, doivent se faire dans la plus grande transparence. C’est pourquoi, il est fait une troisième recommandation (qui est):
Que pour toutes les grandes décisions en rapport aux marchés publics et aux participations de l’Etat dans un partenariat public privé, que des « Comités de Délibération » soient mis en place. Ces comités sont composés de l’ensemble des parties prenantes du secteur et des représentants de la société civile concernés par la question, une manière d’éviter les risques de manipulation de l’opinion et la perception et les accusations de corruption tout en renforçant la confiance de la population dans les politiques publiques.
Personne ne peut dire avec certitude ce qui adviendra demain. COVID-19 a servi de révélateur de ce qui ne marche pas dans nos sociétés et a ouvert de formidables boulevards de possibilités pour l’action réformatrice aussi bien à l’échelle nationale qu’internationale. Sachons en profiter !
Opinions du Prof Wilson LALEAU
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