Dakarmidi- Une affectueuse pensée à tous les lecteurs et à toutes les lectrices du monde.
J’aime lire et c’est le malheur de ma vie. Que dis-je ? Je suis heureux malgré la critique de mon entourage qui voit dans la lecture une activité aérienne et sans prise avec la réalité concrète qui, en dernière instance, devrait être, à ses yeux, la seule chose qui mérite intérêt.
Le différé dans un vécu humain est ce que nous vivons à l’instant alors que la nature l’a projeté sur nous, en notre vie, depuis des années. Un sentiment d’épanouissement intégral m’habite en redécouvrant le livre qui a forgé mon amour pour la lecture. Voici un fait qui donne sens au plaisir aristocratique d’une enfance orpheline qui aspirait à la découverte d’une terre affectueuse.
En classe de sixième, mon cousin, Malick Ndaw, m’avait filé, dans un acte de grâce, deux livres. L’un traitait des questions électorales au Sénégal. L’autre est le roman qui aura une incidence décisive dans ce qui adviendra de moi depuis. Le nouveau juge est un roman que j’ai lu avec les yeux d’un élève moyen, mais mon cœur y fut porté jusqu’au-delà du récit. J’ai vécu le destin du personnage principal dans mon univers intérieur.
Je voulais, moi, devenir avocat pour défendre les victimes, les exploités, ceux qui sont au rabais d’une société trop fière de sa justice mercantiliste. J’ai peiné en voyant le mortel sort réservé à un père de famille qui eut le malheur d’être né pauvre et de le demeurer. Loin de moi, l’idée de désespérer de la justice. Mais celle des hommes a tout pour nous rebuter dans bien des cas. Le cas Meursault dans L’étranger est emblématique. Dans son propos liminaire, l’auteur est implacable avec les mots pour dire ce qui doit être. Ainsi, consigne-t-il : « La justice est l’honneur d’un pays. Elle concerne chaque citoyen, même le plus misérable. Les immenses pouvoirs que la toge confère à ceux qui la portent ne sont rien à côté des devoirs qu’elle leur impose. ». Œuvrer pour la justice et pour elle seule est la difficile mission que doit remplir toute personne qui officie dans le temple de Thémis. Notre auteur de poursuivre pour dire le sens de sa prise de plume : « J’ai tenté à travers ce livre de montrer combien il est difficile, voire douloureux de parvenir à la juste pratique de la première des vertus. ».
Croire en son destin et tâcher de mener sa vie à la mesure de ce que l’on a à être. La vie est une aventure certes, mais elle est faite du fil que nous avons sous la main. Telle est la leçon que livre la trajectoire du personnage principal. L’étoile qui brille pour nous dans le firmament est le héraut de Dieu à notre endroit.
De la fiction à la réalité, j’ai fait mon chemin en allant au tribunal départemental de Sédhiou alors que j’étais en classe de 6ème au collège Amadou Mapathé Diagne de Sédhiou. Par chance, mercredi était journée sans cours pour moi. Et c’est ce jour que le jugement avait lieu dans la grande salle du tribunal. Je devais surement être l’un des plus jeunes à y aller à l’époque. Sacré magie de la plume. Un roman venait de m’orienter vers un lieu complexe et déroutant à bien des égards.
La société est le cocon qui nous édifie. De persona comme masque, nous enfilons des toges pour porter un jugement sans y avoir parfois droit. Ainsi est la vie qu’elle nous place dans des situations ambiguës.
Au nom de la distribution des rôles, j’ai assisté à un jugement où tour à tour, je me suis demandé si vraiment nous sommes justes avec nous-mêmes. Pour la petite histoire, j’ai vu une dame qui osa jurer sur la tête de ses cinq bouts de bois de Dieu alors qu’en fin de compte elle s’apprêtait à mentir. Extrême indignation chez moi qui pensais que la vie d’un fils est au-dessus de toutes les visées terrestres.
C’est terrible et inadmissible de constater qu’au tribunal, les hommes sont prêts à y vendre leur âme au diable. Il y a de quoi être inquiet quant à la valeur de la vérité dès lors qu’elle est mise en relation avec cette folle envie de se tirer d’affaire par tous les moyens.
Non, je ne serai pas avocat et cette toge noire assortie d’une belle bande blanche à l’épaule ne sera pas l’habit sacerdotal dont l’enfilement a habité mes nuits. C’est là, en tout échec, la mort de mon premier amour voulu et choisi.
En relisant les premières lignes de ce magnifique roman d’Amadou Ousmane dans l’enceinte de la bibliothèque centrale de l’Université cheikh Anta Diop de Dakar, j’ai mesuré, en ce mercredi 11 juillet, le temps ainsi parcouru avec d’énormes chutes et rechutes sur cette voie de la réussite scolaire que la société, sans me demander ce qui m’intéressait, exigeait de moi des résultats honorables.
Bien évidemment, ne pas être avocat pour plaider au prétoire n’est pas la limite de mes rêves. Une autre cause, un autre combat pour un idéal humain s’est offert à moi. Je l’ai épousé avec toute la sincérité de mon âme. L’univers de la classe et des amphithéâtres est le moule dans lequel ma vie fut, est et sera pétrie jusqu’à ce que la terre, en mère naturelle, me porte en son sein sans assombrir ce que mon esprit a reçu et a donné aussi pour mon bien et celui des hommes.
Ibou Dramé SYLLA
11 juillet 2019