Dakarmidi- À un mois de la date officielle de l’élection présidentielle sénégalaise de 2019, interrogations, craintes et/ou colères s’emparent d’une large fraction du peuple sénégalais. Des manifestations empreintes de violences ont eu lieu, à Dakar, ces jours derniers. Des bus « Dem Dikk » ont été caillassés, des sièges sociaux de partis politiques-dont ceux de Khalifa Sall, de Pape Diop et de l’APR- saccagés, des pneus brûlés…Une atmosphère insurrectionnelle?
Pourquoi? N’y a t-il pas lieu d’y remédier? Si oui, comment?
Ces faits font suite aux différentes invalidations de candidatures à ladite élection.
-Le 26 décembre constituait la date limite de l’officialisation des candidatures à l’élection présidentielle de 2019, par un dépôt, à Dakar, de dossiers de candidature auprès du Conseil constitutionnel. A cette date, vingt-sept (27) candidatures ont été enregistrées -dont celles de trois femmes..
-Le 3 janvier 2019 : il a été annoncé que huit (8) d’entre elles avaient été retenues provisoirement. Parmi celles-ci, trois (3) devaient être ré-examinées -à condition que les dossiers leur correspondant soient complétés par de nouveaux parrainages.
Les critères de validation des candidatures n’ayant pas été rendus publics, cela suscita une première vague de colère ayant entraîné des prises de position médiatisées de l’opposition regroupée dans le Front national de résistance (FNR). Elle fut
suivie d’ une deuxième, lorsqu’il fut annoncé que parmi les « trois (3) candidatures ré-examinées », deux étaient retenues par le Conseil constitutionnel, réduisant le nombre des candidats à sept (7), avec zéro femme. De là, une grande marche de l’opposition qui se déroula le 12 janvier dernier.
-Le 14 janvier 2019 : deux des candidatures retenues, en premier lieu, furent invalidées. Il s’agit de celles de M. Khalifa Sall (a) et de M. Karim Wade, leaders des deux plus grandes formations politiques de l’opposition.
-Le 21 janvier 2019 : le Conseil constitutionnel confirme la liste des cinq (5) candidats retenus pour présidentielle de 2019. Il s’agit de MM. Madické Niang, Issa Sall, Macky Sall, Idrissa Seck et Ousmane Sonko.
Tels sont les effets partiels d’une loi votée sans débat -la loi sur le parrainage relatif à l’élection présidentielle sénégalaise et dont le contrôle de l’applicabilité a échappé totalement aux vingt-six candidat-e-s de l’opposition, c’est-à-dire à l’ensemble des candidat-e-s, hormis le président-candidat.
N’ y a t-il pas lieu de remédier à cette situation caractérisée par la violence?
Pour répondre à cette question, il est, au préalable, à demander en quoi consistent cette loi sur le parrainage (cf. code électoral L.57) et son applicabilité d’une part et d’autre part comment le Sénégal en est arrivé là.
De la loi sur le parrainage et de son applicabilité
Dans l’article L57 du code électoral sénégalais, il est écrit ceci : « Tout Sénégalais (b) électeur peut faire acte de candidature et être élu, sous réserve des conditions et des cas d’incapacité ou d’inéligibilité par la loi… Toute candidature à une élection présentée par une coalition de partis politiques légalement constitués ou une entité regroupant des personnes indépendantes est astreinte au parrainage par une liste d’électeurs…. » Le hic réside en ceci : « …Dans le cas d’une présence sur plus d’une liste, le parrainage sur la première liste contrôlée, selon l’ordre de dépôt, est validé et est invalidé sur les autres. Toutefois, si du fait de cette invalidation, une liste n’atteint pas le minimum requis des électeurs inscrits au fichier et ou le minimum requis par région et par commune, notification en est faite au mandataire concerné. Celui-ci peut procéder à la régularisation par le remplacement jusqu’à concurrence du nombre de parrainages invalidés pour ce fait dans les quarante-huit (48) heures… » L’énoncé du traitement du parrainage, incluant la notion d’ordre de dépôt des dossiers de candidature, est sous-tendu par un principe d’inégalité. Tous les dossiers ne sont pas traités de façon identique. Là est le problème. Cette procédure enfreint l’esprit de Droiture.
Toutefois, pour faire accepter cette loi, il a été affirmé, dans les sphères du Pouvoir, et dans des médias sénégalais, qu’elle était calquée respectivement sur la loi française relative au parrainage, en matière d’élection présidentielle et sur celle préconisée en Pologne, relativement à l’ élection présidentielle. Pour ce qui est de la France, pays qui compte environ soixante-six (66) millions d’habitant-e-s, il est demandé aux candidat-e-s à l’élection présidentielle de fournir cinq cents (500) parrainages d’élu-e-s; tout-e élu-e peut parrainer autant de candidat-e-s qu’il/elle le souhaiterait. Quant à la Pologne, pays qui compte trente-huit (38) millions d’habitant-e-s, il est exigé cent mille parrainages émanant de simples citoyen-ne-s. Et à l’instar de ce qui se passe en France, la personne qui « parraine » , en Pologne, a le droit de « parrainer » plusieurs candidatures. Qu’en est-il au Sénégal? Le citoyen-ne qui « parraine » n’a le droit de « parrainer » qu’un seul-e candidat-e. Le système de parrainage sénégalais se révèle très différent de ceux de la France et de la Pologne.
La loi sur le parrainage au Sénégal (code élect.- L 57), indépendamment de la forme machiste dans laquelle elle est écrite, se révèle inique. En tant que telle, elle est scélérate. Elle a permis d’invalider vingt-deux candidatures, sans explication valable. Cela amène à penser, avec l’opposition sénégalaise, qu’elle a été conçue pour éliminer, dans le cadre de la « course au fauteuil présidentiel », de potentiel-le-s concurrent-e-s de l’actuel « président-candidat » .
Vouloir faire passer pour juste une loi injuste ne relève t-il pas de la forfaiture? Et, ce n’est pas parce qu’une loi existe qu’elle ne devrait pas être remise en cause et combattue jusqu’à son abrogation. A preuve, les lois racistes de l’Apartheid qui étaient en vigueur, en Afrique du Sud.
Tout cela explique partiellement et la situation explosive dans laquelle se trouve le Sénégal, et les bagarres menées jusque dans l’enceinte de l’assemblée nationale sénégalaise, durant le printemps dernier, et qui se prolongent.
Comment le Sénégal en est-il arrivé là?
Abstraction faite de la loi sur le parrainage qui n’est que la partie visible de l’iceberg,
les raisons sont multiples. Parmi elles :
-L’existence d’une assemblée nationale constituée à partir d’ élections frauduleuses ne permettant pas d’asseoir une politique démocratique.
-La prolifération de mesures arbitraires.
-Une politique basée essentiellement sur le « familialisme » et sur le copinage.
-L’imbrication de l’Exécutif, du Législatif et du Judicaire.
-Une paupérisation croissante des couches les plus vulnérables de la société sénégalaise.
-Des problèmes persistants en matière d’éducation et de santé (cf. année académique 2017-18 devenue une année banche, à l’ Université Gaston Berger de Saint Louis…).
-Des migrations massives de jeunes.
-La volonté d’un chef d’Etat de se maintenir au Pouvoir par tous les moyens…quitte à neutraliser, par tous les moyens, ses potentiel-le-s concurrent-e-s…
-Le phagocytage de toutes les grandes formations politiques (alliées au régime politique en place ou non), en encourageant la transhumance politique…
-Le passage d’un quinquennat à un septennat présidentiel.
– Le retour à des comportements notés du temps du parti unique (UPS) et prolongés sous la présidence de M. Abdou Diouf, avec des élections frauduleuses (d) et des emprisonnements arbitraires.
-Le développement du tourisme sexuel qui fait des ravages sur l’axe Saint Louis-Ndangane-Iles du Saloum-Cap Skiring.
Tout cela a conduit à une exaspération au sein d’une grande fraction de la population. Une exaspération dont les expressions sont audibles et visibles non seulement au Sénégal, mais également à l’étranger, par le biais d’Internet. Une exaspération compréhensible. Et, dans la mesure où nul ne peut dire de quoi le Sénégal de demain sera fait, il urge de reconsidérer cette situation.
Comment y remédier? Que faire pour que le Sénégal ne devienne une zone de graves turbulences?
Pourquoi ne pas envisager d’instaurer, dès à présent, un climat de dialogue national. En quoi faisant?
-Quoiqu’il soit nécessaire de ne pas avoir un nombre inflationniste de candidat-e-s à la présidentielle sénégalaise, préconiser un ré-examen et une modification de la loi sur le parrainage. Pour ce faire, reporter, sur la base d’un consensus, la date de l’élection présidentielle.
– Déterminer, de façon consensuelle, l’applicabilité de la nouvelle loi qui résultera du ré-examen et de la modification de la loi sur le parrainage.
– Re-définir les prérogatives du Conseil constitutionnel.
– Re-considérer toutes les procédures électorales impliquant le Conseil constitutionnel.
– Instaurer un débat national sur la notion de « nouvelle citoyenneté ».
– Abroger la loi limitant l’âge requis pour se présenter à la présidentielle à 75 ans. Et, sur la base d’un consensus, en faire voter une autre qui en repousserait légèrement la limite (cf. Mandela, élu à presque 76 ans).
– Ré-examiner minutieusement les 22 candidatures invalidées en rapport avec l’éventuelle loi modifiée, et permettre à d’autres personnes voulant candidater de le faire. Rendre transparentes les modalités de validation des candidatures.
– Libérer, conformément à la demande de la CEDEAO, Khalifa Sall; parallèlement, permettre à Karim Wade de rentrer au Sénégal ; accepter que tous deux participent à la présidentielle.
– Adopter le bulletin de vote unique illustré avec des photos des candidat-e-s, pour éviter des dépenses (c) faramineuses à la présidentielle.
– Envisager la tenue, en 2019, de nouvelles législatives, non frauduleuses, qui permettent de disposer d’ une assemblée nationale légitime, au service de la démocratisation de la société sénégalaise.
Face à une opposition sénégalaise qui a toutes les raisons de se rebeller et de se battre en conséquence, et qui a fait sien ce fameux slogan : « QUAND L’INJUSTICE EST LOI, LA RESISTANCE EST UN DEVOIR », l’Etat sénégalais ne devrait-il pas être à son écoute et agir de façon appropriée? ne doit – il pas se souvenir de Zingha, d’ Aoura Pokou, de « 1789 »… et, plus près de nous, de la récente révolte du peuple malgache contre la mal-gouvernance qui prévalait à Madagascar, sous la présidence de Hery Rajaorimampianinaen? Une révolte qui apporta, quoique, durement réprimée, satisfaction au peuple malgache. En effet, le Président Rajaorimampianinaen fut obligé de démissionner. Par la suite, il se po présenta à la dernière présidentielle et fut battu, dès le premier tour du scrutin. L’Etat sénégalais ne devrait-il pas aussi avoir à l’dée le mouvement des « gilets jaunes » qui vient d’amener M. le Président Emmanuel Macron à changer son agenda présidentiel, pour lancer un débat national? Ces deux exemples ont le mérite de révéler au monde entier que le Pouvoir appartient au peuple.
Il y a lieu d’agir, et d’agir vite, non pas à l’image d’un bulldozer qui détruit tout sur son passage, ou d’un fauve qui cherche à faire peur, mais à celle d’un conciliateur soucieux de pacifier toute une société. Agir positivement. Avec une mutualisation de forces endogènes et exogènes démocratiques pour sortir le Sénégal de la situation désastreuse et explosive dans laquelle il se trouve.
Une lutte pour une vraie démocratisation de la société sénégalaise s’est enclenchée, portée par des représentant-e-s de tous ses segments dont une très brave jeunesse. Radicale et soutenue, elle pourrait servir d’exemple ou de modèle à tous les peuples qui ne veulent plus que leurs pays soient considérés comme des républiques bananières. Les pays africains y gagneraient. Tous les autres pays ayant tissé des liens avec eux (commerciaux, culturels, diplomatiques et autres) également.
Un pays se démocratisant -dans la paix- ne vaut-il pas mieux qu’un pays -sous dictature- se transformant en une zone de graves turbulences?
Awa Thiam (anthropologue).