Dakarmidi- « Couché sur une montagne d’or, l’or vous écorche ; sur une montagne de boue, vous en êtes éclaboussé. » Dalai Lama, Du bonheur de vivre et de mourir en paix.
Que le lecteur me pardonne de parler à la première personne du singulier. En effet, le ‘’nous’’ d’un académisme désuet instaure dans bien des circonstances des malentendus entre humains. L’efficacité d’une communication est la compréhension.
Mon propos dans ce texte est centré sur la vie. Je ne l’appréhende aucunement sous la perspective d’une abstraction pure. Je la regarde sous le prisme de l’humain comme acteur. Dans une de mes promenades, je me suis arrêté devant les braves tisserands du Canal 4, non loin du Codesria. En contemplant la dextérité avec laquelle ils accomplissaient leurs ouvrages, je me suis posé la question suivante : Et si cette tâche est une métaphore de la vie ?
Je crois que Amadou Hampaté Ba a déjà évoqué cet aspect dans ses travaux sur les cultures africaines.
De mon côté, j’ai revu ce que Ogotêmmeli a dit sur la cosmogonie dogon par l’entremise de l’anthropologue Marcel Griaule. Amma, la divinité suprême, avait fait le monde présent dans une virtualité d’abord. Ce qui revient à comprendre que toute la vie était construite dans le temps antéhistorique. L’homme vient pour rejouer, sous le mode de l’actuel, ce qui l’a précédé. Ainsi, j’en viens à ce que la vie, dans sa dimension globale, m’a inspiré.
Une certaine distribution manichéenne de notre existence rend plat tout avis fut-il le plus mûri. C’est dans ce cadre qu’il arrive de dissocier les hommes forts et les faibles, les riches et les pauvres, les élus et les damnées, les heureux et les misérables, les beaux et les laides, ceux à qui la vie profite et ceux qui y peinent. Un tel jugement est le propre de celui qui contemple au loin un château doré et connait l’extase. La face visible tient-elle la promesse d’un intérieur de luxe ? L’apparence est souvent l’exact opposé de ce qui est.
Non, rien n’est si facile et confortant qu’une telle attente qui exclut toute négation. Le riche est aussi pauvre que le pauvre est riche. Chacun a un manque dont l’autre est pourvu. L’exemple de la richesse et de la pauvreté indique que la distribution de la vie en Noir/Blanc semble ignorer le contraste. Ce n’est point une juxtaposition des faits, mais leur interpénétration qui fait la vie. La zone indécise est le point de toutes les tensions, c’est la voie qui assure toutes les transitions. Tout passe par lui. Des cimes d’une montagne au basfond d’un abîme, l’homme passera par cette piste, cette région, ce logis qui nie toute distribution duelle. Y demeurer fait de l’homme le témoin privilégié de toutes les aventures. Sophocle, le tragédien grec, qui eut le génie de décrire avec justesse la fureur d’Ajax et les pérégrinations d’Œdipe, sans oublier l’entêtement d’Antigone, a raison de noter qu’« un jour suffit pour faire monter ou descendre toutes les fortunes humaines. ». L’homme qui comprend cela ne vit point dans l’une des parties de cette distribution. Personne n’y vit d’ailleurs. C’est par une vue de l’esprit que l’on pense être dans la zone blanche avec ses lambris dorés ou dans celle noire avec toutes les infortunes. Le trajet existentiel de Jeanvaljean est le prototype d’une aventure qui fait côtoyer la lumière et l’ombre, l’ange et le démon, le juste et son contraire, le bien et le mal.
L’homme est fait à l’image de Dieu. Cela exige une lucidité et un travail intérieur. L’introspection est un voyage qui fait accéder aux profondeurs. Etre au juste milieu est le combat de toute une vie. L’orgueil et le déni de soi sont les extrêmes d’une radicale négation de ce qui est le propre de l’homme, il n’est qu’une image de Dieu. Il a quelque chose qui le rapproche du Créateur. Mais il n’a pas que cela. De là, tout acte qui survalorise ou dévalorise est un écart, une lésion dans le rapport authentique à soi. Ne t’élève pas au-dessus de ta condition, ne t’abaisse pas non plus en deçà d’elle.
Devant lui-même, l’homme qui vit dans la zone indécise qui rejette l’orgueil et le déni de soi dira : « Rabbi labaïka ! Seigneur me voici ! », actualisant, pour ainsi dire, l’extrême compréhension de la vie à laquelle fut parvenu le prophète Job de l’Ancien testament devant l’immense perte de ses biens et de ses enfants.
Voici le bel enseignement d’Almustafa dans Le jardin du prophète de Khalil Gibran :
« Vous rencontrerez tous ceux-là, et d’autres plus mal lotis encore : des boiteux vendant des béquilles, des aveugles vendant des miroirs, des riches mendiant aux portes du temple. Aux boiteux, offrez votre agilité, à l’aveugle votre vue. Et veillez à donner de vous-mêmes aux riches mendiants ; ce sont les plus nécessiteux de tous. ».
La vie est un tissu fait de motifs variés auxquels participent tous les fils. Chaque élément a sa valeur propre qui s’intensifie en participant à la commune valeur. L’homme est porteur de couleur, mais sa couleur n’est vivante que si elle ajoute sa part au collectif. L’arrogance et la suffisance qui peuvent placer l’homme dans la zone blanche ont leurs déclinaisons dans la partie noire. Sourire peu et pleurer souvent font livrer le message de l’âme.
Ibou Dramé SYLLA – Doctorant en Philosophie / Écrivain – Poète