Dakarmidi- Aimé Césaire disait dans un éloquent passage de son Cahier d’un retour au pays natal que « Ma bouche sera la bouche des malheurs qui n’ont point de bouche, ma voix la liberté de celles qui s’affaissent au cachot du désespoir ». A l’instar de Césaire, l’on se propose dans cet article de porter la voix de tous les villages oubliés du Sénégal et de façon plus spécifique ceux dont les réalités nous sont plus familières. Mais on sait qu’ils ont à peu près les mêmes problèmes et partagent le sort d’être très souvent oubliés quand il s’agit de dotation d’infrastructures et ciblés pour objet de manipulation par les autorités politiques en période électorale.
Les villages situés dans la zone nord de Thiénaba font partie de ceux que j’appelle les éternels oubliés du Sénégal. A ma connaissance, il n’y a pas une route ni en goudron ni même en latérite majeure traversant cette zone longue de plusieurs kilomètres. De Thiès à Touba Toul, de Thiénaba à Tivaoune, il n’y a aucune route construite par l’Etat passant par cette localité. Le désenclavement de cette zone par une route reliant Thiès à Touba Toul en passant par Bangadji a été et reste toujours une promesse électorale de très longue date. Toutefois, il faut signaler qu’il y’a une route en goudron, que nous appelons « la route de la honte » qui quitte la ville de Thiès et s’arrête honteusement tout juste après Fandène, le village du maire et ministre des forces armées M. Augustin Tine et celle reliant Khombole à Keur Yaba de l’ancien ministre Mamadou Diop DeCroix et actuellement député à l’Assemblée nationale. On voit alors qu’à part les localités des hommes hautement politiques de Fandène et de Keur Yaba, cette zone reste très enclavée, oubliée.
D’un bas-fond long de plusieurs kilomètres et des sols diors fertils en matière de cultures maraichères et vivrières, cette localité présente des opportunités agricoles très importantes. La culture constitue l’activité principale de la population. Des récoltes abondantes sont enregistrées chaque année mais les populations éprouvent toujours d’énormes difficultés à faire parvenir leurs récoltes aux grands marchés des villes. Leur production pourrit souvent sur place, surtout en période hivernale en ceci que les pistes sont impraticables. Pourtant quand bien même laissés à leur sort, ces villageois font objet de manipulation politique.
Majoritairement analphabète, cette population est très souvent manipulée par les politiciens surtout ceux qui sont au pouvoir lors de leurs éternelles promesses électorales qu’ils ne tiennent jamais. Ils délaissent ces citoyens pour ne revenir les utiliser qu’à la veille des élections. Les seuls contacts qu’ils ont avec les autorités politiques sont réductibles soit à des cérémonies pendant lesquelles elles peuvent, de par leur simple présence, agir sur leur inconscient soit à des meetings politiques durant lesquels ils peuvent faire leur show politique. Et très souvent ces gens distribuent des miettes d’argent lors de leur passage en échange de leur confiance souvent indéfectible. Ces populations sont perçues par les politiciens, simplement comme des machines de vote, sollicitées que pour élire ou réélire. Leur immaturité politique ne leur permet pas de rompre avec un régime en place ou une autorité locale d’où souvent leur incapacité à « désélire» .
Le seul tort de ces populations est d’être des villageois qui n’ont pas un représentant au sommet de l’Etat. Il est sûr qu’une localité qui a un fils ministre ne restera jamais un mois sans une route pour ses populations. C’est honteux pour le Sénégal.
C’est honteux d’être dans un pays où les réalisations sont arrimées à l’existence d’une autorité politique et/ou d’un haut dignitaire religieux influent ou capable de faire voter. C’est kafkaïen de lier la construction de routes dans un pays à des promesses électorales. La construction d’une route pour désenclaver des villages ne doit même pas faire l’objet d’une promesse électorale pour un pays qui se respecte, c’est un devoir étatique. Cette zone qui regroupe une dizaine de villages n’attend pas que de l’argent soit distribué à ses populations ou que des paroles démagogiques leur soient tenues, elle attend désespérément que le budget de l’Etat à la collection de laquelle elles ont participé leur permet de sortir de chez eux et de passer sur des routes pour aller travailler ou vendre leurs produits.
Si depuis plus de cinquante ans d’indépendance, le Sénégal ne peut pas assurer la construction d’une route même en latérite à des populations, alors que chaque jour des milliards sont dépensés sur des futilités, que l’on retourne à la colonisation ! Car dans celle-ci l’ennemi ne se cache pas, il dicte sa loi en toute franchise, or dans celle-là on se sert ou quand on sert c’est toujours à géométrie très variable.
EL Hadji Fallou Samb, Enseignant de Philosophie