Dakarmidi- Deux vidéos m’ont profondément choqué la semaine dernière : l’une montre les actes de violence xénophobes en Afrique du Sud, l’autre commentant ces atrocités en conclut que nous les Noirs sommes des barbares, des sauvages. Les violences xénophobes en Afrique du Sud sont, il est vrai, impardonnables et ce, non pas seulement parce qu’elles sont commises par des peuples longtemps victimes des mêmes crimes, mais aussi parce qu’elles suscitent des réactions et des commentaires tout aussi violents et insensés. Mais l’image que ces violences produisent sur nous-mêmes est encore plus dévastatrice : nous continuons à nous voir en coupables, en race inférieure.
Le mépris de soi, l’autoflagellation sont des séquelles psychologiques que l’esclavage et la colonisation ont laissées dans le cerveau de beaucoup d’Africains. La barbarie n’a ni frontière ni race. La xénophobie est universelle parce qu’elle est la part animale dans notre humanité trop vaniteuse pour prendre conscience de son animalité résiduelle. Des hordes de singes massacrant d’autres singes, des troupes de lions tuant d’autres qui s’aventurent dans leur territoire : ce spectacle que nous offre la nature nous rappelle que malgré notre glorieuse humanité, nous sommes les enfants évolués des animaux. La sensibilité, la motricité et la forme de conscience la plus élémentaire nous inspirent la notion de territoire et, par conséquent, des attitudes de frilosité envers les autres venus de territoires étrangers.
Il ne s’agit cependant pas de tolérer ou d’excuser la xénophobie ; il s’agit au contraire de la comprendre, de la circonscrire dans les tréfonds des images archétypales qui structurent notre inconscient collectif pour tenter de la combattre efficacement. Ce n’est pas parce que nous « sommes » des animaux que nous devons le rester ; ce n’est pas parce que nous avons une partie animale que nous devons faire de celle-ci la boussole de notre existence. Être homme est un projet, un vide à remplir, un « à-venir » pour reprendre le mot de Sartre. L’humanité n’est pas une chose, c’est une conscience d’être quelque chose à atteindre, une visée, une intentionnalité, comme le dirait Husserl. L’homme est l’être qui, sans cesse, sort de soi, nie son animalité et se « pro-jette » dans le lointain, dans le dépassement de ce qu’il est maintenant : l’homme est un « à-faire ». Les affres de la deuxième guerre mondiale nous montrent que ne sommes presque jamais totalement coupés de la barbarie, de la sauvagerie.
Arrêtons de nous voir comme « les damnés de la terre ». Nos ancêtres n’ont pas enterré vivantes leurs filles pour ne pas avoir à vivre l’affront d’élever des enfants dont ils ne sont pas fiers ! Notre race n’a pas commis la Shoah. Les vikings grands pilleurs ont commis les pires atrocités partout en Europe et aujourd’hui, leur histoire a été rectifiée, amendée, béatifiée : on insiste davantage sur leurs prouesses guerrières et leur ingénierie navale que sur les crimes qu’ils ont commis. Je ne parlerai pas d’Adolf Hitler, de Heinrich Himmler et des nazis, c’est trop récent et trop circonstancié. Quelle horreur les slaves n’ont pas vécue en Europe ? Les guerres entre tribus indiennes en Amérique et l’élimination des indiens d’Amérique sont-elles imputables aux Africains.
La cruauté n’a pas de nationalité, elle n’a pas de couleur, elle n’a pas de continent. Les théories ineptes sur du travail volé par les Nigérians aux sud-Africain ne sont pas partagées par la majorité des sud-Africains. Les violence ne sont pas l’œuvre de la majorité. Il faut essayer de comprendre ces actes barbares à la lumière de notre humanité fragile du contexte politico-économique de ce pays. Toute extrapolation aboutirait à des généralisations essentialistes préjudiciables à l’image que nous avons de nous-mêmes. Nous sommes pas des sauvages, nous sommes des humains en détresse. Que personne ne souille la race noire ni pas ses actes ni par ses commentaires !
Alassane K KITANE
Professeur au Lycée Serigna Ahmadou Ndack Seck de Thiès
Président du Mouvement citoyen LABEL-Sénégal