Dakarmidi- Au regard de l’attitude du gouvernement, nous nous acheminons tout droit vers un imbroglio politico-juridique pour, à la fin, étouffer cette affaire PETROTIM dans un écran de fumée étalé devant les yeux du peuple pour l’empêcher de voir les faits. La démarche passive que sous-entend la déclaration du procureur laisse dubitatif : en temps normal, le procureur est un inquisiteur, quelqu’un qui sait ce qu’il veut savoir et où il doit aller le chercher. Quant à offrir aux citoyens la possibilité de dire ce qu’ils savent, c’est certes très utile, mais gravement source de diversion et de confusion, pour ne pas dire d’amalgames provoqués.
Une justice ne peut pas se contenter d’un simple appel à témoins pour rendre justice au peuple. La délation, les fausses pistes, les compromissions, etc. pourront certes être dépistées et mises à nue, mais cela prendra du temps, beaucoup de temps, trop de temps même. Or personne n’est dupe : dans une affaire d’escroquerie, de pots de vin et d’enrichissement illicite, le temps est le premier avocat des prévenus. Ce n’est pas pour rien que dans l’affaire Karim Wade on a inventé une histoire de compte à Singapour et de sapiteurs imaginaires, dans le seul but de contourner la loi et le maintenir dans les liens de la prévention. Ce qu’ils redoutaient, c’est qu’il puisse être libre et trouver les moyens de « laver proprement ».
Vous pouvez nous bander les yeux et nous empêcher de voir la réalité, mais vous ne pourrez jamais nous empêcher de penser la façon hideuse dont vous nous traitez. Ce n’est pas en traquant des fonctionnaires ou des personnes privées en possession de documents administratifs qu’on va absoudre les criminels indexés par une investigation de journalistes. Il y a des experts de renommée mondiale qui ont permis (par leur éclairage) à la BBC de conclure à la thèse de la spoliation. Il y a des majors qui étaient en compétition dans cette course, il y a des autorités qui sont signé des contrats, bref tout est là pour éclairer la lanterne des Sénégalais.
Ces experts interviewés par la BBC peuvent se tromper ou être manipulés, mais leurs propos indexent directement les dirigeants de ce pays : par conséquent, au-delà de la question de leur honorabilité ou de leur crédibilité scientifique, il se pose ici la question fatale de la crédibilité des textes et décrets du gouvernement sénégalais. Offense ne peut être plus grave contre l’honorabilité de notre pays : il faut donc mettre à contribution ces hommes du sérail dans la recherche de la vérité. Un ancien ministre a déclaré récemment qu’au « Sénégal, ceux qui savent ne parlent pas, et ceux qui parlent ne savent pas ». Voilà au moins quelqu’un qui a offert ses services au procureur avant qu’il n’en fasse la demande.
Nous ne sommes pas juriste, mais en tant que citoyen, nous sommes en mesure de dire que cette affaire ne pourra être tirée au clair que par une pression constante et inflexible de l’opinion. Car cette affaire n’est pas seulement une affaire de justice, c’est une question vitale relative à la souveraineté et à la responsabilité que notre génération a envers celles futures. La souveraineté, disait Rousseau, est inaliénable : on rend la justice au nom du peuple, jamais à sa place. Il ne s’agit pas de faire confiance à la justice et de croiser les bras pour dormir à poings fermés : un peuple libre est un peuple vigilant ; un peuple souverain est un peuple actif ; un peuple noble est un peuple qui lutte constamment pour améliorer son sort au lieu de monter allégrement sur la bête de somme piétiste qui inhibe son énergie et assombrit son horizon. La nature de cette affaire, les enjeux qu’elle engage, les responsables qui pourraient être appelés à justifier leurs choix sont tels qu’un fléchissement de la pression sociale dissoudra inexorable le vrai dans bain d’acide de mensonges et de manipulations. C’est tout un clan qui est en situation de danger !
Nixon a été contraint à la démission pour moins que ce qui est ici en jeu. Dans cette affaire, le parjure à lui seul suffirait à traduire quelques autorités en justice. Il y a un reflexe de survie qui guide désormais la démarche des mis en cause dans cette affaire. Le peuple doit savoir, le peuple doit être informé, mais on ne peut pas compter sur la bonne volonté d’un des protagonistes pour la bonne information. Personne ne pourra bâillonner le peuple sous le prétexte d’un déclenchement de la machine judiciaire. Les vigiles doivent rester à leur poste, les lanceurs d’alerte devront être davantage alertes, les opposants devront accepter d’affronter les rigueurs de la privation de la liberté pour être dignes de porter légitimement ce combat.
Il faut savoir, comme le dit Rousseau que « de lui-même, le peuple veut toujours le bien, mais de lui-même, il ne le voit pas toujours. La volonté générale est toujours droite, mais, le jugement qui la guide n’est pas toujours éclairé ». Nous n’avons rien fait pour mériter cette manne pétrolière qui se profile à l’horizon, mais nous devons tout faire pour la rendre profitable. Et la première pierre que nous devons poser pour que cet édifice soit édifié, c’est de monter au peuple ce qui a été fait, le lui expliquer dans les détails : nous avons une chance historique grâce à cette affaire et il n’est pas question de la dilapider.
Alassane K. KITANE
Professeur au Lycée Serigne Ahmadou Ndack Seck de Thiès
Président du Mouvement citoyen LABEL-Sénégal