Dakarmidi- Il y a des hommes beaux d’une beauté platonique et ce, aussi bien de l’intérieur que de l’extérieur, comme il y en a qui sont rustres aussi bien dans la morphologie que dans l’âme. Adama Gaye a une prestance naturelle, une diction sobre et juste, un lexique simple et limpide. Il est capable d’être un orfèvre dans l’expression parce qu’il est intelligent, cultivé et raffiné. Cependant Adama Gaye reste un homme, juste un homme, mais un homme de refus ! On peut avoir les honneurs plus que lui, on peut l’écraser par l’abus de la grandeur d’établissement, mais on ne peut pas ne pas le respecter. On cherche à l’humilier sans doute parce qu’il est grand : telle est la morale des faibles. Ils décupleront leur ruse et leur faible force pour rapetisser les forts par nature. Un faible ne se sent vraiment fort que quand il écrase tout ce qui lui résiste. Je ne ferai pas l’apologie de la parole outrancière, mais je veux célébrer l’homme pour ce dont il est capable, ce qu’il est réellement.
Envoyer Adama Gaye en prison pour offense au chef de l’État dans une grande démocratie est rétrograde. Il n’y a pas d’homme public au Sénégal qui n’ait pas dit quelque chose pour lequel il aurait dû, au regard de ces lois scélérates, être envoyé en prison. Ils ont tous, un jour, été coupables d’abus de langage. Tout le monde doit révérence à l’institution qu’incarne le Président de la république, mais au regard des préjudices que son action inflige aux administrés, l’outrance qu’un citoyen peut avoir à son égard devrait pourvoir être comprise. Il y a une infinité de dommages que la politique d’un gouvernement peut occasionner sur les administrés et parfois sans qu’ils n’en soient compensés. Dans son discours, dans ses choix, dans son action gouvernementale, un Président ne peut pas ne pas agacer, « infortuner », léser, des pans entiers de la société. Il ne le fait peut-être pas par caprice et par méchanceté, mais il doit penser à l’impact psychologique que sa gouvernance a sur certains de ses compatriotes.
Nous sommes des hommes, nous avons nos faiblesses, parmi lesquelles la communication violente, la phobie de l’autorité. Aussi, faut-il, pour être digne de gouverner des êtres aussi imparfaits et fragiles, accepter de vivre leurs dérives éventuelles. Un Président d’un pays démocratique qui n’a pas la grandeur de supporter les critiques et vociférations des citoyens qu’il gouverne, ne comprend pas très bien la charge affective que son pouvoir excite chez eux. Régner sur des hommes est à la limite une insolence ontologique : être au-dessus de millions d’âme ! Alexis de Tocqueville a dit que pour jouir légitiment de la liberté de la presse, il faut accepter de pâtir de ses dérives. Le même raisonnement pourrait être appliqué au privilège de gouverner les hommes : régner sur des hommes, c’est aussi accepter leur indomptable résistance. Or l’abus de pouvoir est inévitable, même en démocratie ; aussi, faut-il avoir la grandeur d’âme de tolérer quelques abus de liberté.
Nous sommes nés de la chute, nous sommes tous condamnés à l’égarement, nous tous sujets à la corruptibilité de caractère. Il faut libérer Adama Gaye, même au cas où il aurait tort dans cette affaire d’offense au chef de l’État. Notre démocratie est suffisamment forte pour absorber ces incidents. Dans la société primitive, la commission de l’inceste était punie par la peine de mort selon Claude Lévi-Strauss. Dans la société civilisée par contre, même si l’inceste est toujours prohibée, elle est, au pire des cas, punie par la peine de prison : l’humanité sait qu’elle a suffisamment de ressorts et de boucliers pour ne pas retourner à l’état de nature. Nous devons évoluer, nous devons dépasser l’étape de fortification du pouvoir, il est déjà suffisamment fort. Les commentaires et caricatures que l’affaire Monica Samille Lewinsky a occasionnés dans la presse américaine sont incommensurablement plus virulents que les écrits incriminés ici.
« Il est juste que ce qui est juste soit suivi ; il est nécessaire que ce qui est le plus fort soit suivi. » disait Pascal. Cette sentence n’a jamais été aussi vraie que dans notre pays. Les régulateurs sociaux sont devenus défenseurs acharnés de la force du Fort. La justice est de l’ordre de la morale, la force de l’ordre de la nécessité : c’est ce qui fait qu’une justice institutionnelle peut être injuste. Elle est moralement injuste même si légalement elle est toujours juste. La voix de la conscience ne ment jamais, elle ne s’absente jamais, elle ne dort jamais : voilà pourquoi même lorsqu’on usurpe ou vole la vérité, la voix intérieure nous maudit.
« La justice sans la force est impuissante ; la force sans la justice est tyrannique » explique Pascal. Voilà comment et pourquoi les perfides rusés et sans éthique ont toujours la part belle dans l’histoire. La justice à laquelle fait allusion Pascal est la droiture, l’intégrité, l’équité, la probité : elle n’est pas forcément conforme aux sentences de la justice institutionnelle des hommes. Cette justice-là est inscrite de façon innée dans le cœur des hommes, elle est d’origine divine, mais c’est à cause des artifices et des manœuvres de la société qu’elle s’évanouit. Cette justice n’a pas besoin de la force, et c’est pourquoi « elle est sujette à dispute ». Quand celle-ci blâme, la justice humaine cherche, de façon éhontée, à absoudre. La justice humaine, souvent injuste, a toujours les moyens de s’imposer.
Les tyrans sont tous des fous : leurs palais, leur gigantisme dans la construction d’édifices, leurs passions enfantines, l’hypertrophie de leur moi, traduisent un défaut d’équilibre, de sérénité intérieure. Ils se compensent par le superflu, la vacuité qui remplit leur intérieur. L’apparence de sérénité et d’assurance qu’ils affichent dans leur discours et dans leur apparition publique n’est qu’un habit. Ils sont les véritables prisonniers de leur pouvoir comme le montre la mythologie : les mauvais dirigeants seront soumis, dans l’au-delà, au supplice que leur infligeront leurs administrés sous forme de justice du Talion. Certains n’auront pas le privilège d’attendre l’au-delà pour subir la rétribution de leurs péchés : de leur vivant ils rendront des comptes pour l’ensauvagement politique qu’ils ont fait subir à leur époque et à leur pays.
LIBÉREZ ADAMA GAYE
Alassane K. KITANE
Professeur au Lycée Serigne Ahmadou Ndack Seck de Thiès
Président du Mouvement citoyen LABEL-Sénégal