Ce jeudi marque la commémoration de la naissance d’un homme exceptionnel, l’un des plus grands penseurs du vingtième siècle. Un homme qui a dominé scientifiquement son époque avec panache et autorité. S’il était encore en vie, il aurait 99 ans.
Qui est cet homme ? Il s’agit du Professeur Cheikh Anta Diop. À titre personnel, je n’ai pas la prétention de me proclamer son disciple. Mais j’ai une profonde admiration pour lui. Ce texte permet d’étayer les raisons au lecteur désireux de le connaître.
Né quasiment orphelin en 1923 ; en pleine période de colonisation culturelle, intellectuelle, économique, militaire et politique sur les pays africains, cela n’a pas empêché ce jeune garçon d’affirmer sa personnalité face à toutes ces influences qui pesaient sur son peuple.
Issu non seulement d’une famille modeste mais aussi d’un peuple colonisé par la furie du système oppressif de l’époque, cela n’empêchera pas le jeune homme de remettre en cause deux siècles d’érudition occidentale bien établie. Une tâche inimaginable dont ce jeune enfant de Thiaytou, aidé en cela par la grâce de Dieu le tout-puissant, a eu la prouesse d’accomplir quasiment à lui seul.
Isolé pendant deux décennies de 1954 à 1974, c’est au Colloque International d’Égyptologie du Caire, à la face du monde scientifique international de ce domaine pointu, qu’il parviendra à confronter à ses travaux à ceux de la cohorte des meilleurs égyptologues de son temps. Le seul africain qui a pris le risque de l’accompagner dans ce qui était perçu comme une aventure suicidaire n’était autre que Théophile Obenga, l’historien Africain né au Congo. La conclusion générale de colloque publiée par l’UNESCO a été sans appel : “La très minutieuse préparation des communications des Professeurs Cheikh Anta Diop et Théophile Obenga n’a pas eu malgré les précisions contenues dans le document de travail préparatoire envoyé par l’UNESCO une contrepartie toujours égale. Il s’en est suivi un réel déséquilibre dans les discussions.” Loin d’amener le chercheur à s’en contenter et à rester dans sa zone de confort, il se remet inlassablement à la tâche jusqu’à son dernier jour.
Cheikh Anta Diop est cet Africain qui a réussi à amener les égyptologues et scientifiques occidentaux que lui-même qualifiait dotés ” d’une érudition féroce” à douter de ce qu’ils ont écrit sur l’Afrique. En les amenant ainsi à douter de ce qu’ils ont écrit sur l’Afrique, le jeune chercheur les a amenés par conséquent à douter de leur habileté à écrire sur l’histoire de l’Afrique et donc à douter de leur propre niveau.
Cheikh Anta Diop a été un don de Dieu pour l’Afrique en pleine période d’oppression, d’humiliation mais surtout de déni d’identité par l’occupant. Le Professeur Iba Der Thiam a trouvé la bonne formule quelques heures après son décès en disant que Cheikh Anta Diop est un homme dont l’histoire est avare.
Quel est le domaine de la science que ce génie n’a pas exploré en son temps ? De la physique et chimie accompagnée des mathématiques, il s’est intéressé à la philosophie, à la linguistique, à l’anthropologie, à la sociologie mais aussi à l’égyptologie. Armé de sciences jusqu’aux dents, il a combattu toute forme de falsification à travers son courage physique, sa ténacité et sa pugnacité face à toute une conspiration. Sans aucune exagération ou fanatisme, il nous arrive très souvent de dire que cet homme n’a rien à envier à Einstein en matière d’érudition. Si ce dernier était physicien nucléaire, Cheikh Anta Diop en était aussi. Mais en plus de cela, il avait exploré d’autres domaines que le scientifique Américain n’avait pas touchés.
Du côté du Sénégal, que n’a-t-il pas subi ? Après que Senghor l’ait interdit d’enseignement, il n’hésitera pas à l’emprisonner pendant un mois dans la prison de Diourbel dans des conditions où le jeune chercheur a failli perdre la vie. C’est par un soulèvement de la communauté musulmane mouride dont est issu le chercheur que Senghor sera obligé de faire libérer. Ce qui fait que nous sommes aujourd’hui surpris de voir des kemites et leurs amis afrocentriques/afrocentristes affirmer que cet homme aurait renié sa foi musulmane. Parmi eux, nous en avons vu qui a eu l’outrecuidance de dire que Cheikh Anta Diop n’a jamais été musulman. Cette affirmation, loin de refléter la vérité, ne relève que de leur imaginaire. Pour revenir à Senghor, non satisfait d’avoir interdit cet historien d’enseignement, il continuera ses coups bas sur le terrain politique en empêchant le chercheur de créer son parti politique à travers les manipulations des textes juridiques et constitutionnels.
Pendant deux ans, de 1978 à 1980, il le priva encore de tout déplacement hors du Sénégal. Mais ce qui est plus grave comme nous le révéla le cousin de l’égyptologue, c’est le fait que Senghor l’aurait privé de salaire pendant aussi cette époque.
Ce n’est qu’en 1981, après le départ de Senghor du pouvoir, que l’université s’ouvrira à son enseignement. Mais le savant ne vivra que peu de temps après. Il mourra en 1986 à la tâche et toujours au service de l’Afrique.
Loin d’appeler à un culte de la personnalité – chose que cet érudit abhorrait -, nous invitons les jeunes générations à le lire, non pas comme un prophète, mais comme un scientifique dont la pensée mérite également d’être critiquée. C’est en cela que lui-même disait : « Je serais l’homme le plus heureux si de plus en plus de jeunes Africains allaient se former rigoureusement même si c’est pour me contredire ensuite. » C’est l’une des raisons pour lesquelles nous pensons qu’il ne sert à rien de dire que ses ouvrages sont comme des paroles d’évangile ou du Coran. Cela n’était pas son objectif recherché. Son but était surtout d’éveiller l’esprit critique de la jeunesse africaine, mais dans la courtoisie la plus exquise. C’est pour cela qu’il enseignait aux jeunes : « Dëgg buko boolek saaga day waññi daradja ». Une expression en wolof qui signifie qu’on peut dire la vérité sans insulter. Selon lui, les injures ne pouvaient que diminuer la valeur de la vérité. De toute sa vie, l’homme est resté uniquement sur le terrain de la science et de l’élégance morale. Aujourd’hui, on constate comme cela a été malheureusement le cas au Mali avec les provocations de Doumbi Fakoly, des gens vouloir utiliser le chercheur Sénégalais comme support, en vue d’attaquer les valeurs sociétales et religieuses de paisibles concitoyens. Ce qui est pourtant loin de son enseignement.
À défaut d’institutionnaliser la date de son anniversaire ou de son rappel à Dieu, nous appelons le gouvernement sénégalais et les responsables du système éducatif à l’organisation des cérémonies commémoratives en vue de réflexions fructueuses sur sa pensée. En effet, Cheikh Anta Diop a laissé des œuvres utiles à l’Afrique et à l’humanité.
Joyeux anniversaire Professeur.
Que la terre de Thiaytou vous soit légère.
Auteur
ASANTE Harouna
Citoyen Africain