Enfin !!! Pourrait-on dire. Air Sénégal SA a lancé le top-départ d’une activité commerciale de compagnie aérienne régulière, ce lundi dernier, 14 mai 2018, avec un programme d’exploitation de vols qui se présente comme bien léger. Juste vol quotidien le matin, avec un départ Diass à 9h et un retour à 11h.
Le temps filait, en effet, après une longue attente de plus de 2 années de mise en œuvre. En termes d’image et de crédibilité la compagnie commençait à en prendre un coup, et chaque jour qui passait, pour l’Etat du Sénégal, le coup financier devenait de plus en plus insupportable. Pour 3 fois moins que l’investissement de démarrage pour Air Sénégal SA, des compagnies aériennes voisines, ASKY et Air Côte d’Ivoire, ont pu très vite bâtir un très large réseau en Afrique de l’Ouest et du Centre, faisant d’elles de redoutables concurrentes futures à notre pavillon national.
ASKY Airlines, avec tout juste 10 milliards de fcfa, en disponibilité de trésorerie, constitués essentiellement de la libération du quart de son capital initial annoncé de 40 milliards de fcfa, et avec 2 Boeings 737-700, avait démarré très vite, le 10 janvier 2010, lançant 6 destinations le jour même au départ de Lomé (Ouagadougou, Dakar, Banjul, Abidjan, Cotonou, Accra). Seul pavillon national en activité à l’époque, dans tout l’espace UEMOA, cette compagnie aérienne panafricaine, c’est son ambition et sa signature commerciale, sous la gouverne de son partenaire stratégique Ethiopian Airlines, a connu une croissance fulgurante dès son lancement.
Air Côte d’Ivoire avait démarré, en 2012 avec moins de moyens. Il y eut juste un A319 amené par le partenaire Air France et un autre appareil de location, un soutien gouvernemental par une ligne budgétaire au trésor public de 10 milliards de fcfa, et un cash de trésorerie de 3 milliards de fcfa. Elle débutait son activité par une massive ouverture de lignes sur la région (7 à 8 destinations), matchant celles de son seul et unique concurrent en activité alors, ASKY Airlines. A pas de charge, et en moins de 2 années d’activité, elle couvrait déjà toutes les capitales de la CEDEAO, avec au moins, 3 fréquences assurées par semaine.
Air Sénégal SA, vient donc d’entrer en jeu, ce mardi 14 mai 2018, avec déjà, un montant investi autrement plus important, 30 milliards (en attente d’un décaissement de 50 millions de dollars en septembre 2018 pour les A330), pour lui permettre d’entamer une desserte quotidienne unique sur la ville de Ziguinchor. Avouons que pour ce management aux commandes, c’est là, du plus que minimal. L’opinion reste encore sur sa faim, après tous les effets d’annonce. C’est du reste, le même sentiment que l’on a, avec le slogan de la signature commerciale de ce démarrage de Air Sénégal SA : « Le ciel est encore plus beau » ; avouons là encore, qu’on aurait pu trouver mieux en originalité, en création et en différentiation, car à peu de mots près, au siècle dernier, en 1999, Air France avait aussi choisi comme un slogan, une promesse poétique très ambitieuse : « Faire du ciel le plus bel endroit de la terre ». Mimétisme !! quand tu nous tiens.
Nous pouvons noter une différence nodale, décisive dans les comparaisons avec ASKY Airlines et de Air Côte d’Ivoire. Ces compagnies aériennes voisines, dans leur tout début, s’étaient dotées, toutes les deux, de managers éprouvés et expérimentés dans l’exploitation aérienne, afin de prévenir et d’encadrer les aléas d’un lancement toujours incertain. Mais l’on a le sentiment que Air Sénégal SA, au regard des tâtonnements que l’on observe, des décisions surprenantes, et aussi de cette sorte de pilotage à vue, avec une totale méconnaissance de l’environnement national et sous régional, pêche déjà avec de graves erreurs dans les orientations, laissant pantois et dubitatifs, tous les spécialistes de ce secteur. Des questions importantes restent en effet sans explications.
Il est à se demander, pourquoi ne lancer au démarrage qu’une seule destination, Ziguinchor, et sur cette destination, une seule rotation par jour, avec un seul de nos ATR achetés ? L’avion fera ainsi quotidiennement une rotation en 2h de temps ; et dès midi, l’ATR restera parqué à Diass, et bonjour donc les frais de stationnement pour AIBD. Ce taux d’utilisation extrêmement bas de l’appareil, malgré son faible niveau de consommation en carburant (1 tonne soit 1250 litres), pèsera lourdement dès ce démarrage, en un profond déficit sur l’économie de ligne de ces vols.
Dans la même lignée, disons « Bien Bravo » !! Pour ce tarif de lancement, extrêmement bas, qui surprend vraiment tous les distributeurs. Sachant que le seul concurrent Transair est à un tarif unique de 125.000 fcfa, venir proposer 66.000 fcfa TTC à la clientèle, c’est offrir moins 82,5 % de remise sur Ziguinchor. Air Sénégal SA pourra-t-elle tenir cette voie de compagnie aérienne low cost, si l’on sait par ailleurs que les taxes non rémissibles, sur un billet d’avion pour un vol local s’élève à peu près à 39.180 fcfa. La compagnie n’offrirait, en fait, le billet hors taxte qu’à 26.000 fcfa par passager. C’est ce revenu réel qui devra ainsi amortir tous les autres couts, (Carburant, salaires, frais financiers et amortissement de l’avion, taxes d’atterrissage aller/retour, consommables, etc…). A ce prix, pas même le carburant ne sera payé. A moins que, et c’est une idée lancée, le gouvernement ne subventionne cette ligne intérieure qui est structurellement déficitaire, comme sous d’autres cieux.
Ce démarrage poussif des vols commerciaux, réalisé aux forceps, ne permet pas encore les ventes des agences de voyages, qui représentent pourtant dans les marchés de la région 70% des ventes des compagnies aériennes.
C’est toujours avec des pincements de cœurs meurtris, que l’opinion sénégalaise peut observer ces pilotes étrangers aux commandes de ces 1ers vols du pavillon national, payés 10.000 euros, alors que des nationaux, commandants de bord émérites, ont le sac déposé par terre, du fait du refus catégorique de l’équipe du DG, M. Philippe Bohn, à les intégrer. L’argument servi par la Direction Générale, d’une qualification impossible pour ces derniers, du fait du contrat d’assurances sur les ATR, exigeant un minimum de 500 h de vol pour les commandants, ne peut prospérer. Certains d’entre eux ont en effet plus de 800 heures sur cet appareil, et c’est d’ailleurs une clause volontairement introduite lors des négociations avec les assureurs, aux seules fins de pouvoir les écarter.
Cette discrimination au profit des étrangers ne s’arrête pas à ce seul aspect, car la Direction Générale vient de confirmer au sein de la compagnie Air Sénégal SA, un pilote belge, Xavier Bruyndonckx, comme seul et unique responsable de la mise en ligne des A330-900. Il est en effet le seul à définir ainsi, pour le pavillon national, avec Airbus, toutes les spécifications techniques des nouveaux appareils à venir. Ce dernier, venu de Congo Airways, du groupe de copains au Directeur Adjoint actuel de Air Sénégal SA, M. Jérôme Maillet, lequel, il faut le rappeler, est toujours sous le coup d’un mandat d’amener de la police judiciaire congolaise, a prétendu être commandant de bord sur A320, avec des heures de vol et des stages falsifiés. C’est lors de son séjour en terre congolaise que, fort heureusement, un de nos compatriotes sénégalais, commandant de bord et Consultant international OACI à l’Aviation Civile Congolaise à Kinshasa, l’a débusqué lors des contrôles professionnels. Et bien sûr, très vite, ce dernier avertissait la Direction Générale de Congo Airways. Après investigation, Congo Airways s’est rendu compte que le sieur Xavier Bruyndonckx a exercé la fonction Commandant de Bord sans jamais faire la formation. En outre, sa qualification A320 était caduque au moment où il volait allègrement dans cette compagnie. Il a été tout simplement, proprement licencié par la compagnie congolaise et aujourd’hui interdit de toucher un avion immatriculé au Congo. Par des voies détournées et des passe-passe, avec Aéroconseil (encore ce cabinet par où passent tous les contrats, basé à Toulouse, la ville de Jérôme Maillet), il se retrouve grand chef à Air Sénégal SA, avec des émoluments que seule la Direction Générale connait.
Il n’est malheureusement pas le seul dans cette gabégie. Alors que l’on a refusé 5 cadres techniciens sénégalais, travaillant à Air Côte d’Ivoire, la Direction générale a préfèré recruter un de leur compatriote, retraité, M. Garcia (à quels prix ???), pour s’occuper de la maintenance en interne. Ces jeunes techniciens et ingénieurs sénégalais se retrouvent actuellement sur la plateforme d’AIBD, recrutés par les 2AS, pour s’occuper… en définitive de nos ATR, et demain du vieux A320 d’ Air Côte d’ Ivoire. Rappelons par ailleurs, qu’un jeune et brillant cadre sénégalais, ingénieur sup aéro, débauché de Airbus Industrie, a été proprement écarté du sphère de la maintenance Air Sénégal SA, alors que c’est lui qui avait préparé toute la documentation maintenance du processus Permis d’Exploitation Aérienne (PEA).
Cette répulsion vis-à-vis des cadres sénégalais qui trahit une profonde aversion incompréhensible, est telle que la Direction actuelle préfère aller chercher un nigérien, M. Djibril Saibou, sous contrat toujours de Aéroconseil (encore !!!), venu pour IOSA, et qui se retrouve aujourd’hui le responsable en chef de la sécurité, avec un contrat très tôt signé avant tout personnel sénégalais. Rappelons que pour l’implantation de IOSA, la compagnie Air Sénégal International (V7) fut la première en Afrique au sud du Sahara, à être certifiée IOSA, et que depuis lors toutes les compagnies venues après, y compris Sénégal Airlines, ont toujours été certifiées IOSA. Ce n’est donc vraiment pas des cadres sénégalais pour manquer dans cette ingénierie et procédures IATA avec IOSA.
La presse du jour fait état de sombres négociations menées exclusivement en coulisse, par l’équipe de Philippe Bohn avec la Direction Générale de la compagne ivoirienne, en dehors de tout cadre sénégalais, pour une location d’un A319. Ce vieil appareil devait sortir de la flotte de Air Côte d’Ivoire le 13 juin 2018. Il est devenu en effet très couteux en exploitation et en maintenance. Et à bien des égards il peut rappeler, 15 ans plutôt, l’expérience de Air Sénégal Internationale avec Royal Air Maroc, qui livra un vieux Boeing 737, lequel fut un des éléments des déficits de cette compagnie alors. L’expérience doit pouvoir servir 15 ans après. Air Côte d’Ivoire, tout le monde le sait dans l’industrie, est structurellement déficitaire, cumulant des pertes d’exploitation inouïes. La dernière en date pour 2017 s’élève à 35 millions usd dollars, à peu près 17 milliards de pertes sèches. N’eut été la forte et ferme volonté du gouvernement ivoirien, cette compagnie aérienne aurait déposé le bilan dès les premières années de son exploitation.
Air Côte d’Ivoire pour le Sénégal est un bien mauvais exemple. Son modèle de gouvernance et son schéma d’exploitation ne doivent aucunement inspirer les nôtres. Air Sénégal SA repose aujourd’hui sur un véritable potentiel économique. La compagnie nationale est toute neuve, se dote d’une flotte d’appareils neufs, bénéficie d’un aéroport AIBD moderne de classe mondiale, qui peut être l’antre d’un hub d’exploitation et d’une plateforme de transit, passagers et fret, des plus efficace en Afrique de l’Ouest. Elle repose surtout aussi sur une forte économie nationale, qui aujourd’hui connait un trend de croissance dynamique et durable. Les ressources du pétrole et du gaz augurent pour notre pays un statut international économique, enviable et stratégique. Le Président de la République et toutes les autorités nationales qui ont porté ce grand projet national, en ayant consenti beaucoup de sacrifices financiers pour le pays, ne doivent pas laisser corrompre, attentistes et hésitants, cet investissement stratégique pour le Sénégal. Ce démarrage timide, à la petite cuillère, masquant toutes ces incongruités que cache la Direction Générale, n’est pas à la mesure de cette ambition que porte le tout nouveau pavillon national.
Mais l’actuelle Direction Générale partage-t-elle cette vision de tout le pays ?
Ablaye DIOP
Consultant Expert dans le Transport Aérien