Le procès en appel de Khalifa Ababacar suscite toujours des débats. Cette fois-ci, l’avocat Me Pape Ndiogou Mbaye y revient sur le procès qui a tenu en haleine tout le pays ces derniers temps.
Voici, in extenso, le contenu du communiqué :
‘Monsieur Khalifa Ababacar SALL, ancien ministre, député-Maire de Dakar la capitale du Sénégal a été arrêté, emprisonné, jugé, sans qu’il puisse bénéficier des garanties procédurales comme dans toute démocratie.
Le juge Demba Kandji, Président de la Cour d’appel ayant à examiner la procédure à l’encontre du maire de Dakar, a été lynché publiquement et sa décision à venir, couverte d’une suspicion d’impartialité.
En ce sens, ils sont tous les deux victimes d’un système médiatique sans retenue, d’un système judiciaire ne bénéficiant plus de la confiance des plaideurs et d’une politisation extrême de tout fait impliquant des hommes politiques.
C’est donc le 30 août 2018 que l’arrêt sera rendu, les débats du procès en appel du Maire de la capitale sénégalaise étant clos le 30 juillet 2018.
Monsieur Khalifa Ababacar SALL n’aura donc pas fait entendre ses moyens de défense devant cette Cour, motif pris d’une suspicion d’impartialité de son président le juge Demba Kandji.
Ce magistrat intègre et rigoureux aura probablement présidé l’audience la plus difficile de sa longue carrière, non pas par sa complexité ou sa difficulté du fait de questions juridiques à traiter, mais surtout parce qu’il aura à répondre à des questions qui ne lui ont pas été posées :
1° Comment confirmer un jugement de première instance fondé sur des supports (Procès-verbal d’interrogation, de garde à vue) douteux parce qu’entachés d’irrégularités manifestes et dûment constatées.
2° Comment infirmer un jugement alors qu’aucune argumentation juridique, autre qu’une référence à un arrêt rendu par la CEDEAO, ne semble avoir été soutenue par l’appelant.
Dans une décision avant-dire droit, statuant sur des moyens de procédure, le Président de la Cour d’appel indique la surface juridique autour de laquelle le débat pouvait se dérouler, sans préjudice des droits du Maire de Dakar.
L’avenir nous dira, le 30 août 2018, date du délibéré de la Cour, si le Maire de la capitale du Sénégal a choisi la bonne stratégie en refusant de comparaître donc de faire valoir l’intégralité de ses moyens de défense autrement que par la demande d’application de l’arrêt de la CEDEAO.
Il convient de résumer l’origine du refus de comparaître du Maire Khalifa Sall.
C’est suite à un arrêt rendu le 29 juin 2018 par la Cour de Justice de la CEDEAO dans le dossier opposant Monsieur Khalifa Ababacar SALL à l’Etat du Sénégal, suivi de beaucoup de polémiques, parfois sans fondement sur les intentions du juge Demba Kandji, que la décision a été prise de ne plus comparaître.
Pourtant ce magistrat, qui était lié par les termes de sa saisine, ne pouvait faire droit aux demandes du Maire de Dakar et ce, pour plusieurs raisons tant factuelles que juridiques.
Tout d’abord il y a les limites de cet arrêt de la CEDEAO (I), ensuite sa jurisprudence fondée sur le refus d’interférer avec le droit national (II) des états membres.
I. SUR LES LIMTES DE L’ARRET DE LA CEDEAO
L’exception de liberté d’office soulevée par le Maire de Dakar ne pouvait prospérer qu’au prix de vider de sa substance toute décision de la Cour d’appel de Dakar pourtant saisie de cette affaire, ce que le juge Kandji s’est attaché à démontrer, dans les motivations de son arrêt sur les moyens de procédure que :
« Considérant que les conseils de Khalifa Ababacar SALL ont, dans leurs plaidoiries subséquentes, font remarquer au soutien de leur demande de nullité et de libération immédiate que la décision de la Cour de Justice de la CEDEAO, a un caractère obligatoire, définitif et exécutoire, au regard des articles 6 et 15 du traité révisé de la CEDEAO et 19 du protocole référencé A/P1/7/91 et que cette décision s’impose à la Cour d’appel de céans pour tout ce qui a été jugé par la Cour de Justice de la CEDEAO;
Qu’ils ajoutent, par ailleurs, que les constats qui ont établi la violation des droits du requérant à bénéficier d’un procès équitable, de l’assistance d’un conseil et du non-respect de l’immunité parlementaire de Khalifa Ababacar SALL, ne peuvent plus être, selon eux, remis en cause par les juges de la Cour d’appel »
Le magistrat ne pouvait pas statuer ultra pétita, puisque le maire de Dakar a fondé sa demande exclusivement sur l’arrêt de la CEDEAO, de ce fait, il limitait les moyens du juge à répondre au-delà de l’arrêt précité.
Il n’est pas illégitime de se demander si des moyens tant factuels que juridiques avaient été examinés et destinés à la Cour, car dès le 29 juin 2018, date de l’arrêt de la CEDEAO, la défense s’est arc- boutée sur ce dernier, négligeant tout autre référence au droit national.
Pourtant l’arrêt de la CEDEAO ne pouvait être l’alpha et l’oméga de la défense du maire. Toute l’architecture de sa défense tournait autour de cet arrêt, comme le dira le juge d’appel dans son arrêt, la décision de la CEDEAO ne mettait pas en cause la légitimité ou la souveraineté du juge sénégalais.
La confusion se voyait même dans les termes utilisés comme la demande de libération d’office, etc.
Pourtant les arguments développés par les avocats de l’Etat du Sénégal, montraient qu’il fallait un champ beaucoup plus vaste que la simple invocation de l’arrêt de la CEDEAO.
Pour les avocats de l’Etat l’arrêt note :
« Considérant que les avocats de l’Etat du Sénégal ont conclu en revanche au rejet de ladite requête et font valoir que la Cour de Justice de la CEDEAO a débouté les requérants de leur demande de libération immédiate et de cessation immédiate des poursuites et qu’ils ne peuvent solliciter le bénéfice de ces mesures en se basant sur l’arrêt de la juridiction communautaire qui ne l’a pas ordonné; qu’ils soutiennent que la juridiction communautaire a relevé que l’immunité de Khalifa Sall a été levée, contrairement aux allégations des requérants, dès lors qu’elle a fondé la détention arbitraire du susnommé dans la période séquentielle comprise entre la proclamation des résultats et la levée effective de son immunité »
La Cour d’appel de Dakar note également dans les motivations de son arrêt à propos des moyens développés par les avocats de l’Etat du Sénégal :
« Qu’ils plaidaient enfin que la libération sollicitée par les conseils des prévenus ne peut être appréciée que sous l’angle des dispositions des articles 140 et suivants du CPP »
Si le litige sur la demande de mise en liberté d’office était vidé par cet arrêt, il n’en demeurait pas moins que la Cour de Dakar sous la présidence du Juge Kandji, était d’une grande pédagogie, soulignant la carence des avocats de la défense en ces termes :
« Que la Cour de Justice rend ainsi, dans les domaines relevant de sa compétence, en application des dispositions de 15-4 du Traité révisé, des arrêts obligatoires à l’égard des États membres, des institutions de la communauté, des personnes physiques et morales »
Voilà une explication claire de l’ordre juridique communautaire et surtout l’opposabilité de ses décisions et leur étendue qui voulaient absolument réserver les droits des prévenus, tout en laissant la possibilité aux juges nationaux d’appliquer leur législation si tant est que celle-ci ne soit pas en contradiction avec ses engagements communautaires.
Pour rejeter la demande de libération d’office, fondée exclusivement sur l’arrêt de la CEDEAO, le juge d’appel de Dakar, jurisprudence communautaire à l’appui, indique clairement que faire droit aux demandes du maire de Dakar, équivalait à accepter d’aller à rebours de la jurisprudence de la Cour de la CEDEAO, qui s’est toujours attachée à ne jamais interférer sur la souveraineté des Etats qui pouvaient parfaitement faire siennes les dispositions communautaires.
II. SUR LA JURISPRUDENCE FONDEE SUR LE REFUS D’INTERFERER SUR LE DROIT NATIONAL
Ce que les avocats du maire ne semblent pas avoir fait, est de s’assurer de la conformité de la jurisprudence de la CEDEAO avec leur requête.
Cette jurisprudence fixait les limites du droit communautaire, c’est à ce propos qu’il est cité :
« Que la force obligatoire des décisions de justice communautaires a été affirmée avec force dans l’affaire Jerry Ugokwe contre République fédérale du Nigéria, jugée le 7 octobre 2005 quand la Cour soutient que l’obligation d’exécuter ses décisions incombe aux tribunaux nationaux des États membres bâtis sur un ordre communautaire intégré, sans pour autant laisser supposer l’existence d’une relation verticale entre la Cour communautaire et les juridictions nationales des États membres »
Cette motivation était d’une parfaite clarté et peut-être tendait à indiquer la voie à savoir la nécessité, comme cela ressortait de l’arrêt de la CEDEAO, de se baser sur le droit national pour obtenir gain de cause ou tout au moins, se réserver la possibilité d’une saisine à venir de cette même Cour de la CEDEAO.
Puis, note le magistrat sénégalais :
« Considérant qu’il y a lieu cependant de préciser que la force obligatoire et exécutoire attachée aux arrêts de la Cour de Justice, essentielle à la pénétration du droit communautaire dans les ordres juridiques nationaux, n’autorise pas pour autant la juridiction communautaire à se substituer aux juridictions nationales ni à les concurrencer sur leur propre terrain, qui est celui de l’interprétation des textes nationaux ainsi que cela a été affirmé avec pertinence dans un obiter dictum »
Contrairement à ce qui a été dit partout, l’arrêt- sur les moyens de procédure-, rendu par le juge Kandji, n’a jamais contesté la validité ni l’application de la décision de la CEDEAO, puisqu’il dit clairement que :
« Qu’il est dès lors indéniable que l’arrêt rendu le 29 juin 2018 dans le différend opposant Khalifa Ababacar Sall et autres contre l’État du Sénégal, revêtu de l’autorité de la chose jugée, en application des dispositions du Traité révisé et du Protocole sur la Cour de Justice parce que constatant des violations de droits de l’homme au détriment de ses bénéficiaires, produit des effets obligatoires conformément aux dispositions de 15-4 du Traité révisé de la CEDEAO »
Encore :
« Considérant que cette position est conforme à celle clairement exprimée par la Cour communautaire dans l’affaire Baldino Saliou contre Burkina Faso, ECW/CCJ/JUD/13/12 du 31 octobre 2012, p. 59, à l’occasion de laquelle elle a précisé que « lorsqu’elle examine une affaire qui se rapporte à une procédure judiciaire en cours dans un État membre, ses décisions n’ont pas vocation à interférer avec les décisions que les juridictions nationales seraient amenées à prendre. La Cour ne peut ordonner des mesures dont l’exécution viendrait à fragiliser ou anéantir l’autorité et l’indépendance du juge national dans la conduite des affaires dont il est saisi »
Enfin :
« Que cette position constante de la Cour communautaire a été également rappelée dans les affaires Moussa Keita et autres contre République du Mali du 22 mars 2007, Abdoulaye Baldé et autres contre République du Sénégal du 22 février 2013 et El Hadji Hammani contre République Fédérale du Nigéria du 28 juin 2017 »
En conclusion
1° L’arrêt de la CEDEAO est d’une validité certaine et son applicabilité n’a jamais été contestée par le juge Kandji.
2° La Cour de la CEDEAO avait reconnu des violations des droits du maire de Dakar tout en reconnaissant au juge national le droit d’en tirer les conséquences puisqu’en l’état de cette procédure, le processus judiciaire sénégalais n’était pas encore terminé et tant que ce cheminement est en cours, il est impossible de parler de violation ou de déni de justice. C’est pour cela que la CEDEAO a limité ses constatations à des violations consommées si l’on peut dire.
En somme la CEDEAO disait que le juge national avait les pleins pouvoirs, c’est sa souveraineté de se prononcer sur le surplus des griefs allégués. Ce juge pouvait donc sur le fondement du droit national, restituer au maire de Dakar la plénitude de ses droits sous le contrôle de la CEDEAO.
3° in fine, la CEDEAO se réservait la possibilité en cas de saisine, de réexaminer cette affaire à l’aune des décisions nationales à venir, une fois les voies de recours internes épuisées.
4° le juge d’appel Kandji avait indiqué clairement au maire, que la Cour d’appuiera sur le droit national sans pour autant que les dispositions du droit communautaire ne soient exclues dans l’argumentation sur lequel le maire a parfaitement le droit de fonder ses demandes.
5° La Cour d’appel de Dakar n’est pas seulement là pour entériner ces décisions mais avait un pouvoir certain pour statuer sur le cas du Maire de Dakar.
Monsieur Bamba Dièye secrétaire général du parti politique Fsdb/J, prétendant à la fonction suprême, futur garant de l’indépendance de la magistrature, semble avoir tort de soutenir dans le site Seneweb.com du 30 juillet 2018 que : « Macky Sall est le président des associations de malfaiteurs du Sénégal parce qu’il a trié sur le volet les magistrats les plus corrompus au Sénégal pour juger Khalifa Sall ».
Et que : « Demba Kandji (…) aussi est un membre éminent de l’association des malfaiteurs. Il est membre des magistrats corrompus devant l’éternel et un de ceux qui font la honte du pays et de la justice sénégalaise. »
Si ces propos, qui lui sont prêtés sont exacts, c’est certainement un excès du langage car ce jugement était sans aucun doute excessif, du fait que le juge Demba Kandji ne pouvait pas entrer dans une polémique avec des hommes politiques alors qu’il est chargé de présider une audience devant la Cour d’appel de Dakar.’
Pape Ndiogou MBAYE
Docteur en droit
Avocat au Barreau de Paris
avocat.mbaye@gmail.com