J’ai connu Ndukur, il y a presque 15 ans sans qu’aucune proximité ne se soit installée entre nous. On échangeait sporadiquement des civilités à l’occasion des grands événements sociaux sans véritablement nous tenir la main au quotidien comme c’est devenu quelques années plus tard, après la cérémonie de dédicace de mon livre « Fiju di terra, la Crise casamançaise racontée à mes enfants, paru aux éditions Kamanjen au Canada » à l’Université Assane SECK de Ziguinchor.
Nos relations deviendront pratiquement fusionnelles, à partir de 1997, lorsqu’il a voulu que nous travaillions à la mise en place d’un comité de Veille et de Paix pour la Casamance.
Il avait de la suite dans les idées car en 1999, il voulait commencer par la réhabilitation de la piste reliant Santhiaba Manjack à Youtou longue de 12 Km dans la Commune de Santhiaba, département d’Oussouye. Il disait que le fait que cette piste soit impraticable, expliquait la situation d’enclavement structurel des villages de Santh, Effock et Youtou.
Je trouvais le projet surréaliste car un tel projet nécessitait des moyens importants. Mais il semble que plus c’est compliqué, plus il était animé d’une plus grande émulation. Il s’est défoncé sans compter au point même de faire un AVC à la fin des travaux. Mais c’était mal connaitre l’homme car il lutta contre la maladie et en sortit vainqueur.
Bref, dans les jours à venir, je publierai quelques-uns de ses textes pour mémoire.
Je ferai partie de ses nombreux amis qui l’accompagneront tout à l’heure au cimetière Cambérene où il reposera désormais.
Comme disaient les écritures saintes « les voies du Seigneur sont impénétrables » il est arrivé Mardi 03 septembre à Dakar pour un atelier avec la KOICA, prévu hier 06 Septembre 2024. Cet événement est organisé par l’association des anciens étudiants sénégalais en Corée du Sud à l’hôtel Pullman.
Il devait introduire le thème Paix, Sécurité et relance de l’économie en Casamance.
Dès son arrivée à l’Aéroport de Diass le 03 Septembre, Il m’envoya un sms pour m’annoncer son arrivée puis m’appela quelques instants plus tard pour me dire qu’il avait demandé et obtenu des organisateurs que j’intervienne à sa suite pour parler des opportunités économiques de la région.
Lui se chargerait de développer le volet « Sécurité et Paix en Casamance ». Je l’ai quelque peu rabroué car j’avais un agenda.
Pour toute réponse, il m’envoya son éclat de rire légendaire et sa rengaine chaque fois qu’il m’embarque dans ses projets de dernière minute « tu te débrouilles comme tu veux mais j’ai donné déjà ma parole »
Nous avons commencé la préparation de l’événement dès le lendemain.
Dans la nuit du 05 nous avons discuté au téléphone jusque tard dans la nuit et avons convenu de revoir ensemble les derniers détails de nos présentions le lendemain matin (hier).
Seulement voilà, toute la matinée, il était injoignable au téléphone.
Je suis arrivé à l’hôtel Pullman un peu avant 15 heures, et étais surpris de ne pas l’y trouver. Et malgré les multiples tentatives de le joindre maintes reprises, son téléphone était toujours déconnecté.
J’ai fini par croire qu’il avait cassé ou perdu son téléphone. Je me mis à guetter son entrée dans la salle jusqu’au moment où un coup de téléphone m’annonça la terrible nouvelle.
Vint son tour de monter à la tribune. En parcourant mon fil d’actualités sur Facebook je vis que l’information était déjà sur la toile.
Je fus obligé de me rapprocher de Madame la Présidente de l’Association des anciens étudiants en Corée du Sud, et n’arrivant pas à sortir le moindre mot, je lui tends le téléphone.
C’est le lieu de présenter mes excuses à toute l’assistance surtout aux Sud-Coréens car après avoir parcouru le post, le changement se lisait sur le visage de la dame.
Emue et choquée, elle n’a pu retenir ses larmes, sur le présidium. Je semai ainsi la confusion dans la salle. C’est avec beaucoup d’effort que je pus enfin me ressaisir et en lieu et place de la présentation, je rendis un succinct hommage Ndukur à l’attention de l’assistance puis m’excusai et pris congé.
J’ai dû marcher longtemps à travers les rues de Dakar avant d’embarquer dans un véhicule pour rentrer.
Ndukur, si tu m’entends de là-haut, je dis ceci :
Je suis meurtri de te savoir mort en solitaire, sans que personne ne te tienne la main. Mais que la volonté de Dieu soit faite.
Tu aurais pu mourir quelque part au Sénégal en Casamance, au Sénégal oriental, au Walo, au Fouta, en Gambie ou en Guinée Bissau ou Conakri, compte tenu de ta nature de perpétuel voyageur.
Mais le destin t’a ramené au milieu des tiens. Et comme par pudeur tu t’es isolé pour partir.
Merci pour cette grandeur car je n’ose même pas imaginer l’ampleur des supputations et affabulations, si tu étais mort en Casamance. Merci pour cette générosité de nous préserver d’affabulations inutiles.
Je n’ai pas eu le courage encore moins la légitimité de demander à ta famille que ta dépouille soit restituée à la Casamance pour que tu reposes sur cette terre que tu as aimée et qui t’a aussi aimé. D’un point de vue personnel, c’est là où tu devrais reposer pour l’éternité.
Voilà mon Cher frère, vas te reposer et laisse aux sénégalais, la responsabilité de conduire le devenir de leur nation. Tu as joué pleinement ta partition tout en occultant les insultes, les stigmatisations et les jugements de valeur portés à ton encontre. La paix en Casamance, tu la voulais plus que tout.
Hier, j’ai reçu un appel d’un de nos amis communs, qu’un groupuscule serait arrivé hier à Ziguinchor et devait continuer sur Oussouye ce matin. Leur mission, t’intimider car il semblerait que ta dernière réunion avec le bureau exécutif du MFDC de Tenghory du 24 Aout dernier n’aurait pas plu à certains et qu’ils voulaient te dire en face de ne plus t’immiscer dans les affaires de la Casamance.
Ce à quoi j’ai répondu « Que ces illuminés prennent leur Casamance, car Ndukur ne gênera plus personne de là où il est !
Aux Sénégalais je demanderais simplement que sa mort puisse faire prendre conscience à tous et qu’ils puissent apprécier véritablement l’engagement sans filtre de Ndukur pour la Paix et la cohésion nationale. Je reste dubitatif que la Casamance ait un autre Ndukur.
Un sénégalais qui accepte la vie frugale de Ndukur, un sénégalais qui fonce sans se retourner et sans rien attendre en retour
Je terminerai par deux vœux :
1. Que Abdou Ndukur Kacc Essiluwa ait une reconnaissance nationale pour sa famille et nous ses amis.
2. Que le Parc National de Basse Casamance porte le nom d’Abdou Ndukur Kacc Essiluwa Ndao.
Repose en paix Jeune Frère et que le sable de Cambérene t’accueille dans la plénitude et la grâce de Dieu. Amen !
Xavier DIATTA