C’est devenu une (mauvaise) habitude depuis le mois de décembre, le mercredi je fais un petit tour pour prendre les nouvelles de quelqu’un que je connais depuis longtemps mais qui, récemment, m’est devenu très familier. La garde pénitentiaire de service me fait un gentil bonjour et nous discutons un petit instant comme des bons voisins.
Elle prend ma carte d’identité et mon autorisation de visite et me demande d’aller attendre dans un hangar. J’y trouve des familles et des personnes seules, le visage angoissé, en train d’attendre leur tour. Les conversations montrent qu’elles ont l’habitude de se retrouver dans ces lieux. Dix minutes d’attente et quelqu’un égrène des noms. C’est la liste de visiteurs pour qui c’est le tour d’aller au parloir. Je suis la procession après avoir déposé mes affaires à la consigne.
A peine suis-je installée dans un box libre que mon camarade entre dans la salle accompagné du garde en service. C’est toujours une joie de voir son sourire accueillant.
-Mon camarde : Hey sister, contente de te voir. Comment vas-tu ?
-Moi : Bien petit frère, c’est plutôt à toi qu’il faut poser cette question.
-Mon camarade : Regarde-moi est-ce que j’ai l’air d’aller mal ?
-Moi : En effet. Côté moral ?
-Mon camarade : C’est dur mais je tiens. Je suis soumis à l’isolement 21h sur 24, ne peux donner ni recevoir d’appel téléphonique ; quant aux visites, je n’y ai droit qu’une demi journée par semaine. Alors, je lis beaucoup ; je n’ai jamais absorbé autant de lignes. Dans un sens, c’est bien. Je me gave aussi d’émissions politiques. Je suis au diapason.
Rires en éclats comme lui seul peut le faire dans de pareilles circonstances.
-Mon camarade : Je suis de près les combats que vous tous menez pour moi et je ne saurais vous exprimer comme il se doit ma reconnaissance et ma gratitude.
-Moi : Ils finiront bien par te libérer ; que dit l’avocat ?
-Mon camarde : Aucune issue positive aux différentes demandes de liberté provisoire n’est à l’ordre du jour ; la peine maximale qu’ils peuvent m’infliger est de 6 mois. Alors, je prends mon mal en patience.
-Moi : Au moins, tu ne risques pas d’attraper le coronavirus !
Rires généralisés !
-Moi : Comment ça va côté finances ?
-Mon camarade : Figure toi que la dépense quotidienne est une question qu’on ne me soumet plus ; mieux, on a pitié de moi !! Rires !
Encore quelques échanges sur le dossier des employés de PCCI et les activités de Aar Li Nu Bokk et le garde met fin à la visite. On se dit trop rapidement au revoir à travers la vitre avec des signes d’encouragements à tenir bon.
En rentrant j’ai lu l’Express de cette semaine. Titre : l’empire grippé. On y traite en long et en large les impacts du fameux coronavirus sur la Chine et l’économie mondiale ; je m’attarde sur l’article détaillant le plan de guerre mise au point par la Chine consistant en ce qu’on appelle « la plus grande opération d’isolement jamais menée dans l’histoire de l’humanité…. ». Plus loin, je lis que l’état a accusé le docteur Li Wenliang et ses confrères, qui avaient alerté les autorités sur l’apparition du virus ainsi que les réseaux sociaux, d’avoir porté atteinte à l’honorabilité du pays. Les médecins furent incarcérés durant quelques jours. Le gouvernement en a profité pour restreindre encore plus la liberté d’expression individuelle. Il a aussi enclenché un combat médiatique en guise de solutions prenant du retard sur celles sanitaires plus urgentes et appropriées. A sa sortie, le Dr Li a repris tranquillement son travail d’ophtalmologiste pour finir par être, à son tour, contaminé.
Certains appellent Xi Jinping le « dirigeant du coronavirus » et le Dr Li « héros ordinaire ».
Je ne peux m’empêcher de repenser à ma conversation de tout à l’heure faisant allusion à cette épidémie et de me dire qu’il aurait fallu dire que mon camarade était plutôt traité comme le virus en question ou le Dr Li. En l’isolant, Macky Sall craindrait qu’il propageât l’épidémie de la prise de conscience, du don de soi à la société et de l’engagement sans borne pour la justice et la bonne gouvernance, comme le Dr Li. En l’emprisonnant dans ces conditions, Macky Sall fait montre de gouvernance par la dictature, comme Xi Jinping.
La dictature à des limites que la limite ne saurait dépasser. Tiens bon jeune frère. La vérité finit toujours par triompher.
A bientôt Guy, un héros ordinaire.
Diop Blondin Ndeye Fatou Ndiaye est co coordinatrice de Aar Li Nu Bokk