Dakarmidi- Dans les faits mémorables de l’histoire de la France Michelant écrit « Si les nations s’illustrent par les grandes victoires, par les magnifiques monuments, par les chefs-d’œuvre de l’esprit, elles ne s’honorent pas moins par ces dévouements exceptionnels, la gloire de l’humanité, qu’à certains moments fait éclater, du sein de la foule les calamités publiques. Les efforts de ces nobles cœurs, supérieurs à toutes les craintes, intrépides autant que le soldat sur le champ de bataille, compatissants d’une pitié toute religieuse, saisissent l’âme d’admiration et de respect. Certes, en voyant au milieu des ravages de la peste ce courageux évêque, ces citoyens dévoué, la veille ignorant encore leur force, devenir des héros et risquer leur vie et leur fortune parmi tant de périls, on se sent aussi fier de leur renommée que celle des héros de l’histoire, des généraux célèbres, des grands écrivains, des artistes éminents » aussi j’y ajoute notre héros du jour SERIGNE ABDOU LAHAD MBACKÉ dans le cadre du grand Magal de Touba 18 SAFAR, voyage dans la vie et l’œuvre de cet homme exceptionnel, incarnation de la pure vérité et bâtisseur inconditionnel au service de la Oummah islamique.
Cheikh Abdoul Ahad MBACKE (1914-1989)
Sa naissance
Cheikh Abdoul Ahad Mbacké est le premier des fils de Cheikh Ahmadou Bamba Mbacké à voir le jour à Diourbel en septembre 1914. Deux années après le retour de son vénérable père, le 15 janvier 1912 d’une résidence surveillée à Thiéyeene Jolof, Abdoul Ahad verra le jour.
Auparavant et dans le sillage de la bataille d’isolation des colons, Cheikh Ahmadou Bamba, avait été envoyé en Mauritanie en exil.
C’est dans un contexte de succession d’épreuves endurées par son vénéré père le fondateur du Mouridisme que Dieu le gratifia d’un fils qui vit le jour à Diourbel.
A l’annonce de la naissance de celui qui sera bien des années plus tard le 3e Khalif de Serigne Touba, le premier geste de son vénéré père fut d’enlever son turban et d’ordonner qu’on en recouvre le nouveau-né. Un geste empreint de grâce mais aussi qu’on peut interpréter par un besoin de protection mais également de cession d’un halo de sainteté au nouveau-né.
Un grand changement avait été opéré au jour de son baptême car, tout ce qu’on avait pu constater comme coutumes et traditions dans de pareilles circonstances était totalement transformées pour le meilleur et le tout dans un parfait élan de respect des préceptes religieux en pareilles circonstances.
Le jour de son baptême,Cheikh Ahmadou Bamba en homme de Dieu éclairé, s’adressera à l’assistance qui s’était réunie pour l’occasion en ces termes : » Je sollicite auprès de vous de bien vouloir prier pour ce nouveau-né car, je place en lui un grand espoir ainsi qu’une grande confiance » avant d’ordonner à Serigne Mouhamadoul Amine Diop »Dagana » de déclamer « Fouzti bi tharfil hassanat », un des innombrables poèmes (khassaïdes) écrits par le Cheikh (Où il rend hommage à Mariama la mère du prophète Insa que le cheikh qualifie d’accomplissement de la piété) dans son legs spirituel. Il faut signaler sans pour autant interpréter ou donner une signification osée de cette demande de Serigne Touba de déclamer le »’Khassida » (Fouzti bi tharfil hassanat) que la mère du nouveau-né, se nommait Sokhna Mariama Diakhaté. C’est à la fin de ce récital que le nouveau-né se vit attribuer l’appellation Cheikh Abdoul Ahad Mbacké.
Sa quête de connaissance
C’est à l’âge de six ans en 1920, et après avoir reçu sa toute première leçon de Coran de son vénéré père, que Cheikh Abdoul Ahad va entreprendre sa quête de l’apprentissage, de la maitrise et de la connaissance du Saint Coran.
Cheikh Ahmadou Bamba fit venir pour l’occasion à Diourbel, Serigne Hamzatou Diakhaté oncle maternel de Cheikh Abdoul Ahad, et lui confia la mission d’éduquer son neveu, une chose rare que le Cheikh lui-même exprimera à travers ces propos : » Il n’est pas du tout dans mes habitudes de confier mes enfants à leurs parents issus de leur lignée maternelle ». Un discours qui laissait apparaître toute la confiance qu’il exprimait ainsi à l’endroit de l’oncle et de la famille de Cheikh Abdoul Ahad Mbacké.
Celui-ci pris alors le chemin de Touba, où il fera école et classe dans le Daara de son oncle en compagnie du fils de celui-ci, Serigne Abdoulahi Diakhaté. Serigne Hamzatou Diakhaté s’occupera lui-même de la transmission de la science coranique et religieuse à son neveu avant de les confier en compagnie de son propre fils Serigne Abdoulahi Diakhaté à Al Hassane Diakhaté fils de Diambar Diakhaté issu de la famille de Ndiakhaté Khoury.
C’est ainsi que Cheikh Abdoul Ahad en compagnie de Serigne Abdoulahi Diakhaté commencèrent à apprendre le Coran et les sciences religieuses, et ce dans la pure tradition mouride, où l’apprentissage des règles de vie suppose une humilité sans faille.
Le Legs reçu de son père
Quelques moments plus tard, le disciple fut convoqué par son père à Diourbel où il se rendit derechef en compagnie de son condisciple Abdoulahi Diakhaté. La chaleur de l’accueil et la grande hospitalité dont on leur témoigna n’occulta pas le stress qui les habita, le Cheikh ayant pour habitude de tester leur connaissance, à les mettre à l’épreuve. Dans cet exercice, il arriva que Cheikh Abdoul Ahad ne répondit-pas avec succès. Le Cheikh lui dit alors : » l’oubli fait partie de l’exploit du Satan ».
C’est alors que Cheikh Ahmadou Bamba entra dans sa case pour en ressortir quelques instants plus tard avec une sorte de calebasse bien rempli de trois mets différents qu’il leur présenta avec ce message : » Grace à Dieu, ce mélange permettra d’éradiquer vos pertes de mémoires ».
Cheikh Abdoul Ahad, Serigne Abddoulahi Diakhaté partagèrent le repas avec Sokhna Mohsinatou Mbacké l’une des filles du Cheikh qui se trouvait sur place. A la suite de quoi, son vénéré père Cheikh Ahmadou Bamba formulera des prières qu’il portera directement à la bouche de son fils Abdoul Ahad en guise de protection divine, pour également rendre sa mémoire infaillible. Avec succès par la grâce de Dieu puisque très souvent, Cheikh Abdoul Ahad le rappelait lui-même que c’est » à partir de ce moment que tout ce qui passe sous mes yeux, se grave et s’incruste dans ma mémoire ».
A la fin de la visite, le Cheikh leur dit en guise de recommandation : » Par la grâce de Dieu je vous ai aidé à mieux comprendre désormais en retour vous aller devoir vous adonner davantage à la lecture du Saint Coran et à sa mémorisation. Si vous appliquez à la lettre cette recommandation, je me chargerai spirituellement de vous avec l’aide d’Allah »
La dernière face à face avec Cheikh Ahmadou Bamba
Cinq années après avoir reçu de son vénéré père sa première leçon de Coran et avoir quitté Diourbel pour Touba à la recherche de la science et de l’éducation, Cheikh Abdoul Ahad revint auprès du vénéré Cheikh Ahmadou Bamba. C’était en 1925, année qui va consacrer la seconde et la dernière rencontre entre le père et le fils. Tacitement, c’était un Adieu.
Une nouvelle fois bien accueillis, Cheikh Abdoul Ahad n’échappa une seconde fois aux tests de connaissance et de maitrise du Saint-Coran. Cette fois, l’examen fut couronné de succès à la grande satisfaction du fondateur du mouridisme Cheikh Ahmadou Bamba qui ordonna qu’on les loge quelque part dans la grande concession en attendant une autre audience.
Le lendemain, Cheikh Abdoul Ahad fut reçu par son vénéré père en compagnie de son condisciple Serigne Abdoulahi Diakhaté, pour ce qui sera son dernier face à face avec Serigne Touba. Arrivés devant le Cheikh, il leur fut ordonné de faire leurs ablutions avant de recevoir un exemplaire du Saint Coran avec le message suivant : » Ceci n’est pour vous ni un emprunt ni un don, mais il s’agit d’une pure et simple redevance mais que vous devrez rembourser. Pour se faire, vous allez m’écrire de vos propres mains un livre du Saint Coran. Si vous le faites je viendrai personnellement vous rendre visite à Touba ».
Dix neuf mois plus tard, après avoir achevé l’apprentissage et la mémorisation du Coran, Cheikh Abdoul Ahad et son condisciple Serigne Abdoulahi Diakhaté, terminèrent la rédaction chacun d’un exemplaire du Coran. Cette étape dans la tradition mouride, est le parachèvement de la maitrise du coran, les disciples démontrant par cet exercice calligraphique sans regarder un exemplaire, leur parfaite connaissance du livre saint.
Le jour même où ils terminent la rédaction des exemplaires qui leur a été commandé par Cheikh Ahmadou Bamba coïncidera avec la disparition de celui qui, en des termes inconnus des simples d’esprit, leur donnait en fait un dernier Rendez-vous, en faisant allusion à son cortège funèbre qui l’emmena à Touba où il fut inhumé le 19 juillet 1927.
Les études supérieures de Cheikh Abdoul Ahad
Après la cérémonie funéraire de son défunt et vénéré père, Cheikh Abdoul Ahad Mbacké déposa auprès du premier khalife de Serigne Touba, son aîné Serigne Mouhamadou Moustapha Mbacké, l’exemplaire du Saint Coran qui lui avait été commandité par Serigne Touba. En plus de cet œuvre, il remit sa part de l’héritage reçu de Serigne Touba à son aîné, une manière de lui témoigner en plus de son allégeance, son affection.
Une fois cet acte symbolique mais assez significatif qui consacre l’engagement à faire partie de la communauté mouride posé, Cheikh Abdoul Ahad fut installé par son aîné Serigne Mouhamadou Moustapha Mbacké à Tinedodi (Housnoul Ma-Aab) à quelques encablures de Touba, où sous la coupe de Serigne Makhtar Dieng, il commença à perfectionner sa formation.
Dans ce même cercle d’études se rendront aussi ses frères, Serigne Couhaybou Mbacké, Serigne Saliou Mbacké et Serigne Abdou Samad Mbacké
C’est là ou il apprit la théologie musulmane, les sciences religieuses et celles de la langue arabe. En 1929 il retourne à Touba accompagné de son frère maternel Serigne Chouhaybou Mbacké pour y continuer ses études avec un autre professeur appelé Serigne Habibou Mbacké.
En 1932 il aménagea, toujours sous le magistère de Serigne Mouhamadou Moustapha Mbacké dans sa propre demeure à Touba au quartier Darou Rahmane actuellement baptisé Keur Serigne Chouhaybou.
L’agriculture, le culte du travail et les Daaras
Au cours de la même année, il obtint de son oncle maternel Serigne Hamzatou Diakhaté une exploitation agricole offerte à ce dernier par Serigne Mouhamadou Moustapha Mbacké. Cette exploitation agricole faisait partie du village de Kaad Baloji, situé à 11 kilomètres de Touba.
Dame Touré et Thioumblène Khouma (ses compagnons de premières heures) s’occupaient essentiellement des travaux de ce vaste champ, avec l’appui spontané des habitants des villages environnants qui de temps à temps venaient volontairement leur donner un coup de main.
En 1937 il se déplaça avec sa petite famille vers une autre localité, dans la zone du Saloum appelé Guéloguel. Il avait en effet reçu de la part de Serigne Bassirou Mbacké un de ses grands frères avec qui il entretenait de très bonnes relations, des terres cultivables. Il y cohabitera avec Serigne Omar Mbacké fils de Serigne Mbacké Ibra de Mbacké Kadior. Guéloguel est par ailleurs le village natal de Serigne Sidy Mbacké le fils ainé de Serigne Abdoul Ahad Mbacké, et son actuel khalif.
L’année suivante le khalife général des mourides devant se rendre dans une localité nommé Colobane pour une visite de travail (visite de ses fermes agricoles) et de courtoisie, Serigne Abdoul Ahad se distinguera par la qualité de l’accueil qu’il accordait à son grand frère, en compagnie de l’ensemble des dignitaires mourides des environs. Ceux-ci établis à Pen, Darou Ndiaye, Khayane, Mouré et Pané, étaient unanimes pour rénover le domicile de Cheikh Abdoul Ahad dans le but d’y recevoir leur hôte de marque.
A la tête du comité d’accueil, et en charge de toute l’organisation de la réception du khalife général des mourides de l’époque Serigne Abdoul Ahad reçu avec faste et dévotion, son grand frère et khalife Serigne Mouhamadou Moustapha Mbacké.
Quelques mois après cette brève visite, le premier khalife général des Mourides proposa à son frère Serigne Abdoul Ahad de procéder à l’exploitation de terres cultivables à Kaabou Gaye à 14 kilomètres de Ndande. C’était en 1939 et cette localité était devenue par la suite une de ses sphères d’influence dans le domaine du travail et de l’éducation morale et physique, sacerdoce du disciple mouride.
Il y fonda son second foyer. Les gens affluaient de tout bord pour lui rendre visite et solliciter sa bénédiction. En effet ils avaient eu l’occasion de le côtoyer et de découvrir ses sublimes qualités d’un fils de Cheikh Ahmadou Bamba. En outre, chaque jour, il recevait de nouveaux adeptes (talibés) désirant signer avec lui le pacte d’allégeance.
Cheikh Abdoul Ahad servait lui-même d’exemple du bon mouride en inculquant aux disciples qui le désirent, la devise du mouridisme : La foi en Dieu, l’assiduité dans le travail, la quête du savoir, la discipline, le respect de l’autre, et la rigueur. Grâce à ces valeurs morales et éthiques, il est devenu l’idole de tout le monde et son influence commençait à prendre une très grande ampleur sur toutes les couches de la société. Autrement dit ; toutes ses entreprises gagnaient du terrain d’une façon exceptionnelle.
Là, dans cette contrée il reçut son grand frère Serigne Mouhamadou Moustapha Mbacké le premier khalife général des mourides qui y séjourna pendant trois jours accompagné de Serigne Omar Mbacké ainsi que d »une forte délégation composée de notables et dignitaires mourides, sans compter ceux qui restaient à Ngaaye en attendant son retour. Cette rencontre était historique et tout à fait attendue depuis bien longtemps par les talibés mourides qui se ruaient avec enthousiasme pour assister aux festivités.
A part la visite de son khalife et grand frère, Cheikh Abdoul Ahad a également reçu dans sa retraite de Kaabou Gaye plusieurs membres de sa fratrie. Son frère aîné Serigne Fallou Mbacké y séjournera deux fois, de même que Serigne Saliou Mbacké (2 fois), Serigne Abdou Khadre (1 fois), Serigne Abdoulahi dit Borom Deurbi (1 fois). Serigne Mourtada Mbacké sera celui qui y séjournera le plus de fois (3 fois).
Il recevra également certaines de ses sœurs Sokhna Momi Mbacké, Sokhna Maïmouna Mbacké …
En 1944 Serigne Mouhamadou Moustapha Mbacké conquit le village de Taïf et accorda à son petit frère Serigne Abdoul Ahad Mbacké l’autre bout de cette terre du Saloum. Ce dernier s’y installa avec un certain nombre de sa famille. La localité qui s’appelait Bocki Barga sera baptisé Darou Salam. Cheikh Abdoul Ahad y passera périodiquement des séjours mais aura toujours un pied au Cayor également. Les séjours s’alternaient donc.
On le voit donc, Cheikh Abdoul Ahad a cheminé très tôt sur les sentiers de la perfection, en bon musulman, en bon mouride mais surtout en illustre fils de Cheikh Ahmadou Bamba.
Il a voué une admiration sans faille à son père au nom de qui il a entrepris d’intenses études, mais aussi à ses frères sous la férule de qui il a appris à développer l’autre facette du mouridisme, le travail, surtout le travail de la terre. De Kaad Baloji à Bocki Barga en passant par Guéloguel et Kaabou Gaye il s’est évertué à travailler la terre pour participer à l’effort de financement des grands projets mourides dont le plus imposant était la construction de la Mosquée de Touba.
C’est en cela d’ailleurs qu’il faut expliquer la forte propension des mourides à travailler la terre. L’histoire du mouridisme était étroitement liée à l’agriculture. C’est que le produit de la vente des récoltes était directement versé pour le compte des chantiers de la grande mosquée de Touba.
De plus, dans le Sénégal de cette époque le poids financier du commerce d’arachide était entre les mains des paysans. Tous les fils de Cheikh Ahmadou Bamba et les Cheikhs mourides encourageaient donc les gens au culte du travail et à celui de la foi, la terre étant le principal terreau du développement certes, mais aussi le principal lieu d’application du culte du travail.
A Darou Salam son nouveau fief, les visites interminables des disciples se succédèrent de plus en plus. Il était côtoyé par tout le monde y compris des dignitaires et des gens qui n’étaient pas liés à la communauté des Mourides. Des Tijanes, Des Khadres, Des Layènes et des Niassènes viendront lui rendre visite et dans une parfaite courtoisie, Cheikh Abdoul Ahad leur rendait constamment la pareille et entretenait de très bonnes relations avec ces autres familles religieuses musulmanes du Sénégal.
Ces nombreux déplacements expliquent qu’il n’ait pu en 1952 recevoir son aîné et deuxième Khalife général des Mourides Serigne Fallou Mbacké qui s’est rendu à Darou Salam de façon inopinée pour se rendre compte de visu du travail que son frère y accomplissait.
Ce sera finalement l’année suivante en 1953 que Serigne Fallou sera accueilli à Darou Salam par Serigne Abdoul Ahad, une occasion pour ce dernier d’organiser un grand Ziar à l’endroit de son aîné et khalife des mourides.
Cette visite de Serigne Fallou Mbacké qui a duré trois jours sera une occasion pour les nombreux disciples et population de la localité et des environs, de saluer le chef suprême des mourides qui a 17h 30 ce jour-là annonça qu’il allait prendre congé. A Serigne Mbaye Ngom qui viendra lui annoncer l’intention de Serigne Fallou de retourner à Touba, Cheikh Abdoul Ahad dira ceci : » Mon désir le plus ardent est d’entendre le khalife témoigner de mon engagement sincère ainsi que de ma conviction à travailler pour Cheikh Ahmadou Bamba. Cela me suffira largement ».
Comme s’il l’avait entendu, Serigne Fallou prononcera cette phrase lorsque Cheikh Abdoul Ahad se présenta à lui : » Maintenant, il est venu pour moi le temps de rentrer à Touba, mais la seule chose que j’ai à vous dire est que j’atteste et signe que vous êtes sincère et fervent dans votre engagement envers votre père ». Ensuite Serigne Fallou pris congé de son cadet, tous les deux satisfaits de cette visite et de la communion qui les a réunies à Darou Salam.
Lieutenant sous le Khalifat(magistère) de Serigne Fallou
C’est en 1945 que Serigne Fallou Mbacké, deuxième de la fratrie de Serigne Touba succéda à la tête de la communauté au premier khalife du mouridisme, Serigne Mouhamadou Moustapha Mbacké qui s’est éteint après avoir accompli sa mission sur terre.
Dès cet instant, Cheikh Abdoul Ahad suivant en cela la tradition familiale et mouride en général, transféra toute sa sollicitude à Serigne Fallou chez qui il fit acte d’allégeance.
Avec Serigne Fallou, Cheikh Abdoul Ahad a entretenu des relations empreintes d’amitié au-delà des obligations de respect, de considération et de soumission à son autorité qu’il lui devait.
Ils s’entendaient très bien et leurs liens d’amitié ne faisaient l’objet d’aucun doute. Il était constamment à ses côtés tout en suivant strictement ses directives sans contestation aucune. Par conséquent, il était souvent consulté par le khalife,dans la prise de certaines décisions, celui-ci le considérant d’ailleurs comme un lieutenant (Diawrigne) sur qui se reposer pour l’exécution de certaines tâches et l’application de certaines directives.
Il était son émissaire auprès des groupements religieux (Dahira) qui se heurtaient parfois pour des raisons personnelles ou de leadership. La preuve est qu’en1958, il est parti en Côte d’ivoire sur injonction du khalif pour résorber quelques petits problèmes internes qui opposaient certains membres de la communauté mouride d’Abidjan.
Ce voyage était le seul qu’il eut à effectuer en dehors de son pays natal. Et en reconnaissance de son dévouement et de son attachement inconditionnel, Serigne Fallou Mbacké confiera à Cheikh Abdoul Ahad Mbacké son fils aîné Serigne Abdou Karim Mbacké pour qu’il l’éduque. Au décès de ce dernier, Serigne Fallou Mbacké confiera les enfants de celui-ci à Serigne Abdoul Ahad.
La passation du Khalifat
C’est au niveau de la passation du khalifat entre les deux saints hommes qu’il faut rechercher le parachèvement de la sincérité de leurs relations ainsi qu’un bon exemple à suivre. La manière dont il lui avait cédé le khalifat était prémonitoire de la part de Serigne Fallou qui peu de temps avant sa disparition convoqua son dauphin et lui dit ceci : »Je vous donne la permission (Ndiguel) d’aller faire un périple à travers le pays pour rendre visite aux grands notables et dignitaires du mouridisme, chez eux dans leurs endroits respectifs. A commencer par mon fief (Ndinedi) ».
Ce dernier ordre était en fait une passation de service, Serigne Fallou qui savait qu’il ne lui restait pas beaucoup de temps avant la fin de sa mission sur terre, voulant par ce périple permettre à son dauphin de prendre le pouls de la communauté qu’il était appelé à diriger après lui.
Juste quelques jours après le retour de Cheikh Abdoul Ahad de son périple à l’intérieur du pays, Serigne Fallou Mbacké, 2e khalife général des mourides rendit l’âme en paix dans son domicile à Touba, le mardi 06 aout1968. Ponctuant ainsi une magnifique passation de service.
Le khalifat de Cheikh Abdoul Ahad Mbacké
L’avènement de Cheikh Abdoul Ahad Mbacké à la tête de la communauté mouride
Cet avènement qui s’est déroulé au mois d’août 1968, a été suivi de la prise de décision de s’imposer une feuille de route pour la réalisation d’un ensemble de sept projets.
Mercredi le 7 aout 1968, il est devenu à l’âge de 55 ans le 3ème khalife général (chef suprême) de la communauté musulmane des Mourides.
Vendredi le 20 septembre 1968, il déclara son souhait de réaliser à Touba 7 projets énumérés comme suit :
1-Un haut Conseil de concertation (renfermant la famille et les grands Cheikhs de Cheikh Ahmadou Bamba)
2-Prendre entièrement en charge les veuves de Cheikh Ahmadou Bamba Mbacké.
3-Partager les hadya, (contributions volontaires financières ou matérielles des Talibés) à la prise en charge des besoins de la famille mouride.
4-Créer une bibliothèque et un musée pour conserver les manuscrits précieux, les livres coraniques et d’autres écrits.
5-Êlargir la capacité d’accueil de la grande mosquée de Touba compte tenu du développement démographique de la population.
6-Fonder une université islamique à Touba pour accueillir les étudiants du pays et de la sous-région
7-Bâtir une résidence bien équipée en face de la grande mosquée pour recevoir les hôtes du khalife et en même temps abriter les cérémonies religieuses comme le grand magal de Touba
Cet ensemble de projets qui l’habitait ont poussé Cheikh Abdoul Ahad, toujours guidé dans ses moindres actions par le chemin tracé par son vénéré père, de s’inspirer de la philosophie contenue dans l’un des illustres écrits de Cheikh Ahmadou Bamba (« Matlaboul fawzeini ») et d’en faire son plan directeur.
Cheikh Adoul Ahad : La vertu en modèle de gestion
Cheikh Abdoul Ahad Mbacké était un homme de caractère, de rigueur avec beaucoup de conviction pour la religion musulmane dont il incarnait les vertus et les valeurs intrinsèques. Son charisme, mais surtout sa science abreuvée des préceptes de l’islam, et
Sa bonne foi à toute épreuve, son éloquence dans le propos toujours approprié et juste, et sa maitrise des thèmes qu’il exposait, lui ont permis de véhiculer de manière efficace et compréhensible la mission de Cheikh Ahmadou Bamba.
Ce dernier, fondateur du mouridisme a toujours prêché pour la justice sociale, la tolérance religieuse, la solidarité, le respect de l’autre et l’égalité entre les hommes. Durant sa vie, il n’a jamais cautionné ni reconnu aucune forme de discrimination ethnique ou raciale tel que : le système des castes que vivent certaines sociétés africaines comme la nôtre.
Cette philosophie prônée par sa sainteté Cheikh Ahmadou Bamba, Cheikh Abdoul Ahad Mbacké 3eguide suprême de la Mouridiya en a fait son sacerdoce.
Le khalifat de Cheikh Abdoul Ahad était marqué par son aversion totale à toute forme d’escroquerie financière ou intellectuelle, à toute manifestation d’un quelconque complexe d’infériorité vis à vis de qui que ce soit, mais également Cheikh Abdoul Ahad Mbacké a toujours abhorré la pratique de la religion de façon folklorique et non conforme à la sunna (tradition musulmane) enseignée par le Prophète Mouhamed.
L’attachement de cette grande figure de l’Islam qui s’interdisait de prononcer un quelconque prêche sans faire référence au Coran, à la Sunna ou au consensus des Ouléma, son obsession à enseigner par l’exemple en vivant quotidiennement la rigueur des préceptes de l’Islam, son implication en tant que régulateur social, ont naturellement poussé l’élite religieuse et intellectuelle, de la communauté mouride et de la Oumah Islamique à lui vouer un respect certain.
Pour preuve de cette admiration axée sur son attachement à la vérité, les surnoms, signes d’une affection sans limites, ont fusé : Cheikh Abdoul Ahad le Bâtisseur, Baye Lahad le rassembleur, l’éducateur, le véridique. Ce dernier surnom, était sa préférence, tant il était attaché à tout vent aux principes attachés à ce vocable qu’il vivait au quotidien.
En dehors de la vérité qu’il ne cessait de s’approprier, Cheikh Abdoul Ahad Mbacké a toujours professé l’unité. L’unité de la communauté mouride, mais également l’unité de la communauté musulmane.
L’unité de la communauté mouride lui tenait à cœur, mais ne constituait point un obstacle à sa claire conscience que c’est dans le nombre, que les brebis galeuses se distinguent. En bon »’Berger de sa communauté », il a œuvré à regrouper les Mourides autour de la capitale religieuse Touba, un moyen de les avoir à portée de main pour leur inculquer les enseignements de Khadimou Rassoul, mais surtout un moyen de veiller sur le respect par eux des préceptes islamiques, de la doctrine mouride et de la dignité humaine.
L’encouragement de l’exode des Mourides vers Touba
C’est à l’occasion de la Tabaski (Aid El Kabir) de l’année 1974 que Cheikh Abdoul Ahad lance un appel solennel à l’endroit des Talibés Mourides pour les inciter à venir chercher demeure à Touba la Sainte. Cet appel s’expliquait par les vertus qui entourent la ville fondée par Cheikh Ahmadou Bamba, une ville, terre promise pour tout mouride, adepte de la voie vers le salut.
Mais cette décision, comme l’ensemble des mesures qui marqueront son khalifat ne s’est pas prise sans pour autant qu’un architecte n’ait tracé les moyens de sa réalisation. Que serait le sens de son appel si aucune mesure d’aménagement et d’assainissement n’a été prise au préalable ?
C’est donc pour anticiper cette ruée massive des mourides qu’il était sûr d’obtenir d’eux, qu’il a auparavant, procédé à l’élargissement du périmètre habitable de Touba, organisé autour du titre foncier par la viabilisation des parcelles, gratuites destinées aux futurs nouveaux venus.
C’est sans surprise aucune que les mourides répondent massivement à l’appel du Khalife. Si la ville sainte de Touba est devenue la deuxième ville du Sénégal après Dakar, c’est grâce assurément à cette initiative éclairée et bien conçue de Cheikh Abdoul Ahad Mbacké, qui a su dépoussiérer avec succès, l’image du mouridisme et celle des talibés mourides.
Le marché central de Touba (Ocas)
L’agrandissement et le peuplement massif de la cité de Touba, n’allait pas sans l’apparition de pratiques bannies par l’islam, de trafic de toute sorte. Mais la naïveté des populations qui croyaient que Touba pouvait être une zone de non-droit parce que jouissant d’une aura religieuse ne va pas prospérer.
Le Cheikh appris avec désolation que le Marché Ocas, créé par son prédécesseur Serigne Fallou Mbacké et qui jouissait d’une notoriété sans pareille était devenu un lieu de prédilection de trafics de tout genre, de propension d’excès de toute sorte, et même un terreau d’une certaine débauche. On y vendait même des armes blanches et des marchandises frauduleusement introduit sur le territoire sénégalais en provenance de certains pays limitrophes.
Un an après avoir lancé son appel pour encourager les mourides à s’installer à Touba, Cheikh Abdoul Ahad décida en 1975, de redonner au marché son rôle en prenant une mesure radicale : la démolition totale du marché et sa reconstruction selon des normes modernes avec en toile de fond l’assainissement des pratiques qui y avaient cours.
Après qu’il l’eut inauguré en 1976 en compagnie du président de la République de l’époque Léopold Sédar Senghor, le marché central de Touba, devint un lieu moderne et purifié de tout produit illicite au point de vue moral, légal et surtout religieux.
C’est que Touba, qui a commencé à se remplir, à devenir une mégalopole cosmopolite, ne devait pas selon sa vision, être une zone de non droit, un no mans land où sous le couvert du regroupement communautaire, des pratiques peu orthodoxes devaient prospérer.
Le Cheikh qui était aussi le gardien de l’orthodoxie mouride, n’a pas toléré que les habitants de la ville ne paient pas l’impôt aux structures de l’Etat, le guide soutenant alors qu’avant de pouvoir revendiquer des droits, les habitants de Touba, mourides de surcroit, doivent s’acquitter de leur devoir et payer l’impôt.
Le Cheikh a exercé un contrôle certain sur la communauté, et sur la ville de Touba qui est le symbole de la vérité et de la sainteté prôné par Cheikh Ahmadou Bamba. Comme s’il s’agissait de la prunelle de ses yeux, il a assis une autorité basée sur la justice. Sa perspicacité d’esprit et son influence exceptionnelle pour gérer les conflits, les situations de crise ainsi que les dissensions internes, chez les mourides comme chez les gens de confessions religieuses différentes, ne faisait l’objet d’aucun doute. Sa politique de main tendue lui avait facilité la tâche dans ses projets pour le progrès moral et spirituel de l’Islam.
Cheikh Abdoul Ahad Mbacké
1914 : Naissance à Diourbel
1920 : Première leçon de Coran de la part de son vénéré père Cheikhoul Khadim MBACKE
1925 : Après un test de connaissance, il reçut l’ordre d’écrire un exemplaire du Coran à la fin de son apprentissage et de sa mémorisation
1927 : (19 juillet) Il termine la rédaction de son exemplaire de Coran, une date qui coïncide avec le retour à Dieu de son vénéré père Cheikh Ahmadou Bamba Mbacké. Il entame dans la foulée et sous la direction de son frère aîné l’apprentissage de la connaissance religieuse à Tinedodi (Housnoul Ma-Aab)
1929 : Retour à Touba pour parfaire sa science religieuse sous la coupe de Serigne Habibou Mbacké
1932 : Il s’installe à Touba dans le quartier de Darou Rahmane
1932 : Il obtient de son oncle Hamzatou Diakhaté une exploitation agricole à Kaad Baloji, situé à 11 kilomètres de Touba
1935 : Il s’installe à Guéloguel après avoir reçu une surface cultivable de la part de Serigne Bassirou Mbacké
1936 : Il reçoit son frère aîné et khalif général des Mourides à Colobane
1936 : Il s’installe à Kaabou Gaye sur injonction de son frère et khalif général des mourides Mouhamadou Moustapha Mbacké
1944 : Mouhamadou Moustapha conquit Taïf et lui confia une partie de ce village, une localité appelé Bocki Barga qui sera baptisé Darou Salam
De cette localité il recevra Serigne Fallou lors d’une visite en 1953. Son frère alors khalife général des mouride lui décernera un satisfecit
1958 : Il entreprit un voyage en Côte d’Ivoire sur injonction de son frère et khalife général des mourides Serigne Fallou Mbacké
1968 : Il accède au khalifat de la communauté mouride
1989 : Il termine sa mission sur terre et rejoint son ascendance et sa fratrie dans les demeures célestes
Sources : Toubabelel