Dakarmidi – Quand les éléphants se battent, ce sont les fourmis qui meurent. Ou c’est l’herbe qui est piétinée. Dans ce qu’il est convenu d’appeler l’ «affaire Cheikh Tidiane Gadio», c’est ce dernier, le petit Poucet, qui risque de souffrir pour ne pas dire «mourir», victime collatérale de la concurrence économique qui fait rage entre les mastodontes américain et chinois sur le terrain de l’exploitation pétrolière. En Irak, au Darfour, au Tchad et ailleurs dans le monde, les deux premières puissances économiques du monde s’affrontent sans merci sur le terrain des gisements pétroliers. Et la Chine moins rigide dans les procédures, moins gourmande, peu regardante sur les pratiques de corruption, dame le pion un peu partout aux majors pétrolières américaines plus puritaines.
L’Afrique, terrain d’affrontement entre Chinois et Américains
En été 2009, l’Irak a attribué des contrats pour développer sept grands champs pétroliers. L’entreprise chinoise China National Petroleum Corporation (CNPC), fut la grande gagnante de cette opération suivie de la russe Lukoil, de la malaisienne Petronas et la française Total. Exxon Mobil, la plus grande compagnie pétrolière du monde, et de nationalité américaine, avait dû se contenter des restes. Gal Luft de l’Institute for the Analysis of Global Security des USA déclarait alors que «la Chine est le plus grand bénéficiaire du trésor pétrolier irakien. Les entreprises chinoises, soutenues par leur gouvernement, bénéficient de gros avantages par rapport aux compagnies pétrolières internationales et disposent également d’un meilleur pouvoir de négociation».
Avant la déstabilisation de la Libye, la Chine y réalisait des investissements énormes dans l’énergie et dans la construction. Une situation qui avait poussé l’ancien sous-secrétaire au Trésor dans l’administration Reagan, Paul Craig Roberts, à déclarer que «la Chine considère l’Afrique comme une future source d’énergie». Certains observateurs avaient d’ailleurs affirmé que la guerre en Libye avait comme soubassement l’avancée de la Chine dans cette région pétrolifère. Et le même Paul Craig Roberts avait soutenu à cet égard que «Washington essaye de paralyser son principal rival, la Chine, en niant l’énergie de la Chine.» Par conséquent, c’était une réaction violente des Etats-Unis face à la pénétration de la Chine en Afrique.
On se rappelle qu’en novembre 2006, la Chine avait invité les leaders de 48 pays africains à Pékin pour aborder les problèmes économiques. En tête de liste : l’accès à l’énergie et aux gisements miniers. Le mois suivant, le président Bush autorisa la création d’Africom — un nouveau commandement militaire centré sur l’Afrique. Et l’un des trois objectifs des commandements d’Africom, c’est justement de «protéger l’accès aux hydrocarbures et autres ressources stratégiques que l’Afrique possède en abondance». Une manière de s’assurer que des puissances comme la Chine ou la Russie n’obtiennent pas des monopoles ou des traitements de faveur des pays africains au détriment des USA.
En Afrique, le Tchad est l’objet d’une rivalité farouche entre Américains et Chinois pour le contrôle de son pétrole. L’exploitation de l’or noir de ce pays revient, dès 2003, au consortium ExxonMobil, Chevron et Petronas (société malaisienne) et plus de 70 % de la production pétrolière tchadienne est destinée aux Etats-Unis, 15 % à la Chine.
Une amende record de 44 700 milliards de FCFA infligée à Exxon !
Seulement voilà, la faible part tirée des ressources de son pétrole exploité par les Américains a suscité le mécontentement de l’Etat tchadien. Et quand le président Idriss Déby, par le biais de son parlement, a décidé en 2006 de prendre une plus grande part des revenus pétroliers de son pays pour financer sa guerre contre Khartoum, l’alors président de la Banque mondiale et artisan de la guerre d’Irak, Paul Wolfowitz, alors secrétaire adjoint à la Défense entre 2001 et 2005 dans le gouvernement de Bush, a ordonné la suspension des prêts en faveur du Tchad.
Puis en août 2006, Déby crée une société pétrolière tchadienne, la Société des Hydrocarbures du Tchad (SHT), pour avoir une emprise sur son or noir. En août 2006, Pékin accueille le ministre des Affaires étrangères tchadien pour des discussions et une reprise des relations diplomatiques interrompues en 1997. La Chine commence alors à importer du pétrole du Tchad.
Avril 2007, le ministre tchadien des Affaires étrangères annonce que les discussions avec la Chine sur une plus grande participation de celle-ci à l’exploitation plus égalitaire du pétrole tchadien progressaient bien. Cette nouvelle coopération sino-tchadienne n’est pas vue d’un bon œil à Washington. Et en 2009, l’État tchadien accuse Exxon Mobil de ne verser que 0,2 % de la redevance qu’elle doit au Tchad, alors que le taux fixé par la loi était de 2 %. Soit dix fois moins ! Dans ce litige, la justice tchadienne a condamné en 2016 la major pétrolière américaine à verser 44 700 milliards de FCFA au Tchad !
Le règlement à l’amiable de cette affaire a permis de prolonger le contrat de Exxon Mobil, mais la toute-puissante major a perdu sa notoriété, de l’argent et sa position privilégiée auprès des autorités tchadiennes. Bien évidemment, les Américains en ont voulu au régime de Déby pour cette affaire.
La Chine, la nouvelle favorite du Tchad
Au moment où les ennuis ne cessent de se multiplier pour les compagnies pétrolières américaines au Tchad, le tapis rouge est déroulé au groupe chinois PanjinLiaoheOil field Chenyu group qui bénéficie d’un projet d’exploitation pétrolière importante dans la zone de Sedigui (Sud tchadien). Les Chinois ont pour mission de construire un gazoduc de 300 km pour relier Sédigui à Djarmaya (sortie nord de Ndjamena) où seront installées entre autres une unité de purification de gaz et des cuves de stockage.
Les Américains n’ont pas pu obtenir ce marché gagné par leurs principaux concurrents de l’Empire du Milieu. Dès lors, il est permis de penser à une volonté de revanche de la part d’Exxon Mobil par le biais de son ex-PDG Rex Tillerson, qui n’est autre que l’actuel Secrétaire d’État (ministre des Affaires étrangères) dans l’Administration Trump, lequel a incité le président américain à inscrire le Tchad sur la liste noire des pays terroristes ! Ainsi, le Tchad est venu grossir les pays blacklistés dans le décret appelé « executiveorder » du 27 janvier 2017.
Il s’agit du Vénézuéla, de la Corée du Nord, de l’Iran, de la Libye, de la Syrie, de la Somalie, du Soudan et du Yemen. Réponse du berger à la bergère, Déby a fermé l’ambassade américaine au Tchad. Au lendemain de cette décision américaine, Cheikh Tidiane Gadio, dont la proximité avec le président tchadien est connue de tous, avait réagi en faveur de ce dernier. Et d’ailleurs, il se dit que si Déby a boycotté le 4e sommet du Forum de la paix et de la sécurité à Dakar, c’est à cause de son ami Gadio que Macky Sall a écarté de l’organisation de cet événement depuis quelques années, pour la confier au ministère des Affaires étrangères.
Déby, l’infréquentable
Toujours est-il que Déby, aux yeux des Américains, est devenu infréquentable et toutes ses connexions sont minutieusement surveillées. Ainsi Gadio, qui aurait servi d’intermédiaire avec Chi Ping Patrick Ho, secrétaire général de l’ONG China EnergyFundCommittee, pour obtenir une licence d’exploitation énergétique en faveur d’une société chinoise est tombé dans la nasse judiciaire américaine. Laquelle l’accuse des délits de corruption et de blanchiment. Ainsi pour Joon H. Kim, procureur par intérim des États-Unis pour le district sud de New York, « Gadio et son compère Ho auraient cherché à générer des affaires grâce à des pots-de-vin versés au président du Tchad et au ministre ougandais des Affaires étrangères ».
En vertu de la loi américaine FCPA (Foreign Corrupt Practices Act) relative aux pratiques de corruption à l’étranger qui interdit aux entreprises américaines, à leurs filiales, à leurs salariés et à des tiers intervenant en tant qu’agents, de verser des pots-de-vin à des représentants gouvernementaux étrangers, Gadio encourt une lourde peine de prison. Ses avocats auront donc fort à faire pour le tirer d’affaire.
Mais au pays de l’Oncle Sam, la règle du «deux poids, deux mesures» est de mise. En novembre 2009, ExxonMobil est en compétition avec le groupe chinois China National Offshore Oil Corporation (CNOOC) pour le renouvellement de ses licences sur trois importants puits nigérians représentant à l’époque un quart de la production du pays. Nonobstant une proposition inférieure, 1,5 milliard de dollars contre 3,75 milliards de dollars des Chinois, Exxon l’emporte à la suite d’une intervention personnelle de M.
Tillerson (actuel Secrétaire d’Etat américain) auprès du président de l’époque, Umaru Musa Yar’Adua. Exxon s’était refusé, à l’époque, à toute explication sur cette affaire nébuleuse qui fleurait la corruption ou le chantage, c’est selon. Bien évidemment, si les Chinois avaient gagné ç’aurait été autre chose puisque les Américains auraient tout de suite sorti les grands mots comme «corruption». Mais puisque c’est eux qui avaient remporté la mise…
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