L’application de la loi seule ne suffira pas à endiguer le phénomène. Il faut donner la priorité à un travail de prévention dans l’entreprise et d’éducation dès le plus jeune âge.
Y aura-t-il un avant et un après l’affaire Harvey Weinstein ? La révélation par la presse américaine de témoignages édifiants sur le harcèlement sexuel, pratiqué des années durant par le producteur hollywoodien à l’égard de nombre d’actrices, a provoqué une libération spectaculaire de la parole des femmes, aux Etats-Unis et ailleurs.
La réaction a pris des proportions inédites sur les réseaux sociaux. En France, sur Twitter, la rapidité avec laquelle s’est répandu le hashtag #balancetonporc en dit long sur une colère qui s’exprime enfin. Certains critiquent la forme outrancière qu’a prise cet appel à la délation lancé aux femmes qui ont subi, un jour ou l’autre, des abus de comportement plus ou moins graves de la part de leurs supérieurs hiérarchiques, de leurs collègues ou même d’inconnus. En fait, peu d’entre elles ont livré des noms. Les récits ont vite été « anonymisés » et l’exercice a permis l’expression d’une rage collective devant une réalité encore largement ignorée.
Dans cet exercice de prise de conscience, l’affaire Weinstein marque une étape importante. En France, elle intervient un peu plus d’un an après la mise en cause pour harcèlement et agressions sexuels de l’ex-député Europe Ecologie-Les Verts Denis Baupin. Même si le dossier a été classé sans suite parce que les faits étaient prescrits, les victimes avaient osé prendre la parole à visage découvert. Un progrès incontestable six ans après « l’affaire Strauss Kahn », au cours de laquelle certains en arrivaient encore à défendre la « séduction à la française » pour qualifier le comportement de l’ex-directeur du FMI.
Seuls 5 % des cas seraient portés devant la justice
Mais encore trop de femmes sont confrontées, dès leur plus jeune âge, à des propos sexistes, à des pressions à connotation sexuelle, voire à des agressions physiques dans une relative indifférence. Une femme sur cinq se dit ainsi victime de harcèlement sexuel dans le cadre de son travail, assure une étude de 2014 réalisée pour le Défenseur des droits.
L’arsenal juridique pour lutter contre ces comportements existe. Mais, malgré la nouvelle loi sur le harcèlement sexuel de 2012, l’immense majorité des femmes hésitent à porter plainte. Ainsi, seuls 5 % des cas seraient portés devant la justice. Les raisons en sont multiples.
Parfois, le phénomène fait tellement partie d’une certaine culture des rapports hommes-femmes que ces dernières n’identifient pas toujours la gravité des faits. Surtout, parler, c’est prendre le risque de subir l’opprobre de son entourage, professionnel ou familial. Avant de mettre sa carrière en péril, de briser sa vie de famille, de se ruiner la santé, les victimes préfèrent y réfléchir à deux fois. L’impact de la pression sociale ne doit pas être sous-estimé. La victime est trop systématiquement accusée d’affabuler, ou d’avoir provoqué son agresseur.
L’application de la loi seule, après élucidation des faits, ne suffira pas à endiguer le phénomène. De ce point de vue, il est peu probable que la création d’une « police de sécurité du quotidien », évoquée le 15 octobre par Emmanuel Macron pour lutter contre le harcèlement de rue, parvienne à changer les mentalités. Qui donc serait chargé d’une telle mission, et avec quels pouvoirs ? Mieux vaut donner la priorité à un travail de prise de conscience, de prévention dans l’entreprise et d’éducation dès le plus jeune âge, aussi bien à l’école qu’en famille. Pour que l’intolérance au sexisme devienne une évidence pour tous.
Le Monde