Dakarmidi – L’ancien président sénégalais sera l’une des têtes de liste de l’opposition pour les législatives. «On ne peut pas être et avoir été », dit-on. L’ancien président Abdoulaye Wade entend bien faire mentir l’adage. Les plus belles phrases de son passé, le nonagénaire les conjugue au présent. Opposant mythique il fut, vingt-six ans durant, opposant de premier plan il reste.
Président de la République au cours des douze années suivantes, il tient aussi à conserver le statut de monarque républicain, continuant à diriger à distance le Parti démocratique sénégalais (PDS, opposition), qu’il a fondé en 1974, et multipliant les audiences avec divers ténors de la classe politique sénégalaise dans son pavillon de Versailles – la ville où trônait le Roi-Soleil. « Il n’en a jamais fait mystère : la politique, c’est toute sa vie. Il la pratiquera jusqu’à son dernier souffle », témoigne l’un de ses anciens collaborateurs.
Il a le sentiment d’avoir été poignardé dans le dos par l’un de ses héritiers
Hasard du calendrier ? Le 29 mai dans la soirée, tandis qu’il fêtait son quatre-vingt-onzième anniversaire, « Maître Abdoulaye Wade » a reçu en cadeau l’investiture d’une vingtaine de mouvements d’opposition pour être leur tête de liste nationale aux législatives du 30 juillet. Si la date de son retour à Dakar est encore incertaine, son entourage s’accorde sur le fait que Gorgui (« le Vieux », en wolof) foulera très bientôt le sol de son pays natal pour y mener sa énième campagne.
Dans son viseur, celui qui fut successivement, au cours des années 2000, son ministre, son Premier ministre, son directeur de campagne puis le président de l’Assemblée nationale, avant de récolter sa disgrâce : Macky Sall, élu en mars 2012 face à son ex-mentor avec 65 % des voix.
« Il a le sentiment d’avoir été poignardé dans le dos par l’un de ses héritiers, confie un proche. Après son élection, en 2000, lui-même avait proposé à son prédécesseur, Abdou Diouf, de le représenter à un sommet en Égypte, avant de soutenir sa candidature à la tête de l’Organisation internationale de la Francophonie. Il considère que Macky n’a pas eu de tels égards envers lui. » Principale pomme de discorde entre les deux hommes : le grand ménage impulsé par Macky Sall au lendemain de son élection, à travers la « traque aux biens mal acquis ».
La « traque aux biens mal acquis », un règlement de comptes ?
Une croisade qui aura ciblé exclusivement la garde rapprochée de l’ancien président, et qui s’est traduite par le chemin de croix judiciaire de son propre fils, Karim, condamné pour enrichissement illicite et incarcéré pendant plus de trois ans avant d’être gracié. Un règlement de comptes ? « Le PDS a exercé le pouvoir pendant douze ans, il n’y a donc rien d’anormal à ce que les enquêtes aient mis en cause ses responsables », justifie l’ancienne ministre de la Justice Aminata Touré.
Depuis plusieurs semaines, Abdoulaye Wade s’efforçait d’offrir à son parti une seconde jeunesse en nouant des relations tous azimuts dans l’espoir d’accoucher d’une liste unique de l’opposition. L’initiative, qui semblait bien engagée, a capoté in extremis pour des raisons de préséance entre Abdoulaye Wade et Khalifa Sall, le maire de Dakar, incarcéré depuis le 7 mars. C’est donc en rangs dispersés que l’opposition se rendra au scrutin, au risque de subir un camouflet face à la coalition gouvernementale Benno Bokk Yakaar.
Le PDS meurt à petit feu et son électorat risque de se déporter vers ses nombreuses excroissances
Dans l’entourage d’Abdoulaye Wade, les dithyrambes protocolaires peinent à dissimuler une part d’amertume. Si le patriarche conserve une réelle popularité parmi certaines franges de l’opinion sénégalaise, plusieurs cadres du PDS admettent en privé qu’ils aimeraient le voir tourner la page. Car, incapable d’organiser sa propre succession, Wade a laissé le parti se dépeupler peu à peu, nombre de ténors s’en allant fonder leur propre mouvement.
« Le PDS meurt à petit feu et son électorat risque de se déporter vers ses nombreuses excroissances », analyse un proche de l’ancien chef de l’État. Dans le camp présidentiel, on préfère traiter par le mépris l’éternel opposant, sans craindre de froisser son orgueil. Selon Seydou Guèye, le porte-parole du gouvernement, « Abdoulaye Wade est l’homme du passé et du passif ».
Jeune Afrique