Dakarmidi – Si les liens diplomatiques des pays amis du Sénégal se mesuraient à la taille et à l’emplacement de leur chancellerie dans la capitale Dakar, la Gambie serait certainement au bas de l’échelle. L’investiture du Président gambien nouvellement élu, Adama Barrow, dans l’enceinte de l’ambassade de son pays à Dakar le 19 janvier, outre le caractère inédit, dicté par les circonstances exceptionnelles du refus du président sortant Yaya Jammeh de quitter le pouvoir, aura montré à la face du monde, une facette du vrai visage des relations que les faux frères siamois clament exceptionnelles et se narguent d’avoir depuis le début de l’ère postcoloniale.
En effet, à l’heure où les caméras du monde libre et démocrate étaient braquées sur le transfert houleux de pouvoir gambien, les Sénégalais découvraient avec cette cérémonie de prestation de serment, l’ambassade gambienne cachée dans une rue ensablée des abords de l’aéroport Léopold Sédar Senghor à Yoff. L’exiguïté du bâtiment qui a peiné à accueillir les invités de la circonstance et les défis logistiques et sécuritaires qu’ont connus les organisateurs de la cérémonie, auront suffi de nous convaincre qu’un tel cadre ne saurait refléter avec sincérité, la profondeur des liens de sang et la marche commune de l’histoire de nos deux peuples.
Cette image quoique symbolique, est symptomatique de la faiblesse de notre diplomatie envers les pays voisins et particulièrement la Gambie dont l’ambassade aurait dû être la plus rayonnante et la plus proche de notre centre de décision afin d’envoyer un message clair au niveau national et international, sur l’étroitesse des liens qui unissent les deux pays – qui ont d’ailleurs déjà fait l’expérience d’une confédération brève de sept ans (1982-89).
Certes, l’aspect physique d’une chancellerie n’est pas le plus important même si un minimum de décence et de fonctionnalité est requis, mais le fait est exceptionnel ici et mérite que nous nous y attardions un peu. La téranga sénégalaise nous enseigne que nos hôtes de marque doivent être bien reçus, bien logés au point où certains offriraient même leur chambre conjugale pour le bien-être et la satisfaction complète de leurs visiteurs. Les américains ne nous démentiront pas, eux qui ont logé l’ambassade du Canada à Washington à un jet de pierre du Capitole et de la Cour Suprême, sur l’avenue de la Constitution.
Dans le cas des relations Sénégal-Gambie, l’importance des liens ethniques, sociaux, et culturels qui lient les deux pays et qui est proclamé à tout-va par nos dirigeants successifs, n’est pas pleinement reflétée dans les politiques d’intégration et de coopération. Nous restons convaincus que si le Sénégal avait pensé sa sécurité, son développement et la consolidation de sa démocratie en tenant compte de la Gambie, depuis la génération des pères fondateurs, les évènements que nous venons de vivre ne se seraient jamais produits et un Yaya Jammeh ou autre, n’aurait certainement pas accédé au pouvoir par la voie des armes.
C’est donc un échec dans nos relations diplomatiques et une défaillance de notre politique sous-régionale qu’il est urgent de corriger. Par conséquent, l’avènement de Barrow au pouvoir en Gambie, devrait servir d’opportunité aux deux nations pour améliorer leurs relations diplomatiques et les hisser à la hauteur du destin commun qui les lie afin de refléter la fraternité réelle et sans équivoque que vivent les peuples entre eux.
L’échec de notre diplomatie active envers la Gambie en particulier, et les pays voisins d’une manière générale, repose sur le fait que nous accordons plus d’importance à l’accréditation de nos ambassadeurs et diplomates les plus expérimentés dans les capitales occidentales, en « négligeant » les pays voisins. S’il est bon d’avoir du personnel chevronné dans nos chancelleries en occident, il est tout aussi important d’avoir le même niveau de représentation dans nos pays limitrophes car c’est avec eux que nous partageons nos frontières et c’est avec eux que les crises et conflits pourraient avoir lieu. Une bonne diplomatie est gage de paix durable à travers la prévention, l’anticipation et l’entretien de relations exemplaires de bon-voisinage.
Au pire de notre relation avec la Gambie de Yaya Jammeh, c’est un ancien journaliste (qui maitrise son art, il faut le lui reconnaitre) que l’on parachute -au risque de frustrer les diplomates de carrière- à la tête de la représentation sénégalaise en Gambie, avec juridiction sur la Sierra Leone et le Liberia, sans expérience en matière de diplomatie ou réalisation professionnelle spectaculaire en lien avec le poste, qui rendrait cette nomination exempte de reproche.
Au vu des problèmes qu’a connus le Sénégal avec ses voisins le temps d’une génération, du coup d’état manqué de Kukoi Samba Sanyang de 1981 en Gambie qui avait généré l’intervention des « jambars » sous l’opération Fodé Kaba, pour restaurer l’ordre constitutionnel, à la guerre civile bissau-guinéene de 1998, en passant par les évènements douloureux de 1989 avec la Mauritanie, le pays de Senghor a besoin de renforcer le dialogue avec ses voisins et d’y déployer ses meilleurs diplomates avec une longue expérience avérée.
Cela permettrait de revoir le système d’indexation des salaires et avantages de nos ambassadeurs pour mieux le rééquilibrer et l’aligner sur les grandes capitales occidentales en guise d’incitations. Outre ces trois pays limitrophes, cette approche doit inclure nos représentations au Mali et en république de Guinée avec qui nous devons améliorer notre coopération et la rendre digne du patrimoine historique et socio-culturel que nous avons en partage.
La situation Gambie et Sénégal a été une anomalie de l’histoire et le legs amer de la colonisation qu’il faut corriger. Aujourd’hui, penser un Sénégal émergent avec une poche de pauvreté que serait la Gambie, en son sein, serait un leurre. De même, ajuster la politique sécuritaire du Sénégal à la lumière des nouvelles menaces qui pèsent sur la sous-région, sans intégrer la dimension gambienne serait absurde. Toute menace qui pèse sur la Gambie pèse forcement sur le Sénégal et vice-versa.
Qu’il s’agisse d’une rébellion, d’une épidémie, du trafic de drogue ou encore du terrorisme, tout ce qui remettrait en cause la stabilité et la souveraineté d’un des deux états devrait nécessairement intéresser et impliquer l’autre. C’est le poids de notre destinée commune malgré les séquelles de la colonisation à deux vitesses que nous avons connue. Par conséquent, c’est inconcevable que les deux peuples s’accommodent de leaders qui ne s’entendent pas sur l’essentiel dans la conduite des affaires publiques, encore moins d’un illuminé qui les mène au gouffre et à la discorde au gré de son humeur et sa mégalomanie.
L’ère Jammeh a été une longue et pénible parenthèse de 22 ans en Gambie. Elle vient de se fermer avec le retour triomphal du Président Barrow dans son pays le 26 janvier et l’espoir qu’il suscite de fonder son magistère de trois ans –transition oblige- sur des bases de la démocratie et de l’état de droit. Maintenant, il est temps pour les deux nations de dire à l’unisson : « Plus Jammeh ça ! » et de se donner les moyens de construire une relation nouvelle basée sur des politiques communes de développement et de sauvegarde de notre patrimoine commun.
Certes la situation de la Gambie, nichée dans le ventre du Sénégal, n’est pas inédite. C’est aussi le cas du Lesotho qui est lui, entièrement recouvert par le grand voisin sud-africain. Mais pouvons-nous imaginer le Lesotho, un pays trois fois la taille de la Gambie pour le même nombre d’habitants, qui bat sa propre monnaie et jouit de toute sa souveraineté, mener une politique divergente de celle de Pretoria ou encore, tenir un discours guerrier contre lui, voire pactiser avec des groupes rebelles qui agiraient contre l’intérêt de la nation arc-en-ciel ? La réponse est évidemment non.
Les dirigeants sud-africains ont conscience qu’un Lesotho démocratique et économiquement stable et prospère leur est bénéfique et par conséquent, ils développent avec intérêt, des politiques communes et renforce la coopération économique en amenant des investissements conséquents.
Donc, il est encore temps de modeler les relations Sénégal-Gambie en toute responsabilité et respect mutuel, à travers un schéma « gagnant-gagnant » pour les états et pour les peuples. Pour cela, il faudrait que les deux pays partagent le même idéal de démocratie, de justice et d’équité. Ce qui a été difficile pour l’état du Sénégal avec un interlocuteur comme Yaya Jammeh.
Si les deux « establishments » ont pêché par défaut au niveau de la diplomatie institutionnelle, celle des peuples a été un excellent rappel de nos relations historiques et consanguines comme matérialisé récemment à travers la solidarité des familles sénégalaises avec les déplacés gambiens le temps de la gestion de la mini-crise post-électorale dans leur pays.
Avec l’ouverture qu’offre la transition Barrow, la nouvelle coopération Sénégal –Gambie devrait être basée non pas sur ce que le Sénégal veut obtenir de la Gambie mais plutôt, sur ce que la Gambie a à partager et qui serait bénéfique au deux nations. C’est ainsi que le projet de pont sur le fleuve Gambie est bienvenu, mais il faut également, le potentiel du port de Banjul, le besoin d’expansion du tourisme gambien, ainsi que les préoccupations sécuritaires du pays comme des priorités dans la définition de la nouvelle relation Sénégal-Gambie.
Sur l’aspect sécuritaire, nous posons la question suivante : pourquoi la Gambie a t-elle besoin d’une armée nationale ? Pour se protéger de son voisin, le Sénégal ? Pour contrer une éventuelle invasion d’un autre pays qui traverserait le Sénégal pour menacer la souveraineté gambienne ? La réponse à cette question est simple. La Gambie n’a pas besoin d’une armée mais plutôt d’une bonne sécurité intérieure (police) et devrait s’entendre avec son seul voisin le Sénégal pour une sécurité aux frontières communes assurée par les Sénégalais avec en sus une corps de Marine conjoint pour surveiller la côte atlantique que les deux pays ont en partage. Cela sous-entend bien sur, un pacte de non-agression entre les deux pays et un engagement du Sénégal à protéger ses frontières en tenant compte des intérêts et préoccupations de la Gambie.
Sur la faiblesse des échanges commerciaux et la question les barrières non tarifaires (en partie héritées des modes de vie sous des modèles de colonisation différents), il faut une réaction rapide et ciblée. C’est bien d’avoir un pont qui traverse la Gambie pour assurer une continuité territoriale et faciliter le transport des personnes et des biens avec la partie méridionale du pays. Toutefois, il est également important d’avoir une politique de tourisme commune qui ferait que les touristes qui viennent en Gambie puissent se voir offrir la possibilité de visiter Gorée ou le Cap Skirring ou encore le parc Niokolo Koba à travers des formules de vacances qui transcendent nos frontières et raffermissent nos liens sociaux et économiques.
D’ailleurs ce type de tourisme devrait s’intéresser aux nationaux des deux pays en ciblant la jeunesse en générale, les écoles et les universités en particulier. On peut aussi imaginer une croisière touristique organisée en bateau qui irait de Dakar au Cap Skirring en passant par Mbour et Banjul. Sans mentionner le potentiel qui peut être développer conjointement dans le secteur de la communication et des nouvelles technologies de l’information. D’autres initiatives devront être lancées par les deux pays, pour construire ensemble de futures élites qui préserveront les acquis démocratiques et écriront les belles pages de la collaboration sénégambienne.
Cela devrait passer par la création d’une université bilingue sénégambienne, des « think tanks » ou autres instituts conjoints de recherche. Pour l’heure, un ministère des affaires sénégambiennes dans le gouvernement Barrow en gestation serait bienvenu pour étudier et concrétiser les bonnes idées émanant des deux pays car ce n’est pas ce qui manque.
Comme le fait si bien remarquer, Jacques Attali, « deux démocraties ne se sont jamais fait la guerre dans l’histoire ». Par conséquent, si la Gambie est bien accompagnée dans la consolidation de sa démocratie par un Sénégal déjà cité en exemple dans ce registre, les risques de crises majeures voire de conflits entre les deux pays seront inexistants. Par conséquent, l’avènement de Barrow au pouvoir devrait servir d’opportunité aux deux nations d’améliorer leurs relations diplomatiques et les mettre à la hauteur du destin commun qui les lie.
Less.salla@gmail.com