Sociologie de l’amnésie et de ses différentes valeurs sociales: étude du cas Mansour Faye et Marième Faye Sall et les mackysards Par le Dr Moussa SARR
L’amnésie, qu’elle soit rétrograde ou antérograde, nous invite à une réflexion critique sur notre rapport à la mémoire, à la responsabilité et à la temporalité. Elle nous rappelle que l’oubli, loin d’être une simple défaillance, est souvent un choix, consciemment ou inconsciemment motivé par des intérêts personnels ou collectifs. En tant que sociologues, notre rôle est de rendre visible ces processus, de mettre en lumière les enjeux éthiques et sociaux qu’ils recouvrent, et d’offrir des perspectives qui permettent de réconcilier la mémoire et l’oubli dans une dynamique plus juste et plus humaine.
L’amnésie n’est pas qu’une simple pathologie médicale ; elle est aussi une métaphore puissante pour décrire les dynamiques sociales et les rapports humains. En sociologue, immergé dans des réseaux où les relations se tissent, se défont et se redéfinissent sans cesse, j’observe quotidiennement les traces éphémères laissées par des actes que d’aucuns préfèrent oublier. Ces actes, pourtant, marquent des trajectoires, influencent des choix et redessinent des destinées. Ils s’inscrivent dans une mémoire collective ou individuelle qui, selon les circonstances, peut être occultée ou entretenue.
L’amnésie rétrograde, qui se manifeste par une incapacité à se souvenir des événements précédents un certain traumatisme, trouve un écho saisissant dans le comportement de certains individus ou groupes. Ces derniers semblent délibérément effacer de leur conscience les torts qu’ils ont causés, comme si le passage du temps ou un changement de contexte suffisait à absoudre leurs actions. La sociologie nous enseigne cependant que ces oublis ne sont jamais neutres. Comme l’écrivait Maurice Halbwachs, « la mémoire individuelle s’enracine dans les cadres sociaux », ce qui signifie que toute tentative d’oublier ou de nier un événement est souvent le produit d’une stratégie collective visant à réinterpréter le passé au service du présent. Ainsi, l’amnésie rétrograde, qu’elle soit intentionnelle ou involontaire, devient un outil politique, un moyen de se dérober à la responsabilité en remodelant les souvenirs pour les rendre socialement acceptables.
L’amnésie antérograde, quant à elle, est caractérisée par l’incapacité de former de nouveaux souvenirs. Sur le plan social, elle pourrait être assimilée à l’aveuglement face aux conséquences des actions présentes. Les individus ou institutions qui refusent de tirer les leçons du passé s’inscrivent dans une forme d’amnésie antérograde. Ils répètent les mêmes erreurs, convaincus que le présent peut être vécu indépendamment des continuités historiques. L’anthropologie culturelle, avec des figures comme Clifford Geertz, nous rappelle que les rituels, les mythes et les narratifs sociétaux jouent un rôle essentiel dans la construction d’une mémoire partagée, évitant justement cette forme d’amnésie. Ignorer ces mécanismes, c’est se condamner à réinventer constamment la roue sociale, au prix d’un épuisement collectif.
Ces deux formes d’amnésie, lorsqu’elles se manifestent dans les interactions humaines, révèlent des dimensions profondes de la nature humaine. Il y a ceux qui effacent volontairement leur rôle dans les événements marquants de la vie des autres, et ceux qui, à force de se concentrer sur l’instant présent, n’ont aucune conscience de l’impact futur de leurs actes. Ces comportements illustrent un phénomène que j’appellerais « la stratégie de l’oubli », qui n’est pas sans conséquences. Car, comme l’a écrit Paul Ricoeur dans La Mémoire, l’Histoire, l’Oubli, « L’oubli n’est pas simplement l’absence de mémoire ; il est aussi un acte, parfois violent, d’effacement. »
Dans mon expérience personnelle et professionnelle, j’ai été témoin de ces effacements. Des personnes ont posé des gestes qui ont redéfini ma trajectoire, pour ensuite agir comme si ces moments n’avaient jamais existé. Pourtant, si je ne me souviens pas toujours des détails, les grandes lignes, elles, restent gravées dans ma mémoire. Cette capacité à distinguer l’essentiel de l’accessoire, à conserver une vision synthétique des interactions humaines, est une compétence que tout sociologue devrait cultiver. Elle permet de déceler les schémas, de comprendre les récurrences et d’éclairer les zones d’ombre que certains préfèrent laisser dans l’oubli.
L’amnésie sociopolitique au Sénégal : le cas Mansour Faye
L’actualité récente au Sénégal illustre parfaitement cette mécanique de l’amnésie sociopolitique. L’interdiction de quitter le territoire imposée à Mansour Faye, figure clé du régime de Macky Sall, rappelle les mesures similaires infligées à Ousmane Sonko et aux militants de PASTEF lors du magistère de Macky Sall. Ce retournement de situation met en lumière le caractère cyclique des stratégies de pouvoir où l’oubli et la mémoire sont instrumentalisés selon les intérêts en jeu.
L’enseignement de Cheikh Ahmadou Bamba éclaire cette dynamique à travers ses écrits sur la justice et la droiture morale. Dans Massaalik Al-Jinan, il souligne l’importance de la constance dans la vérité et la justice, affirmant que « celui qui s’attache à la vérité, même dans l’épreuve, finit par triompher ». Or, l’alternance politique au Sénégal semble donner raison à un principe inverse, où l’oubli des fautes passées est utilisé comme stratégie de survie politique. Pourtant, si l’oubli est une arme, la mémoire collective reste un levier puissant.
Dans Matlabul Fawzayni, Cheikh Ahmadou Bamba appelle à la responsabilité et à l’humilité devant les épreuves du pouvoir, rappelant que « toute puissance temporelle est éphémère, seul compte le legs moral ». Cette réflexion s’applique aux figures politiques actuelles, dont les pratiques d’hier reviennent aujourd’hui comme un boomerang. La justice sénégalaise, en appliquant ces restrictions de déplacement, réactive une mémoire récente que certains auraient voulu effacer.
En conclusion, la sociologie de l’amnésie appliquée au contexte sénégalais révèle des contradictions profondes dans la gestion du pouvoir et de la mémoire. Le Sénégal, à l’aube de nouvelles dynamiques politiques, doit choisir entre la perpétuation de cycles d’oubli stratégiques et l’édification d’une mémoire nationale ancrée dans la justice et l’intégrité. Comme l’enseignait Cheikh Ahmadou Bamba, la vérité finit toujours par s’imposer, et ce, malgré toutes les stratégies d’amnésie politique.
Dr. Moussa SARRPost-Doc, Ph.D., M.ST. Com, M.A Com, DUT RP CI
Président Directeur Général et chercheur principalLachine Lab – l’Auberge Lachine Lab L’Auberge Numérique