La lutte avec frappe a révélé des champions charismatiques dont les exploits ont meublé nos plus beaux souvenirs. Poètes et danseurs en même temps, ils ont, grâce à leur génie, des techniques de combat devenues une véritable science. Le Tiaxabal, Sisson Bouki, le Mbot et le Wéyeulé, parmi d’autres techniques, constituent les variantes de ce sport si populaire dans notre pays. Abdou Rahmane Ndiaye Falang, fils de Yaye Téning, plein de charme, imbattable dans le corps à corps, souple comme une liane, cogneur de grande réputation et athlète invincible fait partie de ces lutteurs à la gloire insondable. Partout dans le Sénégal des profondeurs et des villes, il a livré victorieusement des combats avec des techniques différentes qui ont fait de lui le premier académicien de la lutte. Pendant plus d’une décennie, il a marqué ses empreintes indélébiles dans toutes les arènes du pays face à des adversaires non moins réputés. Avec le batteur de tam-tam Lama Bouna Bass, ils formaient un duo explosif, parlant le même langage avec une synchronisation époustouflante. Lama Bouna Bass avait un doigté d’où coulaient des rythmes déconcertants, pleins de vie et de charme comme la chanson du toucan annonçant un magnifique lever du soleil. De ces rythmes foudroyants comme l’éclair au cœur de midi, Falang s’en inspirait et les transformait en anabolisant pour être plus vigoureux. Jean Pierre Soughert, Edouard à saint Louis, Ngor Téguine, le sérère musclé, Talla Diagne de Yoff et tant d’autres lutteurs au palmarès élogieux ont été battus de la plus belle des manières par le génie de Diender. Il est impossible d’étaler toute la panoplie de sa technique qu’il savait varier et qui faisait qu’il était imprévisible.
Il avait cette capacité d’impressionner son adversaire rien que par le regard brûlant comme le soleil au milieu du désert. D’aucuns disent que quand il luttait, il ressemblait à un guépard aux aguets pour submerger son adversaire, l’étouffer avant de le terrasser sans bavure. Après le combat, il redevenait le gentleman qu’il n’avait jamais cessé d’être aidé en cela par ses compositions poétiques toutes axées sur ses exploits. Dans toute sa carrière riche et impressionnante, il n’a connu que deux défaites, l’une devant Soulèye Ndoye, un rufisquoi vivant à Mbour ; ce dernier, dans un rêve, avait vu sa victoire sur le grand champion alors il cria si fort qu’il réveillait le voisinage. J’ai terrassé Falang répéta t-il sans arrêt. Le combat fut monté immédiatement et l’issue lui donna raison à la surprise générale. Cela se passait en 1946. Il commençait à prendre de l’âge et ses forces le trahissaient progressivement. Il n’en demeurait pas moins le très grand champion aimé et adulé par les amateurs. Mais en 1948, il fut opposé à Modou Diakhaté, encore un lutteur habitant Rufisque qui a produit de grands champions qui se produisaient dans une arène baptisée arènes Gabard Ndoye. Au cours du combat, Falang emporté par son élan, a vu son coup de poing effleurer le sol. Il fit arrêter le combat estimant que son point qui avait touché le sol devait être considéré comme une chute et la décision fut prise dans ce sens. Revenant aux arènes pour faire ses adieux, Il fut acclamé par une foule en délire qui lui témoigna à cette occasion, son affection illimitée et son estime sans bornes. Alors, en grand poète inspiré par les dieux des arènes, il déclama les bras levés au ciel : « danou mélni ya dane », « vaincu, tu parais vainqueur qu’en serait-il si tu étais vainqueur ? ».
Ces mots d’une puissance esthétique et poétique peu commune, découlant d’une prodigieuse inspiration, plongèrent une fois encore la foule dans un délire incompressible. Nommé chef de village de son royaume d’enfance, il interdit à tout le monde de l’appeler Falang son surnom de lutteur. Un jour, il se rendit au service des impôts pour régulariser la vignette de son véhicule. La queue était longue et il fallait entrer dans le rang. C’est en ce moment qu’un employé sortant de son bureau, remarqua la présence du vieux champion. Il l’interpella en lui disant « c’est vous Falang ? ». Il répondit par un oui empressé, puis invité à prendre place dans le bureau. Les employés, heureux de le rencontrer, se cotisèrent pour payer sa vignette. De retour au village, il raconta sa belle histoire et leva l’interdiction d’être appelé Falang son surnom de lutteur.
J’ai eu le privilège de le rencontrer plusieurs fois au Relais, route de Ouakam, où il venait souvent voir son ami le docteur Doudou Guèye, qui gérait à l’époque la boite. Nous restions pendant de longs moments au pied de l’énorme baobab qui semblait veiller sur les lieux. C’est là-bas, au cours de notre conversation, qu’il m’apprit que le lutteur Manga II, qui venait juste d’être battu par Mor Nguer, deviendra le maître des arènes. En effet, pendant plus d’une décennie, Manga II resta Roi des arènes.
En plein hivernage au mois de juillet 2005, cette légende de lutte quittait notre monde pour ce voyage sans retour. L’histoire retient de lui, un homme d’une très grande urbanité qui a vécu dans l’honneur et la dignité, dans la bravoure et dans ce qui élève au dessus de l’animalité. La lutte sénégalaise compte plusieurs champions mais rarement comme Falang, considéré par les puristes comme le plus grand lutteur sénégalais de tous les temps.
Paix à son âme.
Majib Sène