Nous sommes dans les années 1920. La France alors dominatrice avait un champion de boxe hors pair. Il s’appelait Georges Carpentier. Sa fougue, son punch et son allant avaient fini de conquérir les rings du monde entier. Finalement, il n’avait plus d’adversaires. Il se montrait fier et nourrissait en lui un orgueil sans bornes. Mais un jour, parmi les jours sans fin, on lui désigna un adversaire, un jeune noir venu de son Sénégal lointain. Il s’appelait Mbarick Fall alias Battling Siki. Carpentier accepta de le rencontrer, titre mondial en jeu, avec la certitude de vaincre devant un noir, de surcroit un inconnu.
Le jour du combat, tout Paris était là. Paris l’orgueilleuse avait fini de rassembler autour du ring tout ce qu’elle avait de beau et de grand. Dès l’entame du combat, Carpentier, comme à son habitude, dansait autour de son adversaire. Il le rouait de coups dévastateurs qui amenaient plusieurs fois au tapis le jeune Mbarick Fall devenu une proie facile pour son adversaire. Blaise Diagne seul député noir à l’époque, avec son patriotisme légendaire, vint souffler dans les oreilles de Siki quelques mots mobilisateurs qui avaient le pouvoir d’un anabolisant. « Lève-toi petit et souviens-toi que tu appartiens à un peuple qu’on tue mais qu’on ne déshonore pas. Bats-toi comme le lion rouge qui rugit dans la savane et rappelle-toi l’orgueil de tes ancêtres. Je suis sûr que tu peux renverser la situation. » C’en était alors fini pour Carpentier qui, jusque là, n’avait pas connu aucune défaite. A la manière de Moustapha Gueye dans l’arène, Mbarick Fall se déchaîna à son tour. Il frappait avec force, rage et précision. Il esquivait toutes les répliques de son adversaire. Il feintait avec son art consommé toutes ses tentatives. Le visage de Carpentier était tuméfié. Du sang abondant dégoulinait de ses arcades, de son nez et de sa bouche, pour finir sa pérégrination sur ses galbes tremblotantes et moroses. Puis ce fut le coup de grâce. Un punch du gauche sur la tempe et un crochet du droit au plexus envoyèrent Carpentier au tapis. Il ne se releva pas. Et ce fut le KO le plus spectaculaire de la boxe à l’époque. Paris brisée! Paris meurtrie! Paris inconsolable! Les juges tous français alors rendirent leur verdict honteux. Mbarick Fall est disqualifié pour croque en jambe et coups irréguliers. Toutefois, d’autres spectateurs dans la salle, sans doute de grands seigneurs, reconnurent la défaite de Carpentier leur idole. Ce n’est que bien plus tard, que l’on reconnut officiellement la victoire de Mbarick Fall qui reçut le titre de champion du monde de boxe des mi-lourds. Cet exploit inédit prouve une nouvelle fois que le sénégalais n’est lui-même que dans de telles occasions.
Les exemples foisonnent dans toutes les disciplines sportives où les sénégalais, fièrement hissés sur le toit du monde, se sont distingués. Raoul Diagne, Jules François Bocandé en football, Thiam Papa Gallo, Lamine Diack, Abdou Sèye, Malick Mbaye, Amadou Gakou, Amadou Dia Ba et Amy Mbacké Thiam en athlétisme et d’autres sportives et sportifs en judo, en karaté, en taekwondo, en basket, en jeux de dame, en pêche sportive et dans les jeux de l’esprit ont honoré le Sénégal dans des circonstances souvent difficiles.
Moustapha Guèye 2ème Tigre de Fass est aussi glorieux que ces héros d’hier au courage de granit. Moustapha Guèye dans l’arène, quel spectacle! Quelle forte émotion! Quelle sensation! Quand il s’inonde de lait pour implorer la grâce des divinités de l’arène, on ne peut s’empêcher de frémir, de se sentir concerné par cet acte qui galvanise et que seuls comprennent les initiés Quand Tapha Guèye rame dans l’air avec son art inimitable, à la manière des pêcheurs voguant très loin sur une mer porteuse d’espérance, on frémit d’angoisse. Cet instant précis, Tapha se revigore et se mue en un autre Tapha incontrôlable, sûr de lui avec ses techniques de combat dont la plupart n’ont pas de nom. Tapha est aussi impressionnant quand avec ses cruches en terre cuite, il va dans la direction des quatre points cardinaux pour les fracasser sur le sol avec une force et une détermination qui prédisent la victoire .En ce moment là, Tapha n’est plus lui-même. On a comme l’impression que le tigre animal lui a transféré toute sa témérité et sa fougue de combattant. Souple comme les lianes heureuses du Cayor, rapide comme l’éclair qui accompagne les grondements du tonnerre, Tapha fait peur à ses adversaires. Psychologiquement, il les terrorise et les laisse choir dans les lits du doute persistant, du doute qui fait qu’on ne croit plus en ses propres capacités. Tous ceux qui ont perdu devant Tapha, l’ont été avec des manières différentes. Sa technique de combat est si vaste et si raffinée qu’elle est insondable. Du KO au « gal-gal », du « mbot » au « sool », du « caxabal » au « khatarbi » et que sais-je encore, Tapha est imbattable. Sa morphologie rappelle étrangement celle de Mbarick Fall alias Battling Siki.
Mais malgré tout, il est redoutable face aux super lourds. Ses souplesse et sa rapidité d’exécution ont eu plusieurs fois raison des adversaires attentistes, voire trop méfiants. Quand il lutte avec toi, il ne te laisse pas réfléchir. Selon ses méthodes et ses principes, dès le coup de sifflet de l’arbitre, il attaque, il cogne et il agit avec une rapidité et une synchronisation des actions qui relèvent de la plus haute intelligence. Héritier de son aîné Mbaye Guèye, Tapha égrène, ou plus exactement, passe en revue dans ses combats toute la panoplie de techniques des plus grands lutteurs du Sénégal. Tapha peut bien s’approprier ces paroles de ce lutteur-poète qui, dans ses tours de « baacks » disait en substance: « eggnaa ba thia biir kambga, Fima diaar, koufeu diaar takheu baane. Limeu lif kouko lif degg mbeur, lif ak lam lolou laye dané mbeur. Beaucoup de personnes pensent que le lutteur-poète dit: « eggna baa thia biir Kaabaga ». Non, il dit bien « kambga » le trou. Tapha peut également se reconnaître dans le « baack » de « l’enfant chéri du Cap-Vert » Mame Gorgui Ndiaye, lorsque, inspiré comme toujours, il déclame: « meunaa droite, meunaa gauche, Fo diaar fofa la meuné ». C’est dire que Tapha Guèye est un lutteur de synthèse. Il a assimilé des techniques de lutte dont certaines sont ses propres inventions. Il m’est difficile de donner un nom à la technique qui a fait chuter Ibou Ndaffa dans les années 90; encore moins celle qui a fait perdre Balla Bèye et Lac de Guiers 1. C’est dire qu’on a affaire avec un champion hors-pair, un champion qui, lorsqu’il est sous le charme de la voix de Khar Mbaye Madiaga et sous l’emprise des rythmes chargés de mysticisme de Mbaye Dièye Faye, devient intenable. J’ai souvent admiré la promptitude dans laquelle il exécute ses adversaires. Toujours vite fait et bien fait, pour tout dire avec la manière, celle que son mentor Mbaye Guèye lui a léguée. Tapha a tout donné à la lutte, mais la lutte n’a pas été ingrate. Elle lui a donné le prestige, la prestance, la notoriété, les symboles d’un homme plein d’honneur et parfaitement intégré dans sa société. Nulle part au Sénégal et grâce à la magie de la télévision, nulle part ailleurs dans le monde, Tapha ne passe inaperçu. Son nom et sa légende seront à jamais incrustés sur la carapace des tortues.
MAJIB SENE