Parmi les grands hommes sénégalais qui incarnent la sagesse, on ne peut pas ne pas citer Elhadj Bescaye Diop, ma bibliothèque préférée. Profondément nationaliste, viscéralement ancré dans les valeurs de son terroir, il était sportif dans l’âme et le démontrait à l’union sportive coréenne et également dans l’équipe nationale de football. Je l’ai connu dans les années 1970 grâce à l’entregent de Elhadj Gabou Sarr, un des grands dirigeants de la Jeanne d’Arc de Dakar. J’ai été séduit par son intelligence raffinée, son verbe haut et luxuriant, ses réflexions géniales et ses analyses d’une pertinence digne des plus grands philosophes du monde. Il avait une connaissance extraordinaire du football, ce jeu merveilleux qu’il savait décortiquer avec une exactitude à vous ravir et à vous émouvoir. Malgré son âge, il n’hésitait pas à accompagner l’Équipe Nationale dans ses nombreux déplacements à l’étranger servant de conseiller et de psychologue. D’aucuns à l’époque, y compris moi-même, croyaient qu’il faisait office de marabout mais oh que nenni. Son art de galvaniser et de gonfler à bloc un joueur moralement à terre, était absolument remarquable. Je puis en témoigner à Monrovia, à Freetown, à Praia, à Nouakchott, à Alger et même à Tripoli, car étant témoin oculaire de ses prestations. Ce n’est pas seulement dans le sport où il excellait, mais également sur tous les sujets se rapportant à la vie. Son intelligence m’avait toujours impressionné surtout lorsqu’il abordait des problèmes d’ordre existentiel. Il avait la souveraine élégance de ne jamais minimiser les convictions de son vis-à-vis mais de remodeler ses idées à partir d’une plus belle approche. Sa simplicité, son sens de la mesure, son commerce facile et son visage toujours rayonnant faisaient qu’on ne se lassait jamais de sa compagnie. Parmi les leçons que j’ai apprises de lui, figure ceci : « ne parle jamais si on te le demande pas, ne va jamais là où tu n’es pas invité, ne remercie jamais celui qui n’a rien fait pour toi » et tant d’autres choses qui m’ont permis d’acquérir un savoir vivre si important dans notre société. C’était un homme d’une courtoisie exquise, ni égoïste, ni isolationniste, parce que détestant le «m’as-tu vu » qui a tendance à proliférer dans notre pays. Personne ne pouvait mesurer son intelligence qu’il déployait comme étendard au vent. Il avait pratiquement réponse à tout, d’autant qu’aucune question sur n’importe quel sujet ne pouvait le surprendre. Son éloquence se mesurait à l’aune de ses vastes connaissances à tel point que je lui disais souvent qu’il était une bibliothèque ambulante. En sa compagnie, j’ai appris énormément de choses qui m’aident aujourd’hui à me tenir tant soit peu correctement dans notre société qui a, de nos jours, plusieurs visages dont le plus pernicieux est sans conteste le « m’as-tu vu ».
Un homme comme Elhadj Bescaye Diop, je ne peux pas l’oublier en raison de son nationalisme, mais également des relations fraternelles que nous entretenions. Il était pour moi plus qu’un père, mais un ami, un conseiller. Que dis je ! Un gouverneur de conscience. C’est la raison pour laquelle il est omniprésent dans mes prières, lui qui a consacré l’essentiel de sa vie à Dieu, à son pays et à tous ceux qui ont partagé son idéal de vie. Je me souviendrai toujours de nos après-midi qu’il passait avec moi à la maison. Sa limonade blanche que nous partagions ne manquait jamais à la maison car c’était sa boisson préférée. Après quelques gorgées, il remerciait Dieu avant de se coucher sur le canapé. Alors pour le provoquer, je lui disais qu’il était vieux raison pour laquelle il ne pouvait pas s’asseoir. Il me répondait avec son sourire bon enfant ceci : « retiens que ce qui est valable pour un fusil, l’est davantage pour un vieux, c’est-à-dire se coucher ou s’adosser ». Cette sentence veut dire qu’un fusil, tout comme le vieux, ne peut ni s’asseoir, ni se tenir longtemps debout. C’est comme ça qu’il parlait en utilisant des maximes et des paraboles. Tel était Elhadj Bescaye Diop, ce grand sage sénégalais qui m’a ouvert les yeux sur bien des choses. Que Dieu dans sa Bonté Infinie, lui renouvelle son Pardon et qu’il repose dans ses Splendides Jardins avec la bénédiction de Taha l’Intercesseur (psl).
Majib Sène