On dit de l’amitié qu’elle ne résiste pas à l’exercice du pouvoir. Celle qui unissait depuis plus de trente ans l’ancien président Mohamed Ould Abdelaziz et son successeur Mohamed Ould Ghazouani n’a pas tardé à voler en éclats. Peu après son investiture, en août 2019, ce dernier s’est très vite affirmé comme le véritable chef, faisant taire ceux qui l’imaginaient sous la tutelle de son ami.
À l’Assemblée nationale, les députés ont mis en place une commission d’enquête parlementaire, dont le rapport, remis en juillet 2020, a révélé des irrégularités liées à dix marchés passés durant les deux mandats d’ »Aziz ». Mohamed Ould Ghazouani l’a dit et répété : il n’est jamais intervenu directement dans ce dossier.
En août 2020, Mohamed Ould Abdelaziz, 64 ans, a été placé en résidence surveillée dans sa villa du quartier des Bourses, à Nouakchott. Il ne peut plus quitter la capitale. Ses proches disent de lui qu’il est « comme un lion en cage », lui qui s’échappait chaque week-end dans son campement de Benichab, dans l’Inchiri – ses récentes demandes pour s’y rendre ont toutes été refusées.
En mars 2021, la procédure s’est accélérée : il a été inculpé pour, entre autres, corruption, blanchiment d’argent, enrichissement illicite, dilapidation de biens publics, octroi d’avantages indus et obstruction au déroulement de la justice. L’ancien puissant chef d’État et treize de ses ex-collaborateurs ont l’obligation de se présenter trois fois par semaine au commissariat, sous peine d’être incarcérés. Ses avocats s’apprêtent à saisir l’Union africaine, la Ligue arabe et la Ligue internationale des droits de l’homme.
Aziz a toujours refusé de répondre aux questions des enquêteurs. Dans le premier volet de cet entretien qu’il a accordé mi-avril à Nouakchott à Jeune Afrique, il revient pour la première fois, en détails et sans détour, sur les accusations qui le visent, mais aussi sur son récent retour sur la scène politique. Et dans le second volet, à paraître le 16 avril, il livre en exclusivité sa version du conflit qui l’oppose à Mohamed Ould Ghazouani.
Jeune Afrique : Le 7 avril, vous avez publié une lettre ouverte aux Mauritaniens, très virulente à l’égard du pouvoir, dans laquelle vous les appelez à vous rejoindre au sein du parti Ribat Al Watani, de Saad Ould Louleid. Êtes-vous devenu un opposant ?
Mohamed Ould Abdelaziz : Oui, car je suis totalement en contradiction par rapport à ce qu’il se passe dans mon pays. Par ailleurs, je n’avais jamais pris l’engagement d’arrêter la politique, après tous les efforts que j’ai faits pour tenter d’améliorer les conditions de vie de la population et de sécuriser le pays.
« À chaque fois que j’ai approché un parti, il a subi des pressions ou il a craint d’être interdit
J’avais un parti que j’avais créé moi-même en 2009, mais le gouvernement en place s’en est saisi et me l’a confisqué. J’ai dû l’abandonner et en chercher un autre. J’en avais trouvé un [en août 2020, il s’était rapproché du Parti unioniste démocrate socialiste de Mahfoudh Ould Azizi, ndlr], mais il a été interdit.
Pourquoi avoir choisi cette formation, Ribat Al Watani ?
Car elle était la seule disponible. Chaque fois que j’ai approché un parti, il a subi des pressions ou il a craint d’être interdit. Le président de Ribat Al Watani a eu le courage d’accepter. Je vais en devenir membre et nous allons commencer à travailler dans les jours et semaines à venir pour y faire adhérer l’ensemble de nos soutiens. Nous allons également organiser un congrès, beaucoup de choses vont changer en son sein.
Dans ce même communiqué, vous attaquez toute la classe politique, comme si vous étiez seul contre tous. N’avez-vous donc pas besoin d’alliés ?
En effet, je ne m’attaque pas seulement au pouvoir, mais à une grande majorité de l’opposition. Lorsque j’étais à la tête du pays, je n’ai jamais accepté de la museler. Mais il y a récemment eu tellement de compromissions, que je n’ai en effet pas besoin d’alliés parmi ceux qui ne jouent ni leur rôle d’opposants, ni de partisans. Tout ceci ne peut avoir cours dans une démocratie normale, c’est un complot ourdi contre le peuple mauritanien.
Beaucoup de vos anciens fidèles vous ont également quitté…
Ils étaient surtout fidèles à leurs intérêts.
Dans un souci d’apaisement, votre successeur Mohamed Ould Ghazouani a tendu la main à l’opposition. Pourquoi lui reprochez-vous ce geste très attendu ?
Alors que nous sommes en pleine pandémie, ils ont triplé, voire quadruplé le budget de la présidence, en 2020 et 2021. Celui de l’Assemblée nationale a également été augmenté. Non seulement ils ont cherché à soudoyer tous les sites d’information mais, à la veille du vote, ils ont donné 300 millions d’anciens ouguiyas [soit près de 700 000 euros, les anciens ouguiyas ayant été remplacés par les nouveaux ouguiyas en 2018] aux parlementaires pour qu’ils approuvent la création de la Commission d’enquête.
« Je ne veux pas me barricader derrière l’article 93 de la Constitution [qui prévoit l’immunité présidentielle]
Avez-vous des preuves de ce que vous avancez ?
Des enregistrements, qui ont été diffusés en Mauritanie le prouvent. Le vice-président de l’Assemblée nationale a reconnu que les députés ont reçu 300 millions pour acheter du mobilier, c’est illégal. On gaspille l’argent public au moment où les populations en ont le plus besoin.
Et qu’ont-ils fait pour ceux qui vivent dans une misère endémique ? Ils ont fermé toutes les boutiques de distribution du programme alimentaire Emel, subventionnées par l’État afin de permettre aux plus démunis de s’approvisionner en réduisant de 40% les prix des produits de première nécessité. Dans le même temps, ils ont augmenté les salaires des députés de près d’un demi-million en deux ans. On engraisse les plus riches et on tourne le dos aux plus misérables. Je le dis car c’est une situation choquante et l’opposition n’en parle pas.
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Vous ne vous êtes pas exprimé sur ce qui vous est reproché. Pourquoi ?
C’est vrai que je n’ai pas accepté de répondre à des injonctions. On ne peut pas se réveiller un beau matin et vouloir créer une commission d’enquête, car tel pays a la sienne. Alors que la mise en place d’une telle commission n’est pas prévue par notre Constitution, ils se sont appuyés sur le règlement intérieur de l’Assemblée nationale.
De plus, une telle enquête doit porter sur la gestion d’une année en cours. Or, avant mon départ, tous les comptes ont été passés au crible par la Cour des comptes. Il y a eu des erreurs de gestion, mais tout a été apuré par cette institution, seule habilitée à mener des audits. Je refuse d’entrer dans ce débat juridique, j’ai horreur de parler de l’article 93 de la Constitution [qui prévoit l’immunité présidentielle]. Je ne veux pas me barricader derrière.
Vous l’avez pourtant fait à plusieurs reprises.
Oui et je ne m’en glorifie pas. Mais la Constitution d’aujourd’hui est ainsi. Je ne reconnais aux enquêteurs aucun droit sur moi, car aucune loi ne m’oblige à leur parler. J’ai été inculpé pour, entre autres, corruption, détournement et blanchiment d’argent. D’accord, je suis prêt, démontrez-moi que j’ai pris un seul ouguiya, que ce soit au Trésor public, à la Banque centrale ou dans un autre établissement public. C’est le défi que je lance à tous les Mauritaniens, au gouvernement et aux ministres. S’il y a eu des détournements, ils ont été sanctionnés, mais le président Mohamed Ould Abdelaziz n’a jamais été impliqué.
Mohamed Ould Abdelaziz, à Nouakchott, le 12 avril 2021.