Depuis son accession au pouvoir en 1990, il n’a cessé de consolider cette force militaire que le président tchadien monnaye auprès de tous ses sponsors étrangers. Et en premier lieu la France.
Il est un pur produit de la coopération militaire française avec ses anciennes colonies, formé à Paris au milieu des années 1980 à l’école de guerre interarmées. Idriss Déby, au pouvoir depuis le mois de décembre 1990, soit plus de trente années d’un règne sans partage, se dirige tranquillement vers sa réélection, dimanche prochain, au terme d’une campagne électorale émaillée de violences.
Un raid meurtrier contre l’entourage d’un candidat
Human Rights Watch a accusé, jeudi, les forces de sécurité tchadiennes d’avoir mené «?une répression implacable?» contre les opposants, alors que depuis plusieurs mois, des partis et organisations de la société civile appellent chaque samedi à marcher «?pacifiquement?» pour une «?alternance au pouvoir?».
En guise de réponse, l’appareil sécuritaire du pays a interdit les rassemblements, violemment dispersés, et des hommes en armes ont systématiquement cerné les sièges des partis de l’opposition comme le domicile de leurs leaders. Comme ce 28 février, lorsque la police et l’armée ont mené un raid meurtrier à celui de Yaya Dillo, candidat à la présidentielle, durant lequel les forces de police ont tué sa mère, âgée de 80 ans, et blessé cinq autres membres de sa famille.
Un des partenaires clés de l’opération «?Barkhane?»
Si prompt à s’indigner des violences politiques signalées en Russie, au Venezuela ou ailleurs, Paris est resté une fois encore muet face à ce climat délétère, tant Idriss Déby a réussi à acheter sa tranquillité politique en se rendant indispensable grâce à son armée, l’une des plus puissantes et des plus aguerries de la région.
Car le dictateur tchadien s’est imposé comme l’un des partenaires clés de l’opération militaire «?Barkhane?» pilotée par la France dans le Sahel. Ses promesses de renforts, réitérées lors du dernier sommet du G5 Sahel à N’Djamena à la mi-février, ont servi de béquille à la communication chancelante d’Emmanuel Macron, confronté à la faiblesse de la coopération militaire européenne dans la résolution de la crise sécuritaire qui enfonce chaque jour un peu plus l’ensemble de la région dans le chaos.
1?200 soldats dans la zone des trois frontières
L’intégration des troupes de Déby ne se passe pas sans heurts. Des soldats tchadiens engagés dans la lutte contre les djihadistes au Sahel sont responsables de «?viols?» de plusieurs femmes à Tera, ville du sud-ouest du Niger, ont affirmé dimanche dernier la Commission nationale des droits de l’homme (CNDH) du Niger et la force conjointe du G5 Sahel. Une information confirmée par le gouvernement tchadien, qui, dans un communiqué, a annoncé que les «?auteurs?» de ces crimes, soit «?certains soldats du 8e bataillon du contingent tchadien basé à Sera?», ont été «?arrêtés?» et «?subiront les sanctions qui s’imposent?».
Mais Paris a désespérément besoin des 1?200 soldats récemment déployés dans la zone des trois frontières, située aux confins du Mali, du Niger et du Burkina Faso, pour contenir les activités des groupes armés revendiquant leur appartenance à l’État islamique dans le Grand Sahara et enregistrer les succès militaires devant permettre d’amorcer un calendrier de retrait des soldats français avant le lancement de la prochaine campagne présidentielle.
Le pétrole, c’est 75 % des revenus d’exportation du Tchad
Pour autant, le pouvoir d’Idriss Déby, sauvé in extremis d’offensives rebelles en 2006 et en 2008 par des interventions armées française, a su diversifier ses alliances et ses soutiens. De par sa position géographique stratégique, le Tchad a longtemps servi de tampon comme de «?bouclier?» aux ambitions régionales du colonel libyen Mouammar Kadhafi. Les États-Unis ont également misé sur le président Déby, considéré comme un rempart aux frontières du Soudan d’Omar el-Béchir, longtemps classé État paria par le département d’État, et censé contenir la progression du groupe terroriste Boko Haram au Nigeria, qui effectue de fréquentes incursions dans la région du lac Tchad. La Chine n’est pas en reste, et avait remporté de substantielles parts de marché dans l’exploitation du pétrole tchadien.
Exportateur net d’or noir depuis 2003, le Tchad ne produit que 140?000 barils/jour. Mais au cœur d’un des pays les plus pauvres du monde, l’industrie pétrolière représente tout de même 75 % des revenus d’exportation et près de 40 % des recettes budgétaires, même si le pays souffre de l’effondrement des cours observé ces dernières années.
Une manne pour l’achat de nouvelles armes
Le Tchad n’a cependant pas échappé à la «?malédiction de l’or noir?» qui rattrape la plupart des pays producteurs du continent africain. Au lieu de poursuivre le financement d’infrastructures, hôpitaux, écoles ou de développer les services publics, la manne a surtout servi, à partir de 2010, à acheter des nouvelles armes, louer les fidélités à Déby au sein de l’armée tchadienne, et consolider cette force militaire que le président tchadien monnaye auprès de tous ses sponsors étrangers. Un appui qui ôte pourtant toute possibilité de relève et d’alternance, et qui permet au système Déby toutes les audaces, persécutions, menaces, voire les assassinats d’opposants.
Le 23 février 2008, Ibni Oumar Mahamat Saleh, brillant secrétaire général du Parti pour les libertés et le développement (PLD) et porte-parole de la coalition d’opposition tchadienne CPDC (Coordination des partis politiques pour la défense de la Constitution), était enlevé à son domicile par des militaires tchadiens. Sa mort ne fait aujourd’hui guère de doute mais les autorités françaises, à l’instar de l’actuel ministre des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian, le 1er novembre 2018, se contentent «?d’appeler de (leurs) vœux la manifestation de la vérité?». Gageons que ces «?vœux?» pieux ne troublent guère le sommeil de l’indispensable Idriss Déby.