Qui se souvient encore de l’affaire Diary Sow ? Ou de l’enquête de la BBC sur le pétrole et sa marée noire de manifestants ? Même la pandémie à covid-19 qui n’épargne pourtant personne est rangée aux oubliettes !
Mieux ou pire, le vaccin est royalement ignoré en dépit de l’espoir qu’il suscite. Qui parle de la Casamance dont les derniers développements sur le terrain auraient dû être LE SUJET de l’heure ? Comment comprendre que le démantèlement au Sénégal d’une cellule liée à Al-Qaïda du redoutable prédicateur malien Amadou Koufa, soit presque rangé dans la rubrique des faits divers ? Et pourtant le pays bruit plus que de raison d’une présumée affaire de viol avec force menaces de tout brûler. Certes l’affaire est grave. Doublement d’ailleurs.
D’abord pour son caractère criminel au regard de la loi. Ensuite en raison de la personnalité de l’accusé, Ousmane Sonko en l’occurrence. Mais elle demeure, en l’état actuel des choses, une affaire privée dont la dimension politique ne peut être occultée. Balle à terre donc. Le leader de Pastef est présumé innocent jusqu’à preuve du contraire. Inversement, la jeune fille Adji Sarr est présumée victime. À charge pour elle de prouver qu’elle a été violée. Le viol, il n’y pas plus difficile à prouver. Une redoutable épreuve attend la jeune masseuse du salon Sweet Beauty. Pour le président des « Patriotes », il n’y a pas pire infamie que d’être accusé de viol. Entre le présumé violeur et la présumée violée il y a la justice qui tranche dans le respect des droits de chacune des parties. Le pays ne peut pas et ne doit pas brûler pour ça. Le Sénégal vaut plus que ça.
La judiciarisation du jeu politique ou la politisation des choses de la justice sont préjudiciables à la démocratie. La tentation est forte de part et d’autre.
Allons au-delà des faits supposés s’être déroulés dans une salle de massage. Interrogeons la configuration politique qui a cours. Si l’ancien fonctionnaire Ousmane Sonko est devenu un acteur politique de premier plan, attesté par les résultats de la dernière élection présidentielle, il le doit certainement à son mérite personnel. Aurait-il lu L’Alchimiste de Paulo Coelho, ce livre de chevet du président Macky Sall ? « Quand on veut une chose, professe le célèbre écrivain brésilien, tout l’Univers conspire à nous permettre de réaliser notre rêve. »
Le discours de Sonko contre « le système », il faut le reconnaître, a pu séduire une frange de l’électorat. C’est en cela que cette affaire dite Sweet Beauty brouille peu ou prou l’image d’un chantre de « l’antisystème » qui s’est toujours voulu irréprochable. Et si l’antisystème n’était pas différent du système ? Le « rêve » de Coelho va-t-il se transformer en cauchemar pour Ousmane Sonko ? C’est l’explication qu’on pourrait avoir de sa rage et de celle de ses partisans au lendemain de la révélation de la plainte d’Adji Sarr. Qui peut également nier le concours de circonstances dont a bénéficié, tel un vent favorable, le leader de Pastef depuis son irruption dans la scène politique sénégalaise ? Les erreurs stratégiques du pouvoir ajoutées aux déboires judiciaires de Karim Wade et de Khalifa Ababacar Sall ont largement joué en faveur du candidat arrivé troisième à la Présidentielle de février 2019.
Le président Macky Sall étant réélu et le deuxième au classement, Idrissa Seck, ayant rejoint le camp présidentiel, un espace s’est naturellement libéré. Or la nature a horreur du vide. Et en politique il n’y a jamais de vide justement. Il y a toujours quelqu’un pour l’occuper. Bipolarisation ? L’équation se pose aussi bien au président Macky Sall qu’à ses adversaires qui nourrissent une ambition présidentielle en 2024. Pour Ousmane Sonko, le brouillard se dessine à l’horizon. En attendant l’épilogue de l’affaire Sweet Beauty, le président de Pastef opte pour le rapport de force face au pouvoir. Combat au bord du précipice ?