Dakarmidi – Durant les années 80 et 90 dans un contexte de tournant aussi bien au niveau géopolitique que dans la bataille des idées, Serigne Atou Diagne s’est illustré comme un legs béni pour sa génération comme pour les suivantes : traduction acharnée d’ouvrages, une modernisation organisationnelle du concept de dâ’ira, une détermination sans faille à vulgariser les oeuvres de Cheikh Bamba bien au-delà de nos frontières.
Pas seulement le mouridisme, mais les confréries lui doivent de même que la Dahiratoul moustarchidina Wal Moustarchidaty et Muqtafîna, cette prise de conscience qu’un basculement allait survenir. Et que dans ce monde qui venait à nous avec ses réalités et ses exigences, il fallait des réponses multidimensionnelles non seulement pour l’affronter mais pour lui imprimer la marque de nos héritages spirituels.
L’œuvre de Serigne Atou Diagne est centrale dans la prise de conscience d’une nécessaire modernité endogène au sein des confréries. Il était l’incarnation de l’engagement et de la fidélité au legs non pas comme un simple joyau des anciens à admirer et à faire valoir mais une belle matière première à transformer et à polir avec créativité et sens du devoir de transmission pour l’inscrire dans la continuité et le mouvement des idées et des réalités contemporaines.
Ce n’est pas tant la communauté mouride -à laquelle nous adressons toutes nos condoléances -qui perd un homme de grande dimension, ce sont toutes les confréries, et, par-delà l’islam qui pleure un homme d’engagement, un homme de valeurs mais surtout une icône du mouvement dans la fidélité. Serigne Lamine Diouf, peut en témoigner ! Je fus de ceux qui l’ont vu dans la symbolique cité de Calabar au Nigeria, alors que nous étions invités par l’UNESCO, proposer, au milieux d’intellectuels de tous horizons, le modèle de Cheikh Ahmadou Bamba et son enseignement comme une contribution de notre continent à la culture de la paix et du respect de la dignité de tous les humains.
Lors de nos discussions alors que je venais juste de rentrer au Sénégal et intégrais le centre d’étude des religions (CER) de l’Université Gaston Berger, en tant qu’enseignant-chercheur, il m’entretenait de sa volonté de renforcer la recherche sur le Mouridisme au sein de ce complexe Hizbut Tarqiyyah, devenu, au fil du temps et de ses efforts, un espace incontournable pour les hôtes de la confrérie et les assoiffés de savoirs endogènes.
Qu’il était si fier de me faire visiter la mosquée du Complexe Hizbut Tarqiyyah, alors en chantier, qu’il voulait comme le réceptacle des héritages architecturaux conjugués de tout le monde musulman de l’Arabie à l’Andalousie sans perdre une seule trace de l’africanité universalisante de son Abrevoir : Cheikh Ahmadou Bamba. La consécration de cette œuvre, célébrant l’ouverture et l’authenticité, est d’avoir été, à la veille du Magal, inaugurée par Cheikh Mouhammadoul Mountaqâ Mbacké, Khalife général des mourides avec qui il a toujours entretenu des liens d’une rare proximité.
Serigne Atou devait certainement intérioriser le célèbre vers de Touba Khadimou Rassoul: “wa laysa yûjibu sawâdul Jismi, safâhatal fatâ aw sû’ul fahmi”, croyant fermement que l’homme noir pouvait s’inscrire pleinement dans la marche des idées et l’intelligence parfaite des réalités d’un monde changeant sans être ni passif ni imitateur, mais en véritable acteur de changement.
Serigne Atou, mon ami et inspirateur, est un pionnier qui savait regarder l’avenir avec froideur et perspicacité tout en s’appuyant sur un socle solide d’authenticité. Pour la première fois, c’est de sa bouche que j’ai entendu le sigle IPTV comme devenir imminent de l’audiovisuel. Il s’avait anticiper et aller attendre dans l’avenir tout ce qui risquait un jour de le dépasser. Bâtisseur, certes, mais surtout éducateur qui avait, depuis longtemps, résolu un des dilemme persistant de notre école sénégalaise encore duale en faisant évoluer l’enseignement arabo-islamique par l’introduction des sciences et surtout des savoir-faire modernes. La langue arabe n’était plus une barrière, mais une opportunité de transmission et de rencontre avec l’autre dans soi-même et le « nous » commun.
Serigne Cheikh Tidiane Sy Al-Amine, fondateur du Think Tank ProspecTIV50, me disait que notre génération et les suivantes lui doivent un vibrant hommage. Surtout comme le dit, ce matin, avec émotion Cheikh Guèye d’Enda Tiers-monde, et secrétaire général du cadre unitaire de l’islam, de perpétuer “son oeuvre grandiose et marquante pour que Hizbut Tarqiyyah et la voie lumineuse qu’il a tracée lui survivent”. Le connaissant, cela devrait être le meilleur hommage à lui rendre.
* Dr. Bakary SAMBE
Directeur de Timbuktu Institute
Membre de ProspecTIV50