Selon le présent code de la famille au Sénégal, seul un homme peut être reconnu comme chef de famille, décidant de quasiment tout. De l’endroit où vit la famille, à comment ou quand établir des documents administratifs à ses enfants, l’homme est le chef suprême de la famille.
Il a aussi le choix de ne pas reconnaître ses enfants, et la recherche de paternité est interdite. Et la femme qui a cotisé toute sa vie pour une retraite si elle décède, rien n’est reversé à sa famille, époux ou enfants mineurs.
Une pétition dénonçant ces disposition du code de 1972 comme une atteinte « discriminative contre les droits des femmes » réunit plus de 5000 signatures en ligne.
« Dans l’intérêt de préserver les droits de la Femme et de l’Enfant, cette pétition s’érige pour réclamer la révision du code de la famille concernant certains articles que nous considérons comme une atteinte discriminative basée sur le genre en défaveur de la femme », indique l’activiste des droits des femmes Bineta Ndiaye, l’initiatrice de la pétition.
Depuis plusieurs années, des militantes pour la défense des droits des femmes s’insurgent contre ce texte adopté en 1972 mais en vigueur depuis janvier 1973. Ces militants soulignent ce qu’elles considèrent comme son caractère dépassé et injuste pour les femmes. En effet, les articles relatifs à la recherche de paternité et au droit parentaux sont vivement critiqués car ils semblent faire la part belle aux hommes.
Dans le combat pour la révision du code de la famille, l’Association des femmes juristes sénégalaises joue un rôle de premier plan. L’association a siégé au ministère de la Justice dans la commission de révision des textes discriminatoires à l’égard de la femme et de l’enfant. Cette commission a passé en revue pratiquement tous les textes et particulièrement le code de la famille.
« Depuis plusieurs années l’AJS fait de la sensibilisation et du lobbying auprès des autorités et des populations pour la révision de certaines dispositions du code de la famille telles que le relèvement de l’âge du mariage de 16 à 18 ans pour être conforme au protocole additionnel de Maputo signé et ratifié par le Sénégal; mais également pour respecter les prescriptions scientifiques médicales sur l’âge normal du mariage », déclare à la BBC Aby Diallo, commissaire de police à la retraite et présidente de l’AJS.
L’association propose de réviser le Code de la famille en faisant des amendements aux dispositions jugées discriminatoires.
Mais cette volonté réformiste des féministes ne passera pas comme lettre à la poste. Les conservateurs religieux, principalement des musulmans ne voient pas les choses de la même façon.
« Le code de la famille est un code consensuel adopté après d’âpres discussions et de négociations entre l’État et les autorités religieuses et coutumières. Sa révision imposera la même procédure. Ensuite, malgré l’évolution de la société, l’influence de la religion est forte et il faudra forcément en tenir compte », relève Aby Diallo.
Le Sénégal est un pays composé de près de 95% de musulmans. Dans les années 1970, des chefs religieux musulmans s’étaient impliqués dans l’élaboration du code de la famille, selon plusieurs sources. Quand le président Senghor a souhaité adopté un code de la famille différent de celui hérité de la colonisation, un regroupement de spécialistes du droit islamique a fait un plaidoyer pour l’adoption d’un code s’inspirant de la religion. Senghor n’approuvera pas cette démarche en raison du caractère laïc de l’État.
Amadou Makhtar Kanté, imam de la mosquée du Point E, révèle que le Conseil supérieur islamique, regroupant toutes les obédiences religieuses du Sénégal, s’était opposé au projet présenté par Senghor en 1972.
Les conservateurs religieux musulmans souhaitent une adéquation entre l’obédience religieuse et le code de la famille. Le prédicateur islamique appelle à des concertations nationales sur la question.
« Nous avons besoin de revoir le code de la famille de fond en comble car il y a des évolutions à prendre en compte. Il y a des considérations en prendre en comptes et de la cohérence à avoir entre les différents textes et leur lien avec le code de la famille. Il y a l’approche genre le féminisme mais aussi la position des religieux musulmans sur la question. Mais rien ne devra se faire sans tenir compte de l’islam sur ces questions sociétales majeures : notion de couple, santé de la reproduction, viol conjugal, PMA, avortement, autorité parentale… Il faudra des consultations inclusives », préconise le spécialiste des questions religieuses », déclare l’imam Kanté dans un entretien avec la BBC.
Par exemple, sur la succession, les conservateurs religieux aimeraient appliquer ce que dit la loi islamique quand le défunt est de confession musulmane. A leurs yeux, la religion de l’individu devrait être déterminante dans la gestion des affaires sociétales.
En 1996, le Comité islamique pour la réforme du code de la famille sénégalais (CIRCOFS) est mis en place par plusieurs associations islamiques. Il engage la rédaction d’un projet de Code du statut personnel. L’ancien député et imam, Mbaye Niang, est membre de ce collectif.
« La décision est prise de confectionner un code. On est allé voir toutes les familles religieuses, pour leur parler de notre projet, qui s’inspire du code qu’avaient proposé les guides religieux à Senghor en 1971. On est allé voir tous les marabouts et ça s’est très bien passé », rappelle M. Niang.
Ce collectif souhaite une adéquation du droit à l’obédience religieuse de chacun, en en faisant un impératif théologique mais également démocratique. Ce qui voudrait dire qu’il y aura de multiples codes s’inspirant des différentes religions présentes au Sénégal.
En 2003, la réforme du CIRCOFS est présentée au président de l’époque, Abdoulaye Wade sur l’initiative du comité. Mais il ne l’approuve pas et ne donnera pas suite à leur requête de réforme.
La BBC a pris contact avec plusieurs députés qui ont révélé que la réforme majeure du code de la famille est une question difficile. Et, il est quasiment impossible de trouver un terrain d’entente entre religieux musulmans et progressistes sur la question.
L’un d’entre eux rappelle qu’en 2016 un amendement à ce code permet désormais aux femmes sénégalaises de transmettre leur nationalité à leurs époux et enfants. Il considère que c’est un très grand pas qui peut mener à d’autres amendements majeurs. Mais il est prudent quant à la volonté du gouvernement d’engager des réformes en profondeurs de ce code de la famille adopté il y a 48 ans.
De tous les articles controversés du code de la famille celui sur l’interdiction de la recherche de paternité est le plus critiqué.
La loi dit que l’établissement de la filiation paternelle est interdit à tout enfant qui n’est pas présumé issu du mariage de sa mère ou n’a pas été volontairement reconnu par son père, exception faite dans le cas où le prétendu père a procédé ou fait procéder à son baptême ou lui a donné un prénom.
Pour nombres d’observateurs et d’activistes, cet article encourage la fuite de responsabilité.
Le professeur de Droit, Isaac Yankhoba Ndiaye trouve « inadmissible que dans un pays comme le Sénégal, on refuse à un enfant de rechercher son père. Pire, il n’y a aucune possibilité judiciaire ».
« Si le père décide de ne pas reconnaître son enfant, aucun rapprochement paternel ne sera fait. La loi l’interdit », explique l’ancien doyen de la Faculté de Droit au quotidien national sénégalais Le Soleil.
À ses yeux, une mise à jour du Code de la famille qui date de 1973 est nécessaire.
« Entre temps, la science a évolué et permet de déterminer avec précision la filiation paternelle. L’enfant naturel perd tous ses droits au Sénégal dans la mesure où il ne succède à personne. C’est un paradoxe dans la mesure où le Sénégal a ratifié toutes les conventions relatives à l’enfant interdisant toutes formes de discrimination », ajoute le juriste.
Beaucoup de femmes abandonnées ou en instance de divorce buttent souvent sur l’autorisation parentale quand elles souhaitent faire un passeport à leurs enfants ou simplement voyager avec eux.
Selon l’article 277 du code de la famille sénégalais, durant le mariage, l’autorité parentale est exercée par le père en qualité de chef de famille.
En conséquence, l’autorisation parentale doit être signée par ce dernier. Toutefois, la mère peut signer l’autorisation parentale, sur présentation de preuves de transfert de l’autorité parentale, par exemple une condamnation du père pour abandon de famille.
« La femme ne peut faire aucune démarche pour ses enfants sans l’autorisation parentale signée par le père. Beaucoup de femmes abandonnées par le père de leurs enfants se retrouvent souvent dans des situations dramatiques pour faire voyager leurs enfants, leur faire faire des papiers d’identité », dénonce Jaly Badiane, militante du droit des femmes, dans un entretien avec la BBC.
Homme politique et ancien député et président du groupe parlementaire de la majorité, Moustapha Diakhaté milite pour une révision complète du code de la famille.
Il déclare que le Code de la famille viole la Constitution.
« La loi qui régit la famille au Sénégal est en porte-à-faux avec la Constitution, notamment sur le principe de l’égalité des citoyens devant la loi. En ne reconnaissant pour les enfants que l’autorité du père, le Code de la famille introduit une inégalité de droit entre citoyens », dénonce-t-il.