“Talentueuse”, “pas rancunière”, “a fait campagne avec moi et Jill”, “d’une grande aide pour la campagne”, “grand respect pour elle”. Voilà comment était décrite Kamala Harris dans une note de Joe Biden, quelques jours avant que le candidat démocrate pour la présidentielle ne la choisisse officiellement comme colistière ce mardi 11 août.
En cas de victoire du duo le 3 novembre prochain, la sénatrice de Californie deviendrait la première femme noire vice-présidente des États-Unis.
À 55 ans, la trajectoire de cette fille d’immigrés incarne le meilleur du rêve américain. Née en 1964 à Oakland, Kamala Harris a grandi dans la Californie progressiste des années 1960, fière de la lutte pour les droits civiques de ses parents: un père jamaïcain professeur d’économie, et une mère indienne aujourd’hui décédée, chercheuse spécialiste du cancer du sein.
Diplômée de droit de l’université de Californie, elle cumule entre 2004 et 2011 deux mandats de procureure à San Francisco, avant d’être élue, deux fois, procureure de Californie en 2011 et 2017. Elle devient alors la première femme, mais aussi la première personne noire, à diriger les services judiciaires de l’État le plus peuplé du pays.
En janvier 2017, elle devient la première femme originaire d’Asie du Sud et seulement la seconde femme noire dans l’histoire du Sénat américain, en tant que représentante de la Californie.
Fin janvier 2019, elle brigue le poste suprême des États-Unis en entrant dans la course de la primaire démocrate pour la Maison Blanche. Contrainte d’abandonner 12 mois plus tard, après des débats décevants, une perte de vitesse dans les sondages et un manque de financement, elle n’a pas pour autant disparu du paysage politique. Bien au contraire.
Après la mort de George Floyd et les manifestations contre le racisme qui ont suivi, le nom de Kamala Harris s’est mis à circuler activement parmi ceux cités pour devenir, en cas de victoire démocrate, vice-présidente de Joe Biden, pressé de choisir une colistière noire ou à minima symbole d’une plus grande diversité.
Depuis début avril, la cote de Kamala Harris a commencé à grimper, alimentée dans un premier temps par ses prises de position pendant l’épidémie de coronavirus. Avec l’affaire George Floyd, elle a devancé son ex-rivale Elizabeth Warren dans les préférences des électeurs démocrates et elle réussit l’exploit de faire plus ou moins consensus parmi les soutiens d’anciens candidats: 33% des électeurs de Buttigieg et de Bloomberg voient en elle la meilleure colistière pour la vice-présidence; elle récolte aussi un score honorable de 28% chez les électeurs de Warren.
Toutefois, Kamala Harris n’est pas non plus immunisée aux critiques, surtout dans le climat actuel où la police et la justice américaine sont vues comme le bras armé d’un système inégalitaire à l’égard des minorités. La raison? Son bilan controversé au poste de procureure générale de Californie.
En janvier 2019, deux jours avant l’annonce de sa candidature à la Maison Blanche, la parution d’un édito au vitriol d’une professeur de droit dans le New York Times égratignait l’image de la sénatrice, présentée comme “souvent du mauvais côté de l’histoire lorsqu’elle était procureure”. Y étaient notamment évoqués son opposition au port systématique de caméras par les policiers, son refus d’un projet de loi pour imposer une enquête en cas de fusillade impliquant les forces de l’ordre, ainsi que sa procédure d’appel après qu’un juge a déclaré en 2014 l’inconstitutionnalité de la peine de mort dans l’État. Son soutien à une loi californienne qui punissait durement les parents des enfants séchant l’école avait aussi été critiqué, car perçu comme affectant surtout les minorités et les plus modestes.
Ce bilan plus que mitigé a valu à Kamala Harris les critiques des associations de lutte pour les libertés civiles mais aussi des électeurs noirs et progressistes.
Ces derniers mois, la sénatrice a donc tout fait pour redorer son image. Et la mort de George Floyd lui a donné l’occasion de défendre son opinion sur la réforme pénale et d’afficher un autre visage… avec un certain succès. “Son point de vue sur le cas George Floyd, sur la façon dont ça devait être géré, ce que la justice pourrait faire… c’était un des meilleurs discours d’élus”, a ainsi jugé dans Politico un militant antiraciste, ancien membre de la campagne Sanders. “Cela me met plus à l’aise avec l’idée de l’avoir comme choix potentiel de vice-présidente.”
Mais le passé de Kamala Harris n’est peut-être pas le seul angle d’attaque qui va s’offrir à Donald Trump. Selon CNBC, des pressions auraient lieu en interne de la part d’importants donateurs de la campagne de Joe Biden pour que le choix du candidat se porte sur Susan Rice, ancienne ambassadrice sous Barack Obama, Val Demings, représentante de la Floride à la Chambre ou encore Tammy Duckworth, sénatrice de l’Illinois et lieutenant-colonel retraitée de l’Armée.
Les détracteurs de Kamala Harris mettent particulièrement en doute sa loyauté envers “Joe”, ainsi qu’elle l’appelait amicalement au début de la campagne des primaires, avant de durcir son discours avec une attaque virulente contre les positions passées de l’ancien vice-président sur la ségrégation raciale dans les années 1970, qui avait secoué le premier débat démocrate. Et ce, malgré le soutien affiché de Kamala Harris à Joe Biden depuis son retrait de la course. “Avec Joe Biden comme président, nous pourrons construire une Amérique à la hauteur de nos idéaux”, a d’ailleurs tweeté la principale intéressée le 29 juillet, alors que les spéculations allaient bon train.
De son côté, l’intéressé répète à l’envi qu’il choisira quelqu’un qui lui sera “sympathique”, en rappelant sa propre bonne entente avec Barack Obama. “Il est très important que la personne que vous choisissez comme VP soit en accord avec vous sur votre philosophie de gouvernement, sur les choses fondamentales que vous voulez changer”, a prévenu Joe Biden.
Il leur reste moins de trois moins pour convaincre les Américains que le duo est effectivement solide