Deux choses méritent d’être rappelées avant toute discussion sur la question.
D’abord, toutes les parties prenantes et l’opinion avisée savent qu’il n’a jamais été question de faire prendre à l’Etat la charge des frais liés au rapatriement. Seule l’autorisation du rapatriement des personnes décédées du covid-19 est demandée.
Ensuite, mettre en danger la santé publique au nom du rapatriement des Sénégalais décédés du covid-19 à l’étranger a toujours été hors de propos. Le dynamisme de la diaspora pour le
respect des dernières volontés des victimes et les droits de leurs familles au Sénégal s’explique par le caractère tout à fait possible du rapatriement, sans mise en danger aucune de
la population à l’intérieur du Sénégal. La mesure d’interdiction du rapatriement des « corps covid » intervenue en début avril a hypothéqué une palette de droits fondamentaux.
En premier lieu, la Constitution consacre le droit à la protection de la personne humaine (article 7), les libertés culturelles, religieuses, la liberté de conscience (article 8). Selon son article 7, l’Etat a l’obligation de respecter et de protéger la personne humaine qui est sacrée et inviolable. En particulier, le « droit à l’intégrité corporelle notamment… la protection contre toutes mutilations physiques ». Or, la mesure d’interdiction met les corps face à un risque d’exhumation au bout d’un certain temps, voire celui d’incinération ou d’enterrement dans des fosses communes.
A cela s’ajoute la mise en cause de l’égalité des citoyens devant la loi et devant le service public (article 7 précité combiné avec l’article 6 de Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789). En second lieu, les instruments internationaux ratifiés par le Sénégal consacrent le droit au retour, vivant ou mort, le droit au retour des migrants décédés (les articles : 13.2 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948 ; 12.4 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966 ; 71 de la Convention internationale pour la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille).
C’est face à l’urgence de sauvegarder ces libertés fondamentales qu’une requête en référé- liberté fut déposée mardi dernier (aucun recours en annulation n’a été encore déposé). Le juge des référés n’a malheureusement pas abrégé la souffrance des familles concernées. Sa motivation hypothétique et dubitative est regrettable puisqu’il n’y a aucune controverse scientifique sur la question, ni même publication d’un avis du Comité national de lutte contre les épidémies au Sénégal.
Les droits fondamentaux énumérés ne pouvaient être mis en cause et violés que si l’objectif de protection de la santé publique avait rendu nécessaire la mesure d’interdiction. Or, il est démontré, les documents scientifiques à l’appui, que pour atteindre cet objectif, il n’était aucunement nécessaire d’interdire le rapatriement des corps décédés du covid-19.
Avant même que n’intervienne l’interdiction, l’OMS et les conseils scientifiques des pays les plus infectés reconnurent les très faibles risques liés à la manipulation des dépouilles. Surtout, au regard de l’absence de lien direct de causalité entre propagation de la pandémie et transport international de corps, cette question de la manipulation était sans incidence l’autorisation du rapatriement. Ainsi, aucune directive internationale ou de pays ne l’a interdit.
Il convient de garder à l’esprit que des critères rationnels et objectifs conditionnent ce rapatriement. Dans ces conditions, et dès lors que le transport s’effectue par avion, invoquer le défaut de sécurisation des dépouilles provenant de pays africains ne constitue autre chose qu’une stigmatisation de ces derniers (c’est un argument des débats de comptoir ; naturellement les autorités sénégalaises ne l’invoquent jamais, mais c’est une frange mal avisée de l’opinion publique, et déjà gagnée par la psychose, qui s’en chargent)
La mesure est, par conséquent, non nécessaire et disproportionnée, au regard de l’objectif poursuivi. Cette décision injustifiable au regard du droit, est tout aussi déplorable sur un plan politique. « En effet, tant que le rapatriement des corps n’est pas devenu une solution scientifiquement contre-indiquée dans le cadre de l’effort de maîtrise de la propagation de la pandémie, toute mesure de substitution ne saurait revêtir la signification d’un traitement respectueux des Sénégalais-es de la diaspora ».
Pour ces raisons, il faut espérer que M. Macky Sall remette les pendules à l’heure ce lundi 11 mai 2020.
Toute la diaspora l’y invite et guète, avec intérêt, son discours.
* Serigne Chouébou DIONE,
Coordinateur du pôle juridique du Collectif international pour le rapatriement des personnes
décédées du COVI-19 (CRC Sénégal).
Le 11 mai 2020.