L’entreprise recevra 4 milliards d’euros de prêts bancaires et une avance d’actionnaire de 3 milliards d’euros. L’État néerlandais s’apprête également à secourir KLM
Auditionnée mercredi au Sénat, Anne-Marie Couderc qui préside le groupe Air France KLM, avait été très claire. L’annonce par le gouvernement français d’une aide massive à Air France était une question de jours. Elle avait vu juste. Vendredi soir, à l’issue d’un conseil d’administration, l’État qui possède 14,3 % du groupe Air France KLM a dévoilé son plan pour voler au secours de sa compagnie aérienne nationale.
L’enveloppe financière est impressionnante: 7 milliards d’euros seront apportés à Air France dès début mai. Ce soutien se fera selon deux modalités: d’une part, 4 milliards d’euros de prêts bancaires garantis par l’État à 90 % ; d’autre part, une avance d’actionnaire par l’État de 3 milliards, que Bercy ira puiser dans l’enveloppe de 20 milliards destinée aux opérations en capital votée dans le cadre de la dernière loi de finances rectificative.
KLM doit aussi bénéficier de son côté d’aides de la part de l’État néerlandais. On parle de 2 à 4 milliards. Mais ce plan ne devrait pas être prêt avant quelques jours voire quelques semaines.
Le groupe Air France KLM perd 25 millions d’euros par jour
Cette intervention de l’État français en faveur d’Air France est tout sauf une surprise. Dès mi-mars, le gouvernement a clamé qu’il soutiendrait sa compagnie étendard. Le 8 avril, Bruno Le Maire, mettait les points sur les i: «Ce n’est pas un coup de pouce dont va avoir besoin Air France, c’est un soutien massif de la part de l’État, déclarait le ministre de l’Économie. Et Air France aura ce soutien massif de la part de l’État. Nous voulons à tout prix préserver la compagnie aérienne qui est un fleuron industriel français.»
Il y avait urgence à ce que l’État tienne sa promesse car, dans cette période où le transport mondial est quasi à l’arrêt, Air France KLM joue comme d’autres sa survie. «Un besoin de liquidités est attendu au troisième trimestre 2020», reconnaissait mercredi Anne-Marie Couderc. Car même si Air France a une activité réduite à moins de 5 % de son offre habituelle et donc un chiffre d’affaires minuscule, ses charges fixes (emprunts pour payer les avions, maintenance, coûts de personnel malgré le recours au chômage partiel…) restent énormes. Résultat, le groupe Air France KLM perd 25 millions d’euros par jour.
- Un scénario semble se dessiner qui pourrait être un retour au niveau d’activité de 2019 vers 2022
Ben Smith, le directeur général d’Air France KLM
L’aide de l’État français était d’autant plus attendue que beaucoup d’autres pays ont déjà dégainé leur plan pour sauver leurs compagnies. Singapour a renfloué Singapore Airlines. L’Administration Trump a élaboré un package de mesures pour les compagnies aériennes à hauteur de 50 milliards de dollars (25 milliards de prêts et 25 milliards d’aides).
Cet apport d’argent frais sera bienvenu pour Air France car le transport aérien risque d’être dans la tourmente un long moment. «Un scénario semble se dessiner qui pourrait être un retour au niveau d’activité de 2019 vers 2022», déclarait mercredi au Sénat le directeur général d’Air France KLM, Ben Smith. Cette aide, le groupe compte aussi dessus pour être en mesure de participer à la consolidation du secteur qui, selon Ben Smith aura lieu «dans le monde et en Europe.» En clair, à la sortie de la crise, pouvoir acheter des compagnies mal en point ou entrer à leur capital.
Si la France a mis du temps à boucler ce plan de sauvetage, c’est pour plusieurs raisons. D’abord, elle a dû se coordonner avec les Pays-Bas également actionnaires du groupe Air France KLM à hauteur de 14,3 % et avec qui les relations sur la gouvernance du groupe sont souvent tourmentées.
Pour convaincre les banques françaises – deux des plus grands établissements tricolores manqueraient d’ailleurs à l’appel de ce sauvetage de place – et internationales, l’État français a dû garantir les prêts à hauteur de 90 % plutôt qu’à 70 %. Il doit surtout s’engager dès maintenant, au travers de l’avance d’actionnaire qui donne des gages d’une recapitalisation future. «L’implication des banques témoigne de leur confiance», indique une source proche du dossier.
Hop! sous tension
En contrepartie, Air France s’est engagé à rendre deux copies: un plan économique, qui doit faire, selon un proche du dossier, «d’Air France l’une des compagnies les plus rentables de sa catégorie», et un plan écologique.
Le plan de transformation du groupe présenté en novembre sera «accentué», déclarait Ben Smith mercredi. Le réseau domestique d’Air France structurellement en lourdes pertes pourrait être revu à la baisse. Parmi les idées évoquées, réduire les liaisons interrégionales assurées par Hop! et transférer à Transavia, la filiale low-cost du groupe, des lignes d’Air France au départ d’Orly.
La compagnie va continuer à compenser à 100 % ses émissions carbone sur tous ses vols domestiques comme elle le fait depuis quelques moisCette restructuration rejoindra l’ambition écologique. Pour le gouvernement, l’avion ne se justifie plus quand il existe une alternative ferroviaire en moins de deux heures et demie (sauf pour alimenter le hub). La compagnie va aussi continuer à compenser à 100 % ses émissions carbone sur tous ses vols domestiques comme elle le fait depuis quelques mois. Et elle poursuivra le renouvellement de sa flotte au rythme prévu avec des avions moins gourmands en kérosène. Le gouvernement avait besoin de cet engagement: il lui aurait été difficile de prêter des milliards si sa compagnie étendard ne faisait pas d’efforts en la matière dans une période où la responsabilité du transport aérien concernant le réchauffement climatique est pointée du doigt.
Les mêmes conseils pour tous les dossiers
Deux banques – Crédit agricole CIB et Citi – et un cabinet d’avocats – Allen & Overy – accompagneront Bercy pour l’ensemble des grands dossiers «chauds» des prochaines semaines et des prochains mois.
Ce «mandat horizontal» porte, de sources concordantes, sur la mise en œuvre des prêts garantis par l’État (PGE) aux très grandes entreprises, et notamment aux groupes du portefeuille de l’État actionnaire, ainsi que sur le déploiement des 20 milliards d’euros prévus – à ce stade – pour d’éventuelles opérations en capital et inscrits dans la loi de finances rectificative tout juste votée.
La procédure de PGE pour grands groupes a été étrennée le week-end dernier par Fnac Darty (500 millions d’euros, garantis par l’État à 70 %).
Le dossier Air France, bouclé vendredi, était autrement plus complexe. La compagnie est conseillée par la banque HSBC. L’État est pour l’occasion également épaulé par le cabinet BDGS.