Au Sénégal, une rumeur persistante sur un don important effectué par le Président Sall en faveur d’un fonds contre le coronavirus fait couler beaucoup d’encre. Sans être démentie ni confirmée officiellement, l’information relance le débat sur la fameuse caisse noire du Président et sur sa déclaration de patrimoine personnel qui n’est pas à jour.
En l’absence de confirmation officielle, le don du Président sénégalais Macky Sall au fonds Force Covid-19 n’est qu’une rumeur. Pourtant, dans les milieux autorisés de Dakar, on la prend pour argent comptant. 50 millions de francs CFA, plus précisément, soit l’équivalent de 76.000 euros. Sa diffusion par le quotidien Libération, dont le propriétaire est un très proche du chef de l’État, lui donne une certaine crédibilité, affirme un journaliste à Sputnik.
La dépêche est reprise en masse, et dans les mêmes termes, par les principaux médias du pays. Mais la contribution annoncée du Président Macky Sall à la structure étatique mise en place pour venir en aide à un million de ménages impactés par la crise du coronavirus ne figure sur aucun document officiel. Et certainement pas sur la liste des donateurs établie par la Direction générale de la comptabilité publique et du Trésor. Ce département a fait publier, dans le quotidien gouvernemental Le Soleil du 10 avril, cette liste: sur les 372 noms de personnes physiques et morales consultés par Sputnik figure la mention de la présidence de la République –avec son don de 200 millions de francs CFA (environ 305.000 euros)–, mais pas celle du Président agissant «à titre personnel», selon les termes de l’article qui faisait bien le distinguo entre la Présidence et le chef de l’État.
Loin d’atténuer les spéculations, la question s’est donc posée de la provenance de la somme supposément allouée par Macky Sall. Le Président sénégalais voulait vraisemblablement faire bonne figure, d’autant que des voix l’invitaient à donner l’exemple en puisant dans ses fonds politiques….Toutefois, entre sa fortune personnelle et les fonds spéciaux (qui comprennent les fonds secrets et les fonds politiques) dont il dispose de façon discrétionnaire, le mystère plane… et passe mal en ces temps de crise nationale.
«À mon avis, nous sommes dans un contexte exceptionnel sous un régime de communion nationale et d’union sacrée de tous les Sénégalais pour soutenir la politique de l’État contre le coronavirus. Par conséquent, le Président fonctionne comme Président-citoyen. À cet égard, il doit jouer la transparence absolue. C’est pourquoi il serait utile à tous qu’il précise que les 50 millions de francs CFA annoncés proviennent de sa poche, de son action personnelle pour la solidarité nationale, et qu’ils sont totalement différents des fonds spéciaux. Cette précision est loin d’être un détail dans le cadre de la solidarité nationale», a réagi pour Sputnik Alioune Tine, président fondateur du think tank Africajom Center basé à Dakar.
Journaliste et ex-patron de presse devenu consultant dans l’audiovisuel en France, Vieux Aïdara n’y va pas par quatre chemins pour dire sa vérité : «Le Président Macky Sall doit être le premier à se plier à cet exercice pour donner le bon exemple. S’il ne le fait pas, c’est la porte ouverte à tout. Chaque année, l’État du Sénégal doit rendre publiques les exonérations fiscales afin que les Sénégalais sachent qui a donné et, en retour, à qui les milliards sont revenus, surtout en ces temps de crise du coronavirus.»
«Il faudrait bien évidemment de la transparence sur l’origine des fonds donnés et que cela ne serve surtout pas seulement à réclamer des exonérations fiscales pour ceux qui ont fait don de 1 milliard de francs CFA (environ 1,5 million euros)», estime-t-il.
Sputnik a tenté de contacter la présidence sénégalaise, sans succès. Cependant, un fonctionnaire du palais joint par téléphone affirme tout ignorer de la contribution présidentielle. La question est en effet délicate car elle repose le débat sur la fortune déclarée du Président Macky Sall. Officiellement, elle serait d’environ 1,3 milliard de francs CFA (environ 2 millions d’euros) et 35 véhicules lors de son entrée en fonction en avril 2012. Mais pour un grand nombre d’observateurs, la somme des biens déclarés au Conseil constitutionnel ne semble pas crédible et serait largement sous-évaluée. Certains l’estiment à environ 8 milliards de francs CFA (12 millions d’euros), sans apporter néanmoins de preuves à leur assertion.
Mamadou Abdoulaye Sow, inspecteur principal du Trésor à la retraite, ancien directeur général de la Comptabilité publique et du Trésor, a déclaré dans une célèbre tribune publiée en septembre 2017 que «sur la période 2012-2017, c’est près de 104 milliards de francs CFA (158,5 millions d’euros) de crédits spéciaux qui ont été alloués au Président de la République et 3 milliards de francs CFA (environ 4,5 millions d’euros) de fonds de sécurité ouverts pour le Premier ministre. Ce budget spécial est supérieur au budget alloué au fonctionnement de plusieurs ministères».
«Les « fonds secrets et politiques » sont utilisés (suivant des procédures dérogatoires aux règles de la comptabilité publique) de manière discrétionnaire, en l’absence de tout contrôle de l’Assemblée nationale et le tout dans un vide juridique», précise-t-il.
Pour un de ses anciens collègues du ministère de l’Économie et des Finances qui a requis l’anonymat, il ne faut pas se faire d’illusion. «Les fonds spéciaux, Macky Sall et [l’ancien Président] Abdoulaye Wade en ont fait des fonds strictement personnels. Cela m’étonnerait que l’actuel Président de la République puise un seul franc de ses revenus à lui pour donner autant, aussi bien pour le Covid-19 que pour Baba Maal! On est quand même en droit de lui demander d’où sortent ces 50 millions de francs CFA!»
L’allusion à Baba Maal, une des stars de la musique sénégalaise, fait référence à la V8 flambant neuve que le Président Macky Sall lui a offert il y a quelques semaines et dont le coût est évalué à 45 millions de francs CFA (environ 69.000 euros).
Plus d’un an après sa réélection en février 2019, le Président Macky Sall n’a toujours pas officiellement refait sa déclaration de patrimoine devant le Conseil constitutionnel du Sénégal.
Dans la note solennelle remise au Conseil constitutionnel en avril 2012, le chef de l’État écrivait : «Je déclare sur l’honneur que la présente déclaration de patrimoine est sincère et véritable et que les fonds ayant servi à l’acquisition desdits biens proviennent pour partie de mes gains et salaires, de prêts contractés auprès d’organismes financiers et de dons d’amis, de militants et sympathisants sénégalais.»
En attendant, ses moyens d’intervention sont de plus en plus puissants, favorisés par une concentration de pouvoirs qui va crescendo.