Dakarmidi – Frank Timis n’est pas un nigaud. Bien au contraire. Cet homme d’affaires roumain, devenu aussi australien, a fait fortune dans le secteur des industries extractives (or, diamant, pétrole, gaz et autres ressources minières) et travaille dans de nombreux pays en Europe et en Amérique du Nord. Depuis une dizaine d’années, il a semblé vouloir faire du sous-sol de l’Afrique de l’Ouest le terreau de l’accélération de la croissance de son business évalué à plus de 13 milliards d’euros. Ainsi, a-t-il jeté son dévolu sur des contrats notamment en Sierra Leone, au Niger, en Côte d’Ivoire, au Burkina Faso et au Sénégal. Frank Timis a réussi à se bâtir une réputation d‘homme d’affaires coriace, tenace et doué d’entregent pour dénouer des situations difficiles dans les différents pays où ses affaires prospèrent.
L’accueil hostile ou, à tout le moins, polémique qui lui est réservé au Sénégal par une certaine classe politique, depuis la découverte d’importants gisements de pétrole et de gaz, n’est nullement nouveau pour lui. Seulement, l’homme d’affaires a semblé changer de stratégie ou de méthode pour en découdre avec ses détracteurs. Frank Timis a décidé de porter plainte contre un groupe d’une vingtaine de responsables de parti politique de l’opposition et d’organisation de la société civile. Une telle forme de réponse apparaît inappropriée et surtout pourrait mettre en péril les intérêts même de Frank Timis. Quelle est l’idée inélégante pour un homme d’affaires de traîner en justice des personnalités politiques qui engagent un combat politique contre des adversaires au pouvoir ?
La plainte de Frank Timis n’apporte rien à l’explicitation des circonstances et conditions dans lesquelles les contrats pétroliers et gaziers lui ont été accordés. Il s’y ajoute que cela aura fatalement pour conséquence de conforter l’opposition dans son combat qui, certainement, ne serait pas tout à fait juste. De nombreux citoyens ont pu être vexés par l’initiative judiciaire de Frank Timis qui s’en prend à des acteurs politiques. Il n’est pas envisageable dans un pays démocratique comme le Sénégal d’empêcher l’opposition ou la société civile de questionner le gouvernement sur la gestion de ressources aussi importantes. C’est une posture on ne peut plus légitime. Qui plus est, dans un pays où l’opinion publique a été traumatisée par l’épisode de la gouvernance de Abdoulaye Wade qui avait révélé une présence trop forte de la famille du chef de l’Etat dans la gestion des affaires publiques, de surcroît dans les secteurs économiques les plus lucratifs. «Chat échaudé craint l’eau froide !»
On peut bien se demander si ce débat qui passionne la classe politique avait cours dans un pays européen ou d’Amérique du Nord où il développe des affaires, Frank Timis allait-il porter plainte contre les objecteurs politiques ?
D’ailleurs, que ce soit au Niger, en Côte d’Ivoire ou au Burkina Faso, des voix d’hommes politiques et de personnalités de la société civile ont eu à s’élever pour s’enquérir, parfois avec véhémence, des conditions des concessions accordées à Frank Timis. Pour autant, l’homme d’affaires n’a jamais songé à les entraîner dans des procédures judiciaires. Justement, c’est ce qui laisse croire que la plainte de Frank Timis est téléguidée, sinon inspirée par le gouvernement du Sénégal. En effet, la plainte intervient après une sortie du Premier ministre, Mahammad Boun Abdallah Dionne, qui avertissait que plus jamais les attaques ne seront tolérées et que des actions judiciaires seront intentées contre les personnes qui persisteraient dans le terrain de la dénonciation et du dénigrement contre les autorités de l’Etat.
C’est comme qui dirait que la plainte de Frank Timis constitue une arme politique au service des autorités gouvernementales. Qui peut prédire ou garantir à Frank Timis qu’au moment de l’exploitation du gaz et du pétrole dans l’horizon 2022-2024, il n’aura pas comme interlocuteurs gouvernementaux sénégalais certaines de ces personnalités politiques et de la société civile contre lesquelles il vient de porter plainte ?
Il s’y ajoute que, du point de vue de la bataille d’opinion, la démarche judiciaire risque de fragiliser l’argumentaire du gouvernement. C’est comme s’il y avait une certaine panique ou une incapacité à affronter l’opposition dans un débat d’arguments contre arguments. On peut bien croire que si l’autre partie se montre si prompte à user de la voie judiciaire, c’est parce qu’elle ne saurait pas se défendre valablement sur le plan politique.
Pourtant, l’opposition a donné au gouvernement des moyens de convaincre l’opinion publique sur le caractère spécieux pour ne pas dire sur le manque de sérieux ou de rigueur des accusations portées par l’opposition. Dans un premier temps, l’opposition avait été habitée par un certain déni. Les responsables de l’opposition affirmaient, à l’annonce des découvertes de pétrole et de gaz, que c’était de la simple propagande d’un régime politique qui cherchait à susciter l’espoir au sein des populations afin de passer un mauvais cap.
L’opposition disait que la situation économique et sociale n’était pas bonne et que le gouvernement cherchait à masquer ses carences et calmer l’exaspération des populations. Cet argumentaire a très vite été oublié par l’opposition quand la réalité des découvertes de pétrole et de gaz et l’importance extraordinaire des volumes des gisements étaient reconnues par tous les opérateurs internationaux dans le secteur. Ainsi, les responsables de l’opposition politique ont changé de fusil d’épaule pour accuser Aliou Sall et, à travers sa personne, son frère Macky Sall, président de la République, d’avoir des intérêts familiaux dans l’exploitation de ces ressources.
L’opposition exigeait la publication des contrats signés avec la société de Frank Timis. Le gouvernement a eu la mauvaise idée de laisser perdurer cette polémique, traînant les pieds pour publier lesdits contrats. Le Premier ministre finira par s’y résoudre d’autant que rien dans lesdits contrats ne pouvait conforter les attaques et accusations de l’opposition. Ainsi, les accusations s’étaient écroulées comme un château de cartes après la révélation de la teneur des contrats stigmatisés. Comme ayant reçu une douche froide, l’opposition ne pouvait que chercher à jouer les prolongations en soutenant que la publication des contrats la laisse encore sur sa faim, car cela n’aurait pas permis de répondre aux questions posées. L’opposition perdait pied dans ce combat.
D’ailleurs, l’opinion publique commençait à croire que l’attitude de l’opposition devenait crypto-personnelle et qu’au nom de leur adversité ou de leur hostilité grégaire à l’égard du Président Macky Sall, certains hommes politiques risquaient de compromettre ainsi des intérêts essentiels du Sénégal. C’était franchement un camouflet, et voilà que Frank Timis qui, paradoxalement, avait été à titre personnel le plus épargné par les attaques vient de leur donner une bouée de sauvetage ou un beau prétexte pour relancer la polémique. On s’en doute bien, Frank Timis ne semble pas rechercher une victoire judiciaire contre l’opposition, mais chercherait plutôt à la trouver sur le train de polémiques stériles. Le choix de Me Elhadji Diouf, avocat, pour défendre ses intérêts, et la procédure judiciaire usitée semblent on ne peut plus parlants.
Madiambal Diagne