Dans une de ses célèbres citations, l’écrivain Autrichien Peter Drucker nous apprend que « L’innovation systématique requiert la volonté de considérer le changement comme une opportunité ». Une telle idée justifie, sans nul doute, l’organisation du débat intitulé « Le Grand Entretien » à la Présidence de la République à la suite du traditionnel message à la Nation du 31 décembre du Président Macky SALL. Cette épreuve orale entre le Chef de l’Exécutif et des journalistes a encore une fois mis en exergue les failles du système de communication du Palais de la République. Nous sommes, rappelons-nous, dans le champ de la communication politique qui est comprise comme étant « l’ensemble des techniques et procédés dont disposent les acteurs politiques, le plus souvent des gouvernants, pour séduire, gérer et circonvenir l’opinion »[1] qui requiert une certaine habileté et une prudence quand on sait qu’en matière de communication, le plus compliqué n’est ni le message, ni la technique, mais le récepteur (Dominique Wolton).
Dès lors, nous avons eu du mal à analyser, à comprendre et à justifier les raisons qui ont motivé la tenue d’une telle rencontre précédée d’un discours institutionnel aussi important, suivi par la majorité des concitoyens où la Constitution accorde au Président l’opportunité de s’adresser solennellement à son peuple. D’autant plus que le contexte de l’année 2018 est très particulier, car marqué par la fin du premier mandat du Président Macky Sall. Cette tribune a particulièrement servi à étaler naturellement ses réalisations et ses perspectives en cas de second mandat. Cependant, au lieu tout simplement de laisser aux citoyens la possibilité de comprendre les grands axes de la communication présidentielle, les messages forts, les grandes réalisations du Gouvernement et les projets par le biais des débats organisés dans la majorité des supports médiatiques (télévision, radios, presse en ligne, réseaux sociaux numériques, etc.), on a servi parallèlement une farce, une communication de trop qui a consisté à redonner la parole au Président en présence des Ministres pour je ne sais quels objectifs. La conséquence immédiate est que nous avons eu droit à une pluralité de messages dont la plupart, défavorables au régime en place, ont retenu l’attention des citoyens, mais surtout des acteurs de la presse. On a donc oublié ou ignoré que « trop de communication, tue la communication ».
Par ailleurs, contrairement à l’interview officielle, écrite, simulée, filmée à l’avance et bien montée, Le grand Entretien a été une véritable improvisation et pire encore une mise à l’épreuve d’un Président qui a souvent montré des limites par rapport à ses compétences oratoires et communicationnelles. C’est ce qui a valu d’ailleurs le changement à plusieurs reprises de son équipe de communication depuis son élection en 2012 (Souleymane Jules DIOP, Mamadou THIAM, Yakham MBAYE, El Hadj Hamidou KASSE, etc.). L’erreur souvent commise au Sénégal est qu’on pense que les responsables de la communication du Palais, généralement des anciens patrons de presse, sont de véritables stratèges ou planificateurs alors que leur rôle se limite le plus souvent à de l’influence ou du lobbying au niveau des médias. Rappelons justement ces propos de Jean-Luc Lagardère selon qui « La communication est une science difficile. Ce n’est pas une science exacte. Ça s’apprend et ça se cultive ».
Tout en donnant l’impression au Président Sall de faire la promotion de son bilan à la tête du pays en développant surtout les idées énoncées dans le discours à la Nation, on a créé l’effet inverse. En effet, le Chef de l’Etat a plutôt commis beaucoup de fautes de communication qui ont fini par retenir particulièrement l’attention des récepteurs. Nous en évoquons les cinq suivantes :
1-) Le Président a nié avoir dénoncé le choix de Ousmane Ngom pour l’organisation des élections présidentielles de 2012 alors que la vidéo de son interview est bien visible sur internet et accessible à tous les citoyens ;
2-) Le Président a déclaré qu’il a nommé son frère Aliou Sall à la Caisse des Dépôts et Consignation pour lui permettre « d’accomplir ses ambitions politiques » ;
3-) Le Président donne raison à l’un de ses adversaires politiques, Ousmane Sonko, à propos des avenants de plusieurs milliards sur le coût global du Train Express Régional (TER).
4-) D’autre part, en analysant la posture du Président dans ses interventions au cours du débat, il n’est nullement compliqué de déceler un manque de maîtrise du langage non verbal traduit par une certaine nervosité, une crispation créées par surtout l’improvisation. Ces attitudes dénotent notamment d’un manque de sérénité et de confiance.
5-) Une autre bêtise non moins importante liée à l’organisation du Grand Entretien est que l’exercice a permis de voir que les internautes qui suivaient en direct le débat à la 2STV entre Pape Alé Niang et Ousmane Sonko étaient largement plus nombreux que ceux qui ont fait le choix de la RTS1 avec le Président.
De manière générale, il faut noter que certaines personnes pensent que communiquer davantage est toujours préférable. Or, s’il est vrai que le manque de communication peut générer bien des problèmes, il existe des situations où trop parler peut aussi s’avérer néfaste. D’ailleurs, le leader du parti Rewmi, Idrissa SECK ne dira pas le contraire. Le Grand Entretien s’est donc révélé inopportune à nos yeux. Il s’est agi d’une surcharge de messages. Dès lors, le moment est peut être venu pour les responsables de la communication de la Présidence de prendre du recul et de rectifier le tir avant qu’il ne soit trop tard. A travers des erreurs aussi graves, le Chef de l’Etat accorde donc une réelle opportunité à l’opposition de tirer sur sa gouvernance à la veille des élections présidentielles, car, dit-on, « les erreurs se payent cache ».
Jean Sibadioumeg DIATTA
Docteur en Sciences du Langage
Titulaire d’un master en Communication Publique
La rédaction