Dakarmidi – Un mouvement de protestation contre la pression fiscale et les inégalités sociales, lancé en France depuis quelques semaines par ceux qui se rassemblent et se distinguent par le port d’un gilet jaune, est chargé de signaux multiples et variés. Signaux de ruptures profondes entre le Peuple laborieux de France et une certaine nomenklatura politique, économique et sociale. Signaux émetteurs de l’avènement inéluctable d’un ordre nouveau. En effet ce mouvement, s’il n’est contenu avec intelligence et…générosité par les autorités françaises, sème les graines, à n’y prendre garde, d’une véritable Révolution à plus ou moins long terme.
A suivre les propos des nombreux «porte-parole» des Gilets jaunes, un mouvement informel à ce jour, on se rend compte que la revendication essentielle est existentielle. Structurelle. Elle tourne autour de l’exigence d’une nouvelle Justice sociale ainsi que de l’impérieuse nécessité d’une solidarité agissante entre les plus nantis et les plus démunis. Ce qui suppose la négociation et la signature d’un nouveau Contrat social. Le Peuple en jaune dit, tout simplement :« il n’est plus possible que les plus riches le deviennent de plus en plus et que la majorité vivote. Il serait juste et temps que ceux qui gagnent plus qu’il n’en faut pour assouvir leurs besoins, leurs loisirs et même leurs lubies, partagent une partie de leurs surplus pour améliorer le sort de tous. Au lieu de rivaliser d’ingéniosité pour planquer leurs revenus dans des paradis fiscaux.» Comprise comme cela, la fièvre… jaune n’est pas saisonnière! Elle remet en cause le modèle capitaliste, s’attaque à ses fondements et à son principe directeur: l’esprit de compétition et la course effrénée vers de plus en plus de richesse. Aujourd’hui, le Peuple en jaune exige sa répartition équitable entre tous ceux qui la créent.
Le Peuple de France à souvent changé le cours de son Histoire en se dressant face à l’Injustice. Faisons lui confiance..
Mais que nous révèle cette crise, vue d’Afrique?
Car, cette problématique de l’injustice sociale entre groupes d’individus, transposée à l’échelle des Nations, des pays et même des races, nous interpelle surtout en tant qu’Africains… noirs!
L’Histoire de la fin du dernier millénaire à été terrible pour notre Continent. Notre race a fait l’objet des pires sévices. Elle aura, pourtant contribué, par sa sueur et par son sang, à bâtir la prospérité de pays qui ferment leurs frontières à nos enfants et passent le temps à nous jeter en pâture à leurs opinions publiques. Cela est terriblement injuste! Si nos ancêtres ont été défaits au plan militaire, allons nous continuer à payer le prix des violences qui leur ont été faites pour l’éternité? Injustice de plus en plus intolérable au moment où, mondialisation oblige, nous suivons en temps réel tout ce qui se dit et se trame contre nous. Il suffit de savoir lire entre les lignes ou d’entendre les non-dits…
A l’heure où le Peuple de France parle d’injustice, je crois donc qu’il serait temps d’exprimer notre colère…noire (!) A l’unisson… Parce que nous avons mille et une raison de dire, à notre tour: stop à l’injustice!
Face à un ordre du Monde qui semble conçu pour confiner l’Afrique dans un rôle de réservoir de matière premières mais aussi, et de plus en plus, en zone de captage de ressources humaines pour faire tourner la machine productive de pays riches vieillissants, nous devons mettre en oeuvre une solidarité horizontale entre opprimés. D’une part. Et de l’autre veiller à ce que des «solutions» au péril jaune ne soient mises en oeuvre à notre détriment. Comme depuis si longtemps…
Malheureusement nos élites dirigeantes actuelles, à l’échelle continentale et à de rares exceptions près, sont confinées dans des visions étriquées du développement. Ils sont engagés dans des «plans» avec comme un mirage l’Émergence en guise de carotte. Ils suivent les stratèges des Institutions internationales dans leurs errements et utilisent des modèles dont le bonheur de l’humain n’est pas la préoccupation première. Et cela peut donner la fièvre jaune…. Contagieuse, par définition. Surtout lorsqu’elle rencontre une colère noire!
Au demeurant, une autre lecture du phénomène des Gilets jaunes, plus incisive et désabusée, au regard de toute notre histoire avec l’Occident depuis 4 siècles, serait que ce serait une énième tentative d’ impulser le sens de l’Histoire, dans un sens convenu. Une séquence cherchant à protéger, encore une fois, les tenants de l’ordre actuel du monde. Le système capitaliste chercherait-il à se régénérer, à moindre frais, en manipulant la colère légitime des masses laborieuses pour réformer,à son avantage, son système de prédation des ressources planétaires ? Certains le pensent. On en a tellement bavé !
En effet, et au vu du rôle des réseaux sociaux, notamment lors des «révolutions» du Printemps arabe dont on a vu ce qu’il est advenu, certaines interrogations sont légitimes: Ces événements étaient-ils un test, grandeur nature, de nouveaux outils de manipulation de masse? Qui agit sur les plateformes de mobilisation et de diffusion des mots d’ordre à l’abri des regards? Qui module les fréquences de la colère populaire et l’évacue, au besoin, vers des bassins de rétention? Bonnes questions à examiner pour anticiper sur les nouvelles stratégies de lutte de libération des peuples opprimés.
Tout cela pour dire que les temps nouveaux imposent plusieurs niveaux de lecture des événements qui se déroulent sous forte pression médiatique. On nous fait regarder souvent là où les choses ne se passent pas. Par contre les outils de résistance existent. Il faut, notamment, investir tous les canaux de communication pour déborder les voies officielles de maîtrise et de détournement de la volonté populaire. Celle qui va dans le sens des intérêts de la majorité.
En tout état de cause, les révolutions ont toujours été le moteur de l’Histoire. Elles changent un ordre ancien qui n’a plus d’imagination pour faire rêver et espérer. Lorsque le désespoir rencontre la colère survient une étincelle dont rejaillit une nouvelle espérance pour laquelle mourir devient une conquête d’Éternité. Nos livres d’Histoire chantent encore tous ces héros… L’avenir appartient à ceux qui n’ont plus peur. L’injustice n’a pas de raison d’être. Elle doit être combattue.
Amadou Tidiane WONE
La rédaction