Dakarmidi – Le spectacle auquel nous avons eu droit il y’a quelques jours, a retenu l’attention de plus d’un sénégalais . En effet lors du vote du budget 2019, moment fort dans la vie de la nation, nos représentants parlementaires se sont permis de nous servir une scène ubuesque que l’on aimerait plus voir chez nous .
En effet, l’assemblée nationale du sénégal a été transformée, le temps d’une plénière, en un ring de boxe renvoyant ainsi à la face du monde l’image d’un hémicycle digne de figurer dans le Guinness des parlements les plus loufoques. S’il est vrai aussi que de telles scènes de bagarre ne sont pas l’apanage de nos démocraties tropicales, il est cependant fort à regretter que l’étape franchie tout dernièrement par nos représentants, constitue un précédent extrêmement dangereux, le symbole d’une tension politique assez forte, dans un contexte pré-électoral lourd de menaces, l’expression d’une grave montée des périls.
L’illusion de cette vieille démocratie sénégalaise tant louée et chantée partout, a été balayée, tel un château de cartes, par cette scène de pugilat qui a éclatée subitement en pleine session budgétaire, moment capital dans les processus d’évaluation et d’allocation des ressources financières aux différents ministères pour leur fonctionnement ainsi que les investissements projetés. Les vilaines et choquantes images diffusées et relayées en boucle un peu partout à travers le monde dans des chaînes de télés et sur les réseaux sociaux, mettant aux prises, des parlementaires sénégalais, se bagarrant comme des gamins, des coups de poings fuser de partout, des propos déplacés entendus ça et là, toutes choses qui ont fini de ternir une fois de plus encore, l’image de marque et la réputation de cette mythique institution républicaine. A la limite, on se croirait vraiment dans un cirque ou une garderie d’adultes.
Non! Chers Honorables parlementaires, ayez du respect au moins pour ce peuple qui vous a choisi et qui attend de vous un autre comportement plus conforme à l’exigence de la fonction et à l’éthique de responsabilité qui sied dans cette prestigieuse institution. Ces figures emblématiques et premiers présidents de l’assemblée nationale sénégalaise ( Lamine GUEYE,Amadou CISSE DIA, Habib THIAM, Daouda SOW, pour ne citer que ceux-là ) du fond de leur tombe, ne doivent pas du tout être fiers de vous. La mémoire de ces illustres figures que vous rappellent leurs photos qui trônent dans cette salle o combien chargée d’histoires et de symboles, ne doit pas être salie et piétinée par des attitudes de ce type, totalement aux antipodes des valeurs incarnées par ces pionniers. Dans une république normale, le parlement n’est pas un zoo où on s’adonne à des numéros d’exhibition, c’est le plus haut lieu du débat démocratique, c’est aussi le cadre le plus achevé dans l’expression des civilités démocratiques, le laboratoire par excellence des travaux de l’esprit. On ne s’y abat pas, on y débat de questions d’intérêt national, on y évalue qualitativement des politiques publiques pour améliorer substantiellement les moyens de réalisation objective des populations. On y contrôle l’action du gouvernement et on y vote des lois progressistes. Malheureusement, les conditions de sélection des candidats à la députation dans notre pays ainsi que la forte prégnance du chef de l’exécutif ( par ailleurs chef de clan ) dans les choix des uns et des autres, font que les critères de sélection des « députables » sont déterminés et assujettis finalement à des considérations politiciennes plus, qu’à des principes de compétence et de bonne moralité. Hormis quelques députés qui sortent du lot, qui connaissent leur rôle, qui maîtrisent les textes, qui se documentent, qui, par des canaux non officiels, s’arrangent même,au nom du mandat électif, pour recueillir des avis techniques auprès d’hommes de l’art, il faut le constater pour le déplorer que la plupart de nos parlementaires, ne brillent pas vraiment pour leur compétence, leur expertise, leur force de propositions, leur sérieux dans le travail encore moins leur moralité. Cette pollution de l’espace institutionnel à la base, piégée par le fait partisan, dans le choix des hommes, engendre au final, de graves abus de majorité. Sous ce rapport, la rupture promise et attendue est comme une arlésienne.
Au-delà des coteries partisanes, le mode de scrutin ‘’raw gaddu’’totalement censitaire et inique est à décrier également car foncièrement anti-démocratique. Le principe d’une représentation juste et équilibrée est biaisée et ouvre la porte à toute sorte d’effets pervers . Nous croyions avoir touché le fond avec la douzième législature, malheureusement cette treizième n’a pas été meilleure que la précédente. Elle ne nous a pas aidé à redorer le blason du parlement sénégalais réconcilié avec la bonne tradition des débats épiques, de haute facture et dans la contradiction sans pour autant en arriver aux mains. C’est à croire véritablement que notre institution parlementaire ne porte plus les idéaux du bon débat républicain et progressiste.
Au delà des excuses publiques ( c’est le minimum) que nous doivent ces députés indésirables, n’est -il pas temps d’imposer un système de sanctions à la fois disciplinaires et pécuniaires afin que ces scènes soient punies à la hauteur de la violence symbolique et institutionnelle qu’elles exercent sur la conscience nationale ? Oui, ces députés bagarreurs doivent être identifiés et sanctionnés comme des individus ordinaires qui se battent et qui peuvent être poursuivis pour rixe sur la voie publique. Comment pouvons nous enseigner à nos enfants, la morale et le civisme si, à l’assemblée nationale, des adultes se comportent comme de vulgaires charretiers. Non! Chers honorables députés, vous n’avez point le droit de vous déshonorer et de déshonorer cette institution si capitale dans la respiration démocratique de notre état. Nous ne vous avons pas choisi pour cela, Servez-nous loyalement, mettez-vous au service de la nation et si vous n’êtes pas capable de nous respecter, ayez l’élégance républicaine de débarrasser le plancher ! Nous voulons avancer et avoir des institutions fortes et crédibles. Et pour cela, il nous faut choisir les meilleurs sénégalais parmi nous en compétence et en vertu afin que nos institutions puissent être renforcées et rebâties pour porter les gros enjeux du développement.
A quelques semaines de la prochaine présidentielle, certains signaux ne nous rassurent absolument pas. Sonnons donc la fin de la récréation et faisons place au débat d’idées . A l’argument de la force, préférons plutôt la force de l’argument.
Cette bataille rangée au sein de l’hémicycle ne serait-elle pas prémonitoire à une élection présidentielle violente? Espérons que non . Que Dieu nous en garde
Amadou Moustapha DIOP
Observateur Politique-Militant de la Société Civile.
La rédaction