« Le Sénégal n’a pas besoin de messie ni de héros mais d’une masse critique de citoyens conscients des enjeux de l’heure », dixit Ousmane Sonko.
A travers ces propos tenus à Guédiawaye, dans la banlieue de Dakar, au cours d’une rencontre politique organisée par ses partisans, le leader des Patriotes du Sénégal pour le Travail, l’Ethique et la Fraternité (PASTEF), Ousmane Sonko, a voulu édifier l’opinion publique, et pour de bon, sur sa posture politique. Ce faisant, son message est on ne peut plus clair : il ne croit pas au messie et n’a aucunement la prétention de se présenter comme tel devant les sénégalais, encore moins comme un thaumaturge. Bien au contraire, pour faire triompher et mettre en application son projet de société, il table sur une masse critique de citoyens conscients des enjeux et engagés, qu’il cherche à faire émerger, au moyen d’un discours instructif et véridique, dont les points de mire sont le réveil de la fibre patriotique et l’insurrection des consciences contre l’injustice sociale et le fatalisme de la politique politicienne.
Ousmane Sonko n’est pas donc un messie. Nous en convenons ! Cependant, au regard de son positionnement doctrinal (à mettre en relation avec le contexte) et de ses atouts distinctifs dans le landerneau politique sénégalais, il y’a de quoi se demander finalement, s’il ne tient pas du messie politique que le Sénégal attendait.
Un positionnement doctrinal attrayant
Le patriotisme et l’antisystème, deux piliers majeurs de la doctrine Pastef, font, entre autres éléments, d’Ousmane Sonko, un homme politique porteur d’espoir. Pour cause, il est devenu, de par le positionnement doctrinal de son parti, le porte-étendard du patriotisme, un sentiment qui a été toujours perçu par les citoyens comme étant étranger à l’homme politique sénégalais. Ceci, à force de voir la conception du pouvoir politique comme un moyen d’assouvissement des intérêts personnels l’emporter sur le don de soi pour la patrie. Ousmane Sonko n’a pas pour autant la prétention d’avoir le monopole du patriotisme, loin sans faut ! Pour lui, le patriotisme reste, assurément, le sentiment le mieux partagé au Sénégal.
Le paradoxe sénégalais s’explique plutôt, par le fait que les citoyens patriotes, honnêtes et compétents, ont toujours été tenus, pour diverses raisons, à l’écart du pouvoir politique et des sphères de décisions, au profit, le plus souvent, des gens de petite vertu, très peu soucieux des aspirations profondes du peuple. Partant de ce postulat, le leader de Pastef se veut le fédérateur de tous les patriotes du Sénégal, de l’intérieur comme de la diaspora, pour rebâtir les fondations de notre société avec un matériau plus conforme à notre conscience collective, et engager, dans un vaste élan national, le redressement de notre pays. Selon lui, ce dont le peuple sénégalais a besoin c’est d’un pragmatisme guidé par le patriotisme et l’éthique et adossé sur les valeurs du travail et de la fraternité ; cela n’a, par conséquent, rien à chercher dans les idéologies importées (socialisme, libéralisme, communisme, etc.) et autres doctrines des écoles sans emprise sur les véritables problèmes. Ainsi, à l’instar d’Emmanuel Macron, en France, avec son mouvement « En Marche », Ousmane Sonko transcende les clivages politiques et devient, en un laps de temps, une alternative crédible, au grand dam de ses pourfendeurs qui, exaspérés par son style, largués par sa verve, et pris de court par ses marges de progression dans l’opinion, n’ont pas d’autres choix que d’alléguer son « insolence » et son « arrogance », histoire de le discréditer par une honteuse manipulation de nos traditions culturelles.
En s’appropriant les valeurs du patriotisme et en ralliant à son discours des pans de nos compatriotes, il endosse en même temps une lourde responsabilité politique et morale que lui confère l’attractivité de son positionnement doctrinal. Cette responsabilité à laquelle il ne peut aucunement se soustraire, ne laisse pas de place aux déceptions, aux renoncements, aux reniements, et aux compromissions politiques.
En effet, cette obligation pèse désormais sur lui, quels que soient le moment et la durée de sa carrière politique, d’autant plus qu’Ousmane Sonko s’est également positionné comme un homme politique antisystème. Une posture légitimée par une « virginité » politique qui le tient à l’écart de toute responsabilité dans la mal gouvernance endémique ayant enfoncé le Sénégal dans le précipice des 25 pays les plus pauvres au monde. Sa conscience n’est pas donc tenaillée par la quête angoissante d’absolution et de rédemption, ce qui le met à l’aise dans son rôle, lui donne la confiance nécessaire pour s’adresser à ses compatriotes, les entretenir de tous les sujets, notamment ceux relatifs à l’éthique dans la gestion des deniers publics.
N’ayant rien à se rapprocher dans le malaise économique, social et moral ambiant, il a, par conséquent, toutes les coudées franches pour dénoncer, combattre, et changer ce qu’il appelle « le système ». Ce système, qui trouve ses fondements dans l’hyper présidentialisme et ses dérives autoritaristes et patrimonialistes, est un monstre né au lendemain de l’indépendance du Sénégal, à la suite de la rupture brutale entre Léopold Sédar Senghor et Mamadou Dia (une de ses références en politique).
Il découle de l’histoire politique du Sénégal et du bilan économique et social de ses 58 années d’indépendance, que les géniteurs de ce système et certains de leurs héritiers, n’ont jamais eu réellement d’autres ambitions pour notre pays que d’accéder au pouvoir, y perdurer, profiter des honneurs, contrôler, user voire abuser à souhait des ressources publiques. Pour ce faire, leurs manœuvres politiciennes, devenues somme toute banals sous nos cieux à force de perpétuation dans le temps, s’appuient sur plusieurs leviers bien connus maintenant des sénégalais : vampirisation et vassalisation des institutions (Assemblée nationale, institutions judiciaires, administration publique et territoriale, etc.) afin de les mettre au service de leurs ambitions ; redistribution d’une partie des ressources publiques pour récompenser des dévouements et élargir les bases de la clientèle politique, notamment par le truchement de l’entrisme, de la transhumance, des flopées de mouvements de soutien, et des strapontins ; contrôle exercé sur une certaine presse ; manipulations constitutionnelles ; inféodation aux puissances étrangères et à leurs intérêts, etc. Les acteurs changent, le système et ses pratiques demeurent, plus tenaces que jamais.
C’est globalement dans ce sinistre contexte qu’Ousmane Sonko arrive sur la scène politique sénégalaise, avec l’engagement et les atouts distinctifs qui sont les siens (jeunesse, compétence et probité), pour ressusciter l’espérance.
Des atouts distinctifs
Ousmane Sonko a 44 ans. C’est-à-dire la moyenne d’âge des hommes et des femmes qui incarnent aujourd’hui, et de plus en plus, le leadership politique dans bon nombre de pays dans le monde : Emmanuel Macron (France, 39 ans), Justin Trudeau (Canada, 44 ans), Charles Michel (Belgique, 42 ans), Alexis Tsipras (Grèce, 42 ans), Andrzej Duda (Pologne, 46 ans), Leo Varadkar (Irlande, 39 ans), Tamin Ben Hamad al Thani (Qatar, 38 ans), Sébastien Kurz (Autriche, 32 ans), etc. Il a également, à peu près, le même âge que John Fitzgerald Kennedy (43 ans) et Théodore Roosevelt (42 ans), lorsqu’ ils fussent élus présidents des Etats-Unis d’Amérique, la première puissance économique et militaire du monde.
Il est donc jeune. Et en politique, la jeunesse est une force. La jeunesse c’est avant tout une formidable envie, parce qu’on a la vie devant soi ; être jeune c’est avoir la passion du défi et de la révolution, l’ambition encore chevillée au corps, et l’énergie nécessaire pour se mettre au service de son pays. Etre jeune, c’est être réceptif aux innovations technologiques et aux changements ; c’est à la fois l’affirmation de son identité et l’ouverture à la modernité ; c’est être décomplexé et, surtout, affranchi de ce « machin » que l’on appelle la Françafrique.
Mais Ousmane Sonko n’est pas n’importe quel jeune, il n’est pas de cette jeunesse très tôt happée par le goût du lucre, l’argent facile, les avantages indus, les lambris dorés du pouvoir, la politique politicienne, et les intrigues florentines. Ousmane Sonko, c’est plutôt une volonté. Volonté de vivre et de servir avec des valeurs, quoiqu’il lui en coûte. C’est la raison pour laquelle, il peut, à la fois, légitimement compter sur tous les patriotes, et s’imposer comme un modèle et un digne représentant des 65% de jeunes qui composent la population sénégalaise, dont le devenir est plus que jamais en jeu, et qui doivent impérativement être l’alpha et l’oméga de nos politiques publiques.
En effet, dans un pays où la jeunesse est largement majoritaire et où les gens sont censés être mis au banc du système productif par le biais de la retraite à l’âge de 60 ans, vouloir y perpétuer éternellement une certaine forme de gérontocratie relève, plus que d’une incongruité, d’un génocide juvénile, dont l’hécatombe charriée par l’émigration clandestine n’est qu’une des manifestations. La jeunesse compétente et vertueuse, surtout les femmes, doit, en effet, être fortement responsabilisée à tous les niveaux, si l’on veut tirer profit de notre dividende démographique. Cela suppose qu’à un certain âge, si l’on aspire encore à servir son pays, on doit plutôt se contenter, tout au plus, à accompagner les jeunes dirigeants par des recommandations et des conseils avisés, notamment dans le cadre de missions ou commissions ad hoc, et d’autres cercles de réflexions stratégiques créés à cet effet. Cette rupture avec ce qui ressemble fort à une dictature du droit d’aînesse est irréversible, au risque d’engluer le pays dans une impitoyable guéguerre intergénérationnelle.
Juriste de formation, diplômé de l’Ecole Nationale d’Administration (ENA), puis en finances publiques et en fiscalité, nourri dans le sérail de la haute administration sénégalaise où il a servi pendant une quinzaine d’années, notamment en tant qu’inspecteur principal des impôts et des domaines, Sonko, ex-dirigeant syndical (Syndicat Autonome des Agents des Impôts et des Domaines/SAID), dispose, sans conteste, des aptitudes que l’on a le droit d’attendre d’un homme ou d’une femme qui aspire à gouverner son pays.
Elu député du peuple, dans la foulée de sa radiation de la fonction publique le 29 août 2016 soit plus de deux ans et demi après son entrée en politique en janvier 2014, il a considérablement contribué à relever le niveau du débat à l’Assemblée nationale. Sa participation active au débat public et politique, ses prises de position intéressantes sur toutes les questions d’intérêt national (fiscalité, APE, gestion des ressources naturelles, particulièrement des ressources pétrolières, gazières et minières, gestion des finances publiques, relations internationales, politique économique et monétaire, commerce intérieur avec l’affaire Auchan, politique d’importation/d’exportation, agriculture, gestion forestière en Casamance, etc.) ainsi que la profondeur de ses propositions sur tous ces sujets, témoignent, à la fois, de sa compétence et de son engagement indéfectible et désintéressé pour le Sénégal. Toutes ces propositions sont des bribes de sa vision développée dans un livre à paraître, qui sera suivi d’une offre programmatique circonstanciée adressée aux sénégalais, dont une partie (le volet réforme institutionnelle principalement) sera certainement tirée des conclusions des Assises nationales – il en est un des protagonistes à travers le SAID – et de la CNRI.
Cette posture honorable plaide largement en sa faveur et dégonfle comme un ballon de baudruche, toutes les critiques tendant à mettre en exergue son prétendu manque d’expérience gouvernementale, pour tenter de le déclasser ou le disqualifier de la course vers la magistrature suprême. Face à ces critiques, l’intéressé lui-même a formulé une réponse implacable, en leur donnant les exemples bien choisis de Barack Obama, Lula Da Silva du Brésil et Paul Kagamé du Rwanda, qui n’ont jamais pris part à un gouvernement avant leur élection à la tête de leurs pays respectifs ; et Dieu sait que des exemples de ce genre pullulent dans le monde et à travers l’histoire.
C’est dire que, franchement, cette corrélation que certains tenteraient d’établir entre l’expérience gouvernementale et la compétence présidentielle n’est, en fin de compte, qu’une pure escroquerie. Si cette causalité était avérée, le continent africain, qui a toujours battu le record mondial de la longévité des chefs d’Etat et des personnalités politiques au pouvoir, n’abriterait pas les pays les plus pauvres du monde malgré les richesses et potentialités du continent.
En réalité, l’expérience gouvernementale ne permet d’acquérir, tout au plus, qu’une présomption favorable auprès d’une certaine opinion, du moment que certains pensent, faussement d’ailleurs, qu’elle est chez l’homme politique, la preuve de son imprégnation préalable des problèmes de développement de son pays et de sa capacité à formuler des solutions pour y répondre efficacement et dans les meilleurs délais. Or, il n’est point nécessaire de séjourner ou perdurer dans un gouvernement pour avoir de telles dispositions, comme on peut maintes fois exercer des responsabilités gouvernementales sans s’abreuver de la plénitude et de la profondeur des attentes de son peuple, encore moins avoir les compétences et la volonté politique nécessaires pour les satisfaire.
En outre, l’expérience gouvernementale comme critère d’appréciation de la compétence d’un homme politique, comporte une autre limite rédhibitoire. Elle ne rend pas compte des qualités intrinsèques qui, chez l’homme politique, constituent le ferment du leadership porteur de changement transformationnel : le patriotisme, la probité, l’engagement, le sens du devoir, de la justice sociale, et de l’honneur, la générosité et l’empathie envers ses compatriotes, etc. Ces critères, parfois insondables a priori, ayant trait à l’éthique et aux convictions, nous semblent, de loin, plus déterminants dans le choix d’un Président de la République.
Sous ce rapport, il faut reconnaître qu’il est très difficile, de nos jours, de jurer la main sur le Coran ou sur la Bible, sur la probité morale de l’homo senegalensis, tant il est vrai qu’il nous a habitués aux variations erratiques de sa nature, au gré des circonstances, des situations, et des positions. En outre, dans notre pays, rares sont les femmes et les hommes engagés en politique, qui mettent en avant l’éthique et les convictions dans la conduite de leur projet.
Pourtant, Ousmane Sonko semble être une de ces exceptions, surtout si l’on en juge par les nombreux témoignages élogieux formulés à son endroit par les gens, y compris parfois par ceux qui n’ont aucune sympathie pour lui. Témoignages émanant de personnes appartenant à des milieux aussi divers que variés : collègues de travail, collaborateurs professionnels, simples connaissances, promotionnaires de tous cycles confondus, parents, amis d’enfance, etc.
Il est à croire qu’il fait parti, vraisemblablement, de cette race humaine, de plus en plus en voie d’extinction sur notre planète, qui a toujours les valeurs, les convictions, et les principes figés dans le temps et dans l’espace. Etant généralement des produits d’une socialisation bien réussie, ces genres d’individus sont comme condamnés à la droiture, de sorte que même s’ils voulaient agir autrement, ils y parviendraient difficilement, dans la mesure où les valeurs de leur société et de leur culture sont parties intégrantes de la structure de leur personnalité psychique.
En tout état de cause, la modestie des avoirs contenus dans sa déclaration de patrimoine, pour quelqu’un qui a eu à occuper certains postes « sensibles » dans l’administration fiscale et domaniale, ainsi que les témoignages de ceux qui l’ont connu et pratiqué, suffisent largement pour que tous les sénégalais animés de bonne foi lui donnent quitus de sa probité, jusqu’à preuve (tangible et non fabriquée) du contraire.
La rédaction