Dakarmidi – Une semaine après la libération de l’ex-première dame, la question se pose à Abidjan. Simone Gbagbo pourrait bien faire de l’ombre à Henri Konan Bédié, à Guillaume Soro et à Laurent Gbagbo lui-même. C’est l’hypothèse d’André Julien Mbem, qui va publier à la rentrée, chez L’Harmattan, Introduction à la pensée politique de Laurent Gbagbo. En ligne de Yaoundé, l’essayiste camerounais nous dit pourquoi Alassane Ouattara a libéré Simone Gbagbo.
Que vous inspire la libération de Simone Gbagbo ?
André Julien Mbem : Il faut dire que c’est un acte politique et symbolique majeur pour la réconciliation en Côte d’Ivoire parce que, depuis la crise postélectorale de 2010, de nombreuses voix s’élèvent pour estimer qu’il n’y a jamais eu d’actes forts qui laissent penser que le pouvoir de monsieur Alassane Ouattara voudrait réellement amener les Ivoiriens vers la réconciliation. Donc, avec la libération des prisonniers politiques, et notamment la libération emblématique de Simone Gbagbo, je pense que cet acte du président Ouattara est salué et, également qu’en face, c’est-à-dire du côté de l’opposition, et notamment de Simone Gbagbo elle-même, elle devrait désormais s’inscrire aussi dans l’histoire comme une véritable actrice de cette réconciliation. Simone Gbagbo, ce n’est pas n’importe qui. C’est l’une des cofondatrices du Front populaire ivoirien (FPI), une femme qui a une stature de femme d’Etat et sa libération rebat les cartes au sein du jeu politique. Que fera-t-elle de sa liberté retrouvée ?
Pourquoi Alassane Ouattara abat-il cette carte politique quelque deux ans avant la présidentielle ?
Pour Alassane Ouattara, il est vrai que cet acte politique lui permet déjà de reconfigurer la scène politique ivoirienne, notamment avec les derniers remous que l’on a ressentis au sein des houphouëtistes et notamment la fronde du PDCI le Parti démocratique de Côte d’Ivoire, par rapport aux velléités du président Ouattara de se représenter en 2020, mais aussi du côté de Guillaume Soro, qui était un peu devenu la tutelle de tous ceux qui étaient orphelins politiques de Laurent Gbagbo. Guillaume Soro a posé des actes significatifs qui laissaient penser que, pour lui, le Front populaire ivoirien, notamment au niveau de son ancrage sociologique, pourrait se retrouver en 2020 à ses côtés. Et pour cela, il y a eu de nombreuses rencontres avec certains ténors du Front populaire ivoirien en ce sens-là. Mais avec la sortie de Simone Gbagbo, je pense que c’est une figure très forte qui saura peut-être coaguler, canaliser toutes les forces politiques proches du Front populaire ivoirien, et repartir pour la bataille en 2020.
Voulez-vous dire que la libération de Simone Gbagbo empêche un Guillaume Soro ou un Henri Konan Bédié de rassembler les voix FPI en leur faveur ?
Mais j’irais même plus loin. Il ne faut pas que voir ce que cela change du côté du PDCI ou du côté de Guillaume Soro. Du côté de Laurent Gbagbo lui-même, parce qu’aujourd’hui ce qu’il y a de tout à fait nouveau, c’est qu’on s’attendait à une possible libération de Laurent Gbagbo. Mais ce que l’on ne dit pas, c’est que, même si au mois d’octobre on prononce l’acquittement de Laurent Gbagbo, le bureau du procureur pourrait faire appel de cet acquittement. Donc, au niveau du calendrier, il faudra encore beaucoup de temps pour le voir à Abidjan. Simone Gbagbo étant libre, jouissant de sa stature historique, de sa maîtrise du parti, ancienne présidente du groupe parlementaire du Front populaire ivoirien à l’Assemblée nationale, non seulement elle rétrécit le champ politique de Laurent Gbagbo, elle rétrécit le champ politique de Guillaume Soro, elle rétrécit le champ politique du PDCI d’Henri Konan Bédié.
Simone Gbagbo est une femme controversée, surnommée « la dame de fer » sous le régime de son mari, Laurent Gbagbo.
Oui, c’est vrai. C’est une femme à poigne, au caractère bien trempé. Je pense qu’elle ne tient pas cette réputation du moment où son mari était à la tête de l’Etat ivoirien. Pour ceux qui connaissent l’histoire du Front populaire ivoirien, elle est de ceux-là qui ont réclamé la sortie de la clandestinité avant même la légalisation du Front populaire ivoirien. Et elle s’est opposée à ses camarades du parti. Je pense par exemple à Aboudramane Sangaré et autres au point où, dans les années 80, elle a voulu claquer la porte du parti parce qu’elle estimait assez mollassons ses camarades, hommes du parti. Donc, elle a un caractère bien trempé. De cette épreuve sortira une nouvelle Simone Gbagbo qui sera beaucoup plus soucieuse de panser les blessures issues de la crise électorale de 2010, et de contribuer de manière décisive à ramener les Ivoiriens vers le champ de la réconciliation.
En février 2016, le commandant Anselme Séka Yapo, dit « Séka Séka », a été condamné à la prison à vie pour l’assassinat de Robert Gueï, tué en septembre 2002 par balle le jour d’un coup d’Etat manqué contre Laurent Gbagbo. Or, il était l’aide de camp de Simone Gbagbo. N’est-elle pas liée aux escadrons de la mort ?
En Côte d’Ivoire aujourd’hui, la quasi-totalité des acteurs politiques sont des justiciables potentiels. Si l’on remonte à 2000, je pense qu’il y en a qui sont aux affaires et qui devraient également se retrouver devant les tribunaux. Par conséquent, si l’on engage la séquence politique nouvelle en faisant peser une épée de Damoclès sur l’avenir politique de Simone Gbagbo, je crains que cela se retourne contre ceux qui utiliseraient cette arme politique.
Pour vous, Simone Gbagbo peut donc être candidate pour le FPI dans deux ans ?
Simone Gbagbo est amnistiée. Simone Gbagbo a une véritable stature politique. Elle a la légitimité historique : elle est passée par l’épreuve du feu et cela compte en politique. Donc, à elle seule, elle est un symbole. Et il faut reconnaître qu’il y a de nombreux Ivoiriens qui se reconnaissent encore sur le plan sociologique du discours de Simone Gbagbo. Par conséquent, nul doute qu’elle va probablement jouer un rôle politique majeur dans ce pays d’ici 2020.
« La dame de fer » ne sera-t-elle pas animée d’un esprit de revanche ?
« La dame de fer » sera drapée d’une tenue de velours, telle que ce ne sera plus la même personnalité intransigeante que l’on a connue. Elle saura arrondir les angles.
Qu’est-ce qui vous dit qu’elle a changé ?
Elle a envoyé des messages de réconciliation et de paix de son lieu de détention. Maintenant, il faudrait qu’elle soit véritablement à la tête d’une caravane de la paix. Les derniers bégaiements de l’histoire lui ont tendu cette perche. Il faut qu’elle sache la saisir.
Avec RFI