Jamais décision judiciaire n’aura fait un tollé pareil sous nos cieux. Est ce qu’une façon de démontrer que le pouvoir est aux abois et serait frileux au point les sommités du régime apériste, ont jugé utile de s’épancher à tort ou à raison dans les médias pour soit démonter la légalité de l’arrêt ou même, mettre en exergue l’illégitimité de l’organe étant à l’origine de l’acte qui vaut aujourd’hui au Sénégal les quolibets des autres pays de la CEDEAO. Pour l’unité africaine, Macky Sall ne saurait se permettre de faire moins que Senghor, Diouf ou Abdoulaye Wade et il urge pour lui au risque d’engager le Sénégal dans la voix des « Etats bandits », de sommer ses « troupes » de mettre fin à ce spectacle qui n’honore point Dakar. La libération d’un opposant ne vaut pas la crédibilité d’un pays!
Pour dire vrai, la rage du gouvernement sénégalais est compréhensible tellement l’arrêt de la Cour de Justice de la CEDEAO est implacable tout en mettant à nu des pratiques aux antipodes d’une démocratie. Saisie par les avocats du Maire de Dakar, la Cour de justice de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) a rendu fin juin un arrêt très critique vis-à-vis de la procédure judiciaire initiée contre le maire de Dakar.
Le Juge communautaire n’a fait (presque) aucune concession à l’Etat du Sénégal à travers la police et la justice qui ont été sévèrement réprimandées et renvoyées à leurs cours en matière de code pénal et code de procédure pénale. En effet, la Cour de Justice de la Cedeao a retenu plusieurs griefs qui sont considérés comme des sources de nullité de l’ensemble de la procédure notamment :
La présomption d’innocence bafouée, détention arbitraire, violation du droit à l’assistance d’un avocat et à un procès équitable permettant du coup aux avocats du Maire de Dakar de détenir un argument de taille pour obtenir la libération de leur client. Dans cet arrêt long de 54 pages, le texte des magistrats d’Abuja décortique minutieusement l’ensemble des griefs présentés par la défense de l’édile. Et les réponses de la Cour sont le plus souvent très critiques à l’égard de l’État du Sénégal.
Avant d’en arriver à cette conclusion, la Cour s’est permise de revisiter les soubassements qui ont ont conduit à la condamnation de Khalifa Sall. Et c’est ainsi qu’à la date du 2 mars 2017, les enquêteurs de la BAG, une branche de la Division des investigations criminelles (DIC) bouclent leur enquête préliminaire sur des petits arrangements autour d’une caisse d’avance dans les finances de la municipalité. Or, comme le souligne la Cour de la Cedeao, le procès-verbal établi par la DIC le 2 mars « ne fait nulle part état de ce que les interpellés ont été assistés durant l’enquête de leurs conseils ou ont été informés de leur droit à en constituer ». Conclusion des juges : « le droit à l’assistance d’un conseil des requérants a été violé et la responsabilité de l’État du Sénégal engagée ».
Le 3 Mars 2017, le Procureur Serigne Bassirou Guèye ouvre la voix de la future forfaiture
Comme agitant un trophée de guerre à la suite de rudes combats, le Procureur de la République convoque une conférence de presse à la suite de l’enquête de la Brigade des Affaires Générales le 3 mars où il fait mention sans retenue aucune d’un montant d’un milliard huit cent millions pris dans les caisses de la Mairie de Dakar sur la base de faux documents. Des déclarations « d’une extrême gravité » selon la Cour de la Cedeao, car ils laissent « implicitement entendre aux yeux du public que Khalifa Sall était coupable de détournement de deniers publics ». Et ce, alors qu’aucune décision de justice n’a encore été rendue. Conclusion : « l’État du Sénégal a failli à son obligation consistant à faire respecter le droit à la présomption d’innocence ».
Mais, sans le savoir, Serigne Bassirou Guèye venait d’offrir à la défense l’un des moyens qui ont motivé l’arrêt des juges de la Cedeao.
L’autre fait saillant qui allait élargir le trou de la forfaiture judiciaire se déroulera le 14 août 2017 quand le Conseil constitutionnel proclame les résultats des élections législatives au Sénégal. Khalifa Sall, tete de liste de la coalition Taxawou Sénégal, qui a été interdit de mener campagne mené campagne, a été élu député. Selon les lois en vigueur, ses avocats soutiennent alors qu’il jouit désormais de l’immunité parlementaire et qu’il doit être libéré immédiatement. Refus successifs du même Procureur de Dakar, du doyen des juges d’instruction et de la chambre d’accusation de la cour d’appel, qui estiment que les faits reprochés sont antérieurs à son élection.
Et revirement de dernière minute, dernier clou dans le cercueil de la forfaiture également, quelques deux mois plus tard, le 26 octobre, le même Procureur ravale décide son propos du 14 août et saisit finalement l’Assemblée nationale aux fins d’initier la levée de l’immunité parlementaire de Khalifa Sall, reconnaissant de facto que celle-ci s’appliquait bel et bien.
Pour la Cour, « L’État du Sénégal aurait dû, dès l’instant où le détenu Khalifa Ababacar Sall a commencé à bénéficier de la couverture de l’immunité parlementaire, entamer les procédures appropriées pour soit suspendre sa détention, soit obtenir la levée de son immunité parlementaire ». Lesquels concluent : « Sa détention, pendant la période qui a suivi son élection en qualité de député et s’est écoulée jusqu’à la date de levée de son immunité parlementaire, est arbitraire »,conclut la Cour d’Abuja.
Des ministres piétinent la Cour de Justice Communautaire
Malgré la clarté des écrits de l’arrêt et les motivations de la Cour, des ministres sénégalais remettent en cause non seulement le jugement rendu mais, la Cour également a eu à faire l’objet d’attaques qui démontrent que certains ministres,ont oublié ou ont toujours ignoré leurs prérogatives.
Du côté de l’État sénégalais, un communiqué publié le 29 juin que « la décision de la Cour de justice de la Cedeao ne concerne pas le fond de l’affaire et ne remet nullement en cause l’autorité de la chose jugée ». « La Cour […] dans sa jurisprudence constante a toujours admis qu’elle n’est pas une juridiction de troisième degré à même d’apprécier les décisions rendues par les juridictions nationales ».
C’est ainsi que pour le directeur de cabinet du président de la République, Me Oumar Youm, la Cour de justice de la CEDEAO s’est abstenue de demander la libération immédiate de Khalifa Sall alors qu’elle avait les moyens de le faire comme elle avait eu à la demander dans d’autres cas. Ce qui lui fait dire que l’arrêt de la Cour de justice de la Cedeao n’impose rien aux juridictions du Sénégal.
Autre son de cloche, Mansour Faye, ministre de l’hydraulique et de l’assainissement récuse la décision de la Cedeao et parle de manipulation. Pour lui, « cette décision rendue, n’est qu’un avis ».
Plus grave, le ministre s’interroge même sur la partialité de cette cour avant de préciser que « rien ne peut faire reculer le président Macky Sall dans le cadre de la traque des biens mal acquis ». Il n’a pas manqué de dire que le mandat de la Cour de justice de la Cedeao était terminé.
Une interprétation à rebours de celle des avocats de Khalifa Sall, qui exigent « la libération d’office » de leur client. Cette demande doit être examinée le 18 juillet prochain lors de la reprise de son procès en appel.
La Rédaction